Notre Père qui êtes aux cieux, donne nous aujourd’hui la force d’ancrer nos piolets, et abreuve nous généreusement de houblon, Amen. Au Pérou, impossible de ne pas remarquer Matthew et son optimisme débordant, sauce Amérique profonde. Un andiniste made in Idaho, suite de notre série Drôles de rencontres.
FIRE, GET OUT THERE !!
Un coup de pied puissant catapulte l’auvent de paille qui sert de porte et nous ensevelit dessous. Réveillés en sursaut, nous décampons hors de la cabane, en caleçon dans les épineux humides. La première rencontre avec Matthew et son collègue Sam est un peu précipitée. La cahutte voisine, collée à celle où nous dormons, a pris feu pendant la nuit. Le toit de paille craque et s’effondre alors que nous sortons nos affaires, toujours à poils.
Nous sommes à Hatun Matchay aussi appelé Bosque de Piedras, un coin connu des grimpeurs péruviens et étrangers. Avec une pluie quotidienne, nous comprenons vite que nous avons affaire à un incendiaire. Le bruit d’une voiture qui démarre à fond de train dans la pampa, la paille mouillée qui prend feu soudainement, le robinet d’eau cassé et, comble de la mesquinerie, les allumettes usagées retrouvées dans notre bidon d’eau : pas besoin d’être Sherlock. Nous apprendrons que c’est là l’œuvre d’Andrès, l’ancien gérant du refuge de Hatun Matchay, lui aussi incendié. Furieux de ne plus pouvoir rester dans son refuge à cause d’un contentieux entre lui et les propriétaires, il s’acharne à faire fuir les touristes à coups d’incendies et d’arrachage sauvage de spits.
L’enthousiasme collé au visage, il aime la bière, la glace et quand ça engage.
En attendant, la lune péruvienne imperturbable jette sa lueur sur notre quatuor franco-américain qui fait connaissance autour de ce feu de la Saint Jean inopiné. Ils sont deux, venus de l’Idaho, terre de grands espaces à la frontière du Canada. L’objectif du trip : leur premier 6000, si possible par un itinéraire d’envergure. Sam, étudiant infirmier, accompagne son buddy Matthew, cheveux longs, doudoune Patagonia étincelante et en quête de tough adventures dans ces Andes lointaines, véritable Eldorado d’altitude. Matthew, c’est l’Amérique qui nous saute dessus entre deux empeñadas. L’enthousiasme collé au visage, il aime la bière, la glace et quand ça engage. Ses anecdotes préférés : quand il a englouti 32 canettes de Budweiser (la bière made in USA) en une soirée et quand il a sorti un cigare de glace suspendu après s’être pris un gros vol sur ses broches à glace. Pour financer ses sorties, ce redneck avoué et aficionado de Trump cumule son boulot dans le bâtiment avec un business bien américain appelé jail bonding. En vogue outre-Atlantique, cela consiste à avancer le paiement de la caution d’une personne arrêtée, moyennant remboursement et commission avantageuse. La personne sous les barreaux pourra alors sortir de prison en attendant son jugement. Dit comme ça, on serait tenté de s’éloigner du personnage. Mais le bonhomme est attachant, toujours partant et il ne manque jamais de payer sa tournée.
Walk on the wild side
Matthew ne dira jamais qu’il s’est fait peur. Avec force exclamations, il dira plutôt : « Hell yeah buddy, c’était complètement sick ! Trop badass comme ambiance ! » Au retour de Hatun Matchay, les deux compères veulent compléter leur acclimatation avant le 6000 convoité. Avec l’esprit des premiers pionniers américains, ils se lancent dans la face Sud-Ouest du Nevado Churup, qui culmine à 5493 m au-dessus du lac du même nom. Les raides pentes de neige pulvérulente, typique du Pérou en ce début d’été, les contraignent à rebrousser chemin deux longueurs sous le sommet, après une journée placée sous le signe de l’engagement. Même les estacas (pieux à neige) sont peu de choses dans ces conditions. Cet épisode n’entamera pas une motivation à toute épreuve, et sera prétexte à plusieurs beuveries arrosées de Cusqueña, la bière locale, en attendant d’être d’attaque pour la suite. Après le classique passage à vide de tout gringo, autrement nommé tourista, Matthew et Sam réaliseront leur rêve avec l’ascension du Tocllaraju, la bien nommée « lance de glace » en langue quechua !
Ce n’est pas pour rien que bière et grand air riment si bien.
Hommes de grands espaces avant tout, nos américains ont l’aventure chevillée au corps et le superlatif collé à la bouche. On aime ou pas. Avec Matthew en tout cas, le terrain d’entente est évident, et commun à beaucoup d’autres croisés sur les sommets. Ce n’est pas pour rien que bière et grand air riment si bien.
La Voix des Cimes
Pendant 9 mois, autour du monde en quête d’aventures et de rencontres montagnardes sur chaque continent, Arthur Lachat et Corentin Mehu se sont rassemblés sous le drapeau de La Voix des Cimes. Ce récit est tiré d’une suite de portraits réalisés à chaud, sur le vif, alors qu’ils prenaient pied sur la Cordillera Blanca péruvienne, après s’être gelés dans les Rocheuses canadiennes et perdus dans le bush néozélandais.