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Vivian Bruchez, histoires d’ouverture, de pente raide et de ski

Vivian Bruchez à l'Envers des Aiguilles ©T. Guerrin

Guide, spécialiste du ski de pente raide, Vivian Bruchez écume son jardin saison après saison. Des Aiguilles Rouges au massif du Mont-Blanc qu’il connaît bien, il cherche de nouvelles lignes mais aussi de nouvelles façons d’imaginer le ski de pente raide. Des descentes plus ou moins difficiles, discontinues, mais aussi des secteurs moins exposés où transmettre sa passion. Vivian nous raconte ses deux dernières aventures en pente raide.

Si l’on voulait définir le ski de pente raide, on pourrait dire que c’est l’art de descendre rapidement des montagnes escarpées pour des alpinistes pas pressés. Alpinistes ? Dans ce cas-là, le skieur en est un, sens de l’itinéraire et pose de relais inclus. Pas pressés ? « Cela fait depuis 2017 que je photographie cette face sud-est du Mont Oreb depuis la brèche nord de Praz Torrent, avec toujours en tête cette ligne. Chaque année depuis 6 ans… » raconte Vivian Bruchez. Habitant Vallorcine, le guide spécialiste de la pente raide se dit « heureux d’avoir pu la parcourir avec Tom Lafaille. On n’a pas été déçus du voyage ! » Depuis Vallorcine, le mont Oreb se distingue parfaitement. Le mont Oreb ? A 2634 mètres, c’est un sommet issu de l’arête est du plus connu mont Buet (3098 m). C’est là que Vivian a emmené ses spatules. Une fois encore. 

Cela fait six ans que je surveille cette ligne

Il est nécessaire parfois de raconter à chaud son aventure en montagne, ses émotions. Mais parfois aussi, il est bon de laisser couler l’eau des torrents pendant quelques jours, quelques semaines. Pour faire la part des choses, savoir pourquoi une certaine dose de risque mérite-t-elle d’être prise. Au téléphone Vivian revit cette descente du mont Oreb : une nouvelle première en ski de pente raide, et sa quatrième descente sur ce sommet qui est un peu – comme les Aiguilles Rouges – son jardin. Sur Praz-Torrent, le sommet voisin, Vivian Bruchez a skié trois nouvelles lignes. Le mont Oreb ? « J’ai skié tous les versants de ce sommet » explique Vivian.

Il faut tourner autour d’un sommet pour en déceler les failles. « La voie la plus accessible est celle par laquelle nous sommes montés cette fois-ci est versant sud-ouest. Le versant nord est une classique du ski de pente raide. 2013 je construisais ma maison à Vallorcine et je voyais qu’il y avait du potentiel, de l’ampleur. En 2018 j’ai skié une ligne dans le versant nord-est. Le départ sur une arête est très impressionnant, il y a beaucoup de vide ! » Le ski de pente raide, c’est d’abord chercher des infos. Puis des conditions. Et ensuite, faire que les planètes s’alignent avec un (bon) compagnon de cordée. 

Au mont Oreb ©Bruchez/Lafaille

Vivian Bruchez, chez lui, à Vallorcine. ©Jocelyn Chavy

Skier à vue pour de bonnes raisons

Le ski de pente raide est un club dont les membres s’écoutent, partagent, ou se scrutent, c’est selon. « Anselme Baud avait skié dans ce secteur dans les années 80, il avait emprunté les pentes plus à gauche sur le haut de l’itnéraire. La partie basse en revanche est commune. Le couloir de la partie haute se dessine très bien depuis la gare du Buet. On a choisi de remonter par la voie normale du Mont Oreb pour éviter les risques de chutes de pierres car c’est encaissé » raconte Vivian. D’où l’idée de se lancer « à vue » dans l’itinéraire : mille mètres de face, rien de moins.

C’était le 15 février. « On a équipé un relais en rive droite du couloir pour passer « la cascade », un rappel de 60m, et équipé un autre relais pour sortir de « la rampe », un rappel de 30m. Tout le reste est bien skiant ». Côté technique, et mental, Vivian ne part jamais sans un kit cordelettes et pitons : « cela fait partie de la ligne. Il y a ce désir chez moi que ce soit répété. Pour que ce soit inspirant pour d’autres il faut des relais béton. Après le but n’est pas de descendre en rappel mais de connecter des sections skiables ! »

Tom et Vivian au mont Oreb ©Lafaille

Dré dans l’pentu ©Bruchez

Désir d’ouverture et de partage

Est-ce le prix à payer pour ouvrir de nouvelles lignes, dans les Aiguilles Rouges ou dans le Mont-Blanc, des massifs très fréquentés depuis longtemps ? « J’aime découvrir aussi d’autres secteurs. Quand j’habitais à Argentière je ne connaissais pas l’existence de sommets comme ça. » Vivian Bruchez voit aussi une évolution, à laquelle il participe, de la pente raide. « Aujourd’hui il n’y a pas que des itinéraires classiques de la pente raide. On ouvre aussi des lignes plus courtes, parfois très techniques. Du ski où l’on ne cherche pas le sommet, mais l’originalité de la ligne. On met au jour aussi des secteurs d’initiation à la pente raide, comme le triangle du Chardonnet ».

