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Trail et ski-alpinisme : Oriol Cardona, Catalan à suivre

Le nouveau Kilian Jornet ?

Comme un certain Catalan, Oriol Cardona aime bouffer du dénivelé du côté de Font-Romeu. Comme son aîné, il est doué en ski-alpinisme, s’illustre régulièrement sur des courses de trail exigeantes et montagnardes tel le Buff Epic Trail qu’il a remporté haut la main cet été. Rencontre avec l’un des traileurs les plus prometteurs de sa génération, Oriol Cardona.

 

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oute ressemblance avec un trailer catalan existant est purement fortuite.
Ça sonnait un peu trop beau. Pures coïncidences, point de génétique, nenni de filiation hispanique. Et puis franchement, le jeu des 7 erreurs, pas vraiment respectueux quand on découvre un champion. Alors on s’est mis sur veille, posé la comparaison en sourdine. Oriol Cardona est espagnol, skieur alpiniste, et skyrunner. 25 printemps. Il ne lui manque que les épaules pour taquiner Camille Lacourt en photo. Oriol est sacrément doué. Fusée lancée en 2017, Mondiaux de ski-alpinisme : médaille d’or espoir. 6e en relais avec un certain Jornet.
Trail ? 904 de cote ITRA, soit un bon top 15 mondial. Mais avec un papa nommé Joan Cardona*, le berceau était béni : myrrhe de l’alpiniste réputé, encens du trailer renommé. Oriol, c’est cette cylindrée qui claque en skyrunning, et le vent qui murmure « Zegama » : terre où l’espagnol débarque en 2018, façon tornade. 2e du KV et 5e du 42K. Une fois de plus, le circuit Golden Trail prouve qu’il est l’un des plus pimentés du trail actuel, en attirant les plus explosifs des trailers. Jeunesse en prime.
Potentiel costaud et sourire so-smart, l’occasion était trop belle de poser le micro en sa compagnie : entre son Dolomyths (Golden Trail !) et sa Limone Extreme SkyRace…, c’est l’histoire de Font Romeu, d’un fou de pentes, et d’un type calme qui fait du bien. Ne pas s’y fier. D’ailleurs, le voici qui vient de remporter le Buff Epic Trail. Rencontre.

Oriol Cardona : catalan, espoir du ski-alpinisme, et bon top 15 mondial en trail. Vous avez dit doué ?

Oriol Cardona à l’entraînement. Photos ©Roger Salanova

Julien Gilleron : évacuons vite la question de la comparaison. Tu es jeune, espagnol, skieur et trailer. Directement haut niveau. Kilian t’a accompagné en compétition : est-il un modèle, une motivation pour te dire « c’est possible » ?

Oriol Cardona Coll : Kilian, c’est avant tout un ami que je connais depuis longtemps. Ensuite, c’est une personne qui a accompli des choses hors du commun. Par son travail, il a prouvé et continue de prouver que quasiment rien n’est impossible. J’en retiens énormément cette notion de possible ET d’effort. Ça, c’est inestimable : de telles sources d’ouverture à ta pratique, ou à l’aventure personnelle. Pas un modèle, plutôt une source d’apprentissage colossale. Ma référence première reste mon père, Joan Cardona : l’un des premiers catalans qui ont commencé à pratiquer le trail à bon niveau au delà de l’Espagne. Il m’a introduit dans le monde de la montagne, et du dépassement de soi dans ce cadre ; alpiniste reconnu et skieur haut niveau, athlète pur.

JG : ton parcours de coureur est homogène et cohérent : des formats courts, mais surtout les courses les plus exigeantes et montagnardes (Zegama, Livigno, Limone…). Est-ce calculé ?

OCC : Oui, j’ai de suite visé les courses au niveau le plus relevé. Tout simplement, car c’est le meilleur moyen, et la vérité du score, pour savoir ton propre niveau. Tu peux fanfaronner en courant une ribambelle de courses, solides mais peu révélatrices du niveau d’exigence mondial actuel. Tu gagnes ou tu fais des scores, tant mieux, et ton estime en a besoin, OK. C’est humain. Mais je souhaite rester lucide, en voulant me confronter aux rdvs les plus difficiles (Zegama, Dolomyths) : là, ma source de motivation et de connaissance de moi-même, est au top. C’est le sens de la compétition, telle que je la pratique, et ma conception. Une amélioration, un dépassement, et une connaissance de soi-même en progrès constant.

