Si on mâavait dit que rester enfermĂ© le weekend aprĂšs une semaine de boulot, ou dans un rayon dâun kilomĂštre tel un chien au bout de sa laisse, si on mâavait dit que rester cloĂźtrĂ© serait bon pour notre santĂ©, jâaurais cru lire 1984 de George Orwell. Si on mâavait dit que la libertĂ© dâaller et venir, une libertĂ© garantie par la Constitution, serait anĂ©antie par dĂ©cret dans notre pays, je ne lâaurais pas cru. Si on mâavait dit que les librairies seraient considĂ©rĂ©s comme « non-essentielles » je ne lâaurais pas cru. Si on mâavait dit, par raisonnement ubuesque, que les livres seraient interdits dans les supermarchĂ©s en 2020, jâaurais pensĂ© Ă une fiction de Ray Bradbury.
Si on mâavait dit quâun journal allemand centriste jugerait « autoritaire » et « si rĂ©pressif » le confinement Ă la française quâil qualifierait notre pays dâAbsurdistan, jâaurais cru Ă une plaisanterie de Borat.
Si on mâavait dit que tout promeneur serait banni des montagnes et des forĂȘts sept jour sur sept tandis que les chasseurs auraient le droit de sây balader pour y effectuer leurs « prĂ©lĂšvements », jâaurais pensĂ© que cette privatisation de lâespace public ne pourrait jamais arriver. Si on mâavait dit quâun hebdo allemand centriste, Die Zeit, jugerait « autoritaire » et « si rĂ©pressif » le confinement Ă la française quâil qualifierait notre pays dâAbsurdistan (1), jâaurais cru Ă une plaisanterie de Borat. Si on mâavait dit que 45 dĂ©putĂ©s (de droite) seraient les seuls sur les 577 Ă©lus de lâAssemblĂ©e Nationale Ă demander une suspension de cette rĂšgle aberrante du 1h/1km, je me serais Ă©touffĂ©. Si on mâavait dit que ladite AssemblĂ©e accepterait, en avalisant lâĂ©tat dâurgence permanent, que lâexĂ©cutif sâessuie les pieds sur cette mĂȘme reprĂ©sentation nationale, jâaurais cru vivre en Hongrie ou en Pologne.
Grand Colon, massif de Belledonne, 13 novembre 2020. Photo Alain Herrault.
Si on mâavait dit quâil suffisait dâadhĂ©rer Ă la FFE (Ă©quitation) pour avoir le droit de randonner Ă cheval Ă lâextĂ©rieur, afin, je cite, « dâassurer les activitĂ©s physiques nĂ©cessaires au bien-ĂȘtre des poneys et des chevaux » (2), jâaurais cru Ă une fake news du Gorafi. Si on mâavait dit que la gendarmerie enverrait deux vĂ©hicules et un hĂ©licoptĂšre pour tenter dâattraper une poignĂ©e dâamoureux de la libertĂ© qui ont tracĂ© un coeur lumineux sur les flancs de Belledonne vendredi dernier, jâaurais cru Ă une farce grolandaise. (3) Et pourtant : tout cela est arrivĂ©. Il fallait effectivement adhĂ©rer Ă la FFE (ou Ă la FNC) cet automne si on aime la nature, dâautant quâil est bien connu que la pratique du cheval, et celle de la chasse, ne causent aucun accident (4).
Si on aime la nature en cet automne 2020, il fallait ĂȘtre chasseur ou cavalier.
Dans le monde de la montagne, aucune des deux fĂ©dĂ©rations nâa dĂ©fendu la libertĂ© de pratique des amateurs contre ces dĂ©cisions qui minent les clubs et les associations, qui empĂȘchent les jeunes de faire du sport, tandis que le haut-niveau et ses cadres « bĂ©nĂ©ficiant dâune dĂ©rogation du ministĂšre des sports » se pavanent sur les glaciers de Tignes pour lâune dâelle. Seul le Syndicat National des Guides de Montagne a brisĂ© ce silence assourdissant en demandant, le 10 novembre, que les activitĂ©s de pleine nature ne fassent pas lâobjet de restrictions dâaccĂšs, « pour tous les amateurs » (5), rappelant que « le lien Ă la nature est un Ă©lĂ©ment essentiel de lâĂ©quilibre de lâĂȘtre humain ».
Jouer au chat et Ă la souris, comme les poĂ©tiques randonneurs du Grand Colon – que les gendarmes nâont pas attrapĂ©s – pour avoir droit Ă la libertĂ©, celle qui orne le fronton des mairies. Faire feu de tout bois, marteler lâĂ©vidence : de lâespace et une bonne santĂ© contre un virus.
La bonne nouvelle, câest que nous sommes de plus en plus nombreux.
« Illuminer l’obscurité« . Un coeur flotte sur la ville, 13 novembre 2020. Photo Emmelieke Odul.
(1) Source Die Zeit. Et rĂ©fĂ©rence Ă lâAbsurdistan, imaginĂ© par lâĂ©crivain Gary Shteyngart dans le livre du mĂȘme nom, satire dâun petit pays colonisĂ© par les compagnies amĂ©ricaines, oĂč couve une guerre civile montĂ©e de toutes piĂšces.
(2) communiquĂ© FFE  dont le protocole mis en place avec l’autoritĂ© stipule que  » Chaque Ă©quidĂ© doit pouvoir sortir dâune Ă trois fois par jour, sept jour sur sept, selon ses besoins physiologiques quotidiens, afin dâavoir suffisamment dâexercices, assurer son bien-ĂȘtre et ainsi Ă©viter toute complication vĂ©tĂ©rinaire. Une Ă trois personnes diffĂ©rentes maximum par jour peuvent ĂȘtre affectĂ©s par le poney-club ou le centre Ă©questre Ă chaque Ă©quidĂ© pour assurer ces sorties, tout en respectant le plafond de six personnes simultanĂ©ment dans la mĂȘme aire de pratique.«Â
(3) un coeur lumineux de plus de 600 mĂštres de pĂ©rimĂštres sur le Grand Colon, bien visible depuis Grenoble et le GrĂ©sivaudan, le 13 novembre de 18 Ă 19h, pour « illuminer l’obscurité« .
(4) Accident de chasse en IsÚre (chute dans le massif de Belledonne) hier, un homme griÚvement blessé.
Deux autres accidents graves (blessés par balles, tir croisé) en Hérault le 20 octobre dernier.
(5) Source communiqué SNGM.