Situé sous le versant ouest de l’Aiguille du même nom, ce secteur a été prospecté par Julien « Pica » Herry. Puis Vivian Bruchez et d’autres ont tracé des lignes qui, si elles n’ont pas l’ampleur des faces nord situées en face, sont plus abordables. « Facile d’accès, pas hyper raide, pas très exposé, parfait pour se mettre en conditions, ou pour progresser, avec vue sur les faces nord du bassin d’Argentière ». Du ski plus orienté plaisir que mission. Il y a dix ou quinze ans, la pente nord-est des Courtes était censé être la porte d’entrée vers le ski de pente raide : aujourd’hui, « ce n’est plus le cas ; la rimaye est plus grosse, la pente s’est creusée, des rochers sont apparus, bref, c’est plus difficile » et pas du tout une course pour « s’initier » à l’activité. 

Vivian anime les stages Steep by Step proposés par la Chamoniarde aux skieurs de 18-25 ans pour s’initier à la pente raide

La pédagogie, et la transmission, sont des thèmes qui lui tiennent à coeur et pour cause. Avec La Chamoniarde, qui oeuvre pour la prévention et le secours à Chamonix, Vivian Bruchez anime des stages d’initiation pente raide ouverts aux jeunes 18-25 ans : « c’est la troisième année que nous faisons ces stages Steep by step  : on y voit comment progresser, avec des trucs et astuces, mais aussi gérer le risque, comment s’encorder, pourquoi choisir tel couloir et pas tel autre. » Identifier le danger ? « Oui, mais moi aussi je me nourris de leur retour. Cela me permet de progresser moi-même. »

Virage sauté au mont Oreb ©Lafaille

Virage plein gaz à l’Envers des Aiguilles ©Bruchez

Skier à l’Envers des Aiguilles ?

Le ski de pente raide est pour Vivian Bruchez « une discipline extrêmement riche. Tu peux vivre des super aventures dans des itinéraires qui n’ont pas à être extrêmes, ou qui n’ont pas de nom ! Bien sûr plus jeune j’ai voulu skier les grandes classiques, les couloirs en pente raide. J’ai rencontré Kilian Jornet en 2012 qui m’a amené une vision différente, plus créative » raconte Vivian.  Un Kilian avec qui Vivian descend l’éperon Migot au Chardonnet à skis, une voie d’alpinisme à la montée. Dix ans plus tard, et avec un esprit très ouvert, l’oeil de Vivian continue de chercher là où ses spatules pourraient le mener. Une sortie avec Thomas Guerrin du côté de la Brèche de Tré la Porte lui fait de nouveau reluquer le secteur de l’Envers des Aiguilles de Chamonix. Skier au milieu des voies d’escalade ? Pourquoi pas.

On était dans un des trucs les plus raides que j’ai pu skier

C’est par le glacier des Nantillons, voie d’accès à Blaitière et au Grépon que Vivian Bruchez et Thomas Guerrin sont montés. Entre le Bec d’Oiseau et la pointe des Nantillons, une brèche parfaite laisse entrevoir la mer de Glace, mille deux cents mètres plus bas. « Pas de corniche, pas de rappel, nous descendons vingt mètres en désescalade avant de chausser les skis » explique Vivian. Au milieu des dalles de granite, un coup de couteau laisse une trace blanche, étroite, sans issue. Un très fin couloir, très raide.

« Là, tu t’embarques dans un des trucs les plus raides que j’ai pu skier » détaille Vivian, qui, entre autres, a skié le proche Pain de Sucre. « C’est hyper encaissé. Tu fais ton virage au millimètre. Tu skies à proximité des relais de voies d’escalade ! Les virages sont très techniques. C’est un entonnoir et là aussi je me voyais mal le remonter d’en bas, d’autant que le début semble difficile. Nous sommes donc descendus à skis avant de remonter à pied pour basculer versant Chamonix à nouveau ! » Remonter est moins risqué, et finir la ligne en rappel ne les attire pas plus que ça. « Je suis tous les jours en montagne. Si tu pousses le bouchon tous les jours, tu ne fais pas long feu. Je cherche donc des projets où je peux minimiser le risque. Et entre deux options, je choisis la plus safe ». 

Dynastar M-Vertical 88 F-Team

le ski de Vivian Bruchez

« C’est un ski que je skie court pour mes projets techniques comme la descente du mont Oreb ou celle de l’Envers des Aiguilles : dans ce cas j’ai le Dynastar M-Vertical 88 en 164 cm (je fais 1m80). J’ai aussi le 172 cm.

Cela permet de skier des itinéraires étroits, mais pas seulement. Tu as moins d’encombrement sur le sac, et moins de poids aussi ! Tu as un gain dans les conversions. Dans le ski de rando la pratique expert fait évoluer le ski de rando classique. 

Je suis persuadé que tout le monde va redescendre en taille. Quand tu skies avec un ski plus court tu skies forcément moins vite quand la neige est bonne.

Mais ce n’est pas un argument : le ski de rando c’est savoir skier partout. Il faut être un skieur tout terrain. Après, j’ai la chance avec Dynastar d’avoir plusieurs paires de ski de rando. Entre le 88 et le M-Tour 99 F-Team c’est difficile de choisir si je ne devais en garder qu’un seul. Au final, si je devais choisir, je prendrai le 99 dans une taille assez courte, en 170 cm. Court et un peu large, pour la glisse, le plaisir : c’est l’élément-clé, non ? »

Le topo du mont Oreb

Le topo de la descente Envers des Aiguilles