VISER DES COURSES AU NIVEAU LE PLUS RELEVÉ, C’EST LE MEILLEUR MOYEN DE SAVOIR RÉELLEMENT CE QU’ON VAUT.

JG : Portes-tu une réelle préférence pour les formats skyrunning, entre 30 et 40 km ?

OCC : J’ai débuté le trail sur des formats Vertical Race, ou 15<20K, il y a 3 ou 4 ans. Ensuite, j’ai commencé à courir des marathons, Zegama n’était que mon second et j’avais même un peu peur : 4h en courant, ça me semblait beaucoup ! Mais surprise, vraiment, en terminant 5e en 2018. Là, je me suis dit pourquoi pas, surtout que c’était l’opportunité de trouver des courses à très haut niveau international. C’est à ce moment que j’ai commencé à m’y mettre sérieusement, en concevant le trail comme une réelle saison à préparer. Avant, je restais un peu dilettante. Depuis, le trail m’occupe ! Mais le marathon restera pour un moment ma distance maximale : je suis encore jeune, et dispose de vitesse pour courir des 20, 30 ou 40K. Or, en trail, comme tu sais, le pic de performance sur le long, arrive avec les années. A mon âge, je veux profiter de cette vitesse ou explosivité pour donner le max sur du court. Profiter, profiter, et m’amuser…svp !

©Roger Salanova

JG : As-tu déjà planifié ta carrière ? Y a-t-il un parcours construit de 40, à 70, puis 100Km, 160 ?

OCC : J’essaierai, j’y viendrai c’est un projet. Mais en commençant par 60 voire 70K…ça m’impressionne trop encore, et mon focus reste le « court ». Quand tu y penses…déjà un marathon me semblait costaud ! Tranquilo comme on dit, tranquilo et disfrutar… (NDLR : « du calme, et déjà profiter »)

JG : Kilian courait pour s’entrainer, et pour skier plus fort. Comment es-tu passé au trail ?

OCC : J’ai commencé à courir pour attendre…l’hiver ! Et oui, car mon objectif principal restait le ski et la compétition. Pas grand-chose à faire pour ne pas perdre la forme hors saison, même à Font Romeu lorsque l’on préfère les spatules ! La course a débuté ainsi. Ne pas perdre la motivation non plus, c’est pourquoi je me suis aligné sur quelques courses verticales, courtes. Me croiras-tu ? Le trail n’est devenu un objectif en soi que très récemment !

La joie d’Oriol Cardona, qui remporte le Buff Epic Trail 42K 2019. ©Roger Salanova

JG : Conserves-tu des objectifs compétitifs en ski, ou préfèrerais-tu désormais le trail ?

Le ski, c’est complet ! Je préfère les pentes et le ski alpinisme, oui. C’est tellement un univers en soi, la neige, l’environnement et l’effort spécifique, le milieu très spécial mais rassurant…Je suis heureux de performer en trail, mais le ski reste minoritaire dans l’esprit et la connaissance du public. Or, je m’y sens mieux car je suis…meilleur en ski !

JG : Quelles seront tes prochaines courses ? Ton objectif principal est-il le circuit Golden Trail ?

OCC : Cet été, je voulais les 2 circuits : Skyrunning World Series (NDLR : déjà 4 courses de – très bien – faites), et Golden Trail. Mais je n’ai pas été au top sur le Marathon du Mont Blanc (Golden Trail) et je ne pense pas intégrer le top 10. Donc j’ai décidé de recentrer mon objectif sur le Skyrunning World Series. Je viens de courir 8 courses, donc les 3 prochaines semaines, ce sera repos complet pour moi. J’en ai besoin, pour recommencer l’entrainement en vue de la finale, à Limone (19 octobre prochain, NDLR). Ensuite, on verra si d’autres trails ou pas, car je souhaite me concentrer sur ma saison hivernale. Je donnerai tout à Limone, puis destination la prépa ski…

JG : Retour sur Zegama-Aizkorri 2019 : qu’as-tu pensé du niveau, et surtout des départs extrêmement rapides et surprenants ?

OCC : Et cette chaleur ! En effet, les pronostics ont été chamboulés, par la météo mais aussi par la tension compétitive de chacun. C’est aussi ça l’effet Zegama, tout le monde arrive remonté comme une horloge. Ça ne me surprend pas, on est toujours sur des départs canons à Zegama. Mais la présence de Kilian augmentait peut-être d’un cran la tension, l’envie ou la « saine trouille » des compétiteurs. Tu l’as vu, même lui n’a pas pu claquer de record, mais a signé un temps même inférieur à ses résultats antérieurs sur Zegama.

La présence de KILIAN à zegama a certainement augmenté d’un cran la tension, l’envie ou une saine trouille d’en découdre des compétiteurs.

JG : Peux-tu skier ET courir en compétition sur une même saison, ou la préparation est-elle trop exigeante pour performer dans les deux sports ?

OCC : Ce n’est pas évident. Je pense que c’est jouable sur deux ou trois ans, mais qu’il faut se décider ensuite. Le corps encaisse trop, le mental aussi sur des formats certes courts, mais où l’on donne tout d’une autre façon. Ou alors faire moins de courses pour planifier au plus efficace. Car le problème, c’est qu’il y a beaucoup de courses : or, quand la pleine saison est lancée, ton objectif reste la compétition et le repos, point. Plus le temps de s’entrainer, faire de longs blocs, il y a le feu ! Et le pic de forme diminue. Du coup, c’est là où tu dois gérer au mieux l’alternance repos/training/grands rendez-vous. Impossible de suivre ceci avec beaucoup de courses. C’est pourquoi l’an prochain, je vais réduire mes participations (ski et trail) afin d’arriver encore plus frais sur les challenges.

JG : Coté entrainement, le ski peut-il te servir à 100% pour le trail, ou es-tu obligé de suivre un entrainement spécifique en course à pied ?

OCC : je vais prendre un cas concret…le mien. Une fois que j’ai terminé la dernière Coupe du Monde de ski, je devais penser à la saison de trail à peine…trois semaines après ! Le point fort, c’est que tu as un cardio et un physique plus que solide en sortant d’une saison d’hiver. En revanche, le musculaire reste très différent sur pas mal de point, entre une foulée et une glisse, la gestion des impacts, réhabituer le corps…etc. Le problème est là, celui de la transition. Il faut bien quelques semaines d’adaptation. Par ailleurs, il te faut maintenir des séances très techniques durant ta saison de ski ; à contrario du trail qui reste plus instinctif, sans besoin de gros travail technique.

JG : Parlons nutrition. Deux phrases que l’on entend souvent : « Vu ton activité, tu peux te le permettre ! » ou « A ton âge, tu as de la marge ! ». Ton approche est-elle Nutella-junk-food, ou légumes-fruits-qualité ?

OCC : Imagine le mental déjà soumis aux restrictions, quand tu t’entraînes pour être le meilleur ou te sentir au top ! Dur…alors ma vision est assez modérée : je tâche d’éviter…le stress supplémentaire par la nourriture ! pour la comparaison, même chose pour l’entraînement en salle : pourquoi se flageller autant !! Donc je suis plutôt « bon élève », fou de fruits et assez végétal dans l’âme. Par contre, aucun scrupule pour aller m’enfiler pizza, ou autre plaisir pas du tout coupable – sucré ou salé, car je ressens que mon bien être psychologique en tirera bénéfice. En bref…je mange tout ce que je veux.

JG : Ne penses-tu pas que le trail a « volé la vedette » au ski alpinisme, en médiatisant des montagnards excellents mais qui n’auraient pas été vraiment connus grâce au ski ?

OCC : Le problème du ski alpinisme, c’est peut-être qu’il reste particulièrement sélectif : tu as besoin du matériel, de la préparation au risque en montagne, du lieu…En trail et au-delà du mythe, cela reste simple. Une paire de chaussures et un short, et une polyvalence de saisons. Plus abordable, et donc nettement plus de coureurs que de skieurs. Assez simplement. Oui, le ski reste spectaculaire au niveau image, média ; le potentiel visuel et d’engagement physique d’épreuves comme la Pierra Menta, c’est énorme ! Mais combien parviennent à ce niveau de performance, et du coup combien sont concernés par une médiatisation large ? C’est aussi sans doute la raison pour laquelle les médias y restent encore fermés – à tort. Ça viendra, j’en suis sûr. Du moins j’espère…Mais pas de rivalité entre les deux sports je pense. Un skieur-alpiniste devient connu…lorsqu’il commence à faire du trail ! Rémi Bonnet, Davide Magnini, ou tout simplement Kilian Jornet… cherchez l’erreur.

 

 

 

*NDLR : Le père d’Oriol Cardona a été le premier catalan de Gérone sur l’Everest, a gravi plusieurs Cho Oyu, et le Kangchenjunga.