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Quand des skieurs et grimpeurs de haut-niveau découvrent l’alpinisme aux pointes Lachenal

©Jocelyn Chavy

Prenez une quinzaine d’athlètes sponsorisés par une grande marque de matériel de montagne telle que C.A.M.P. Parmi eux, la moitié sont grimpeurs, les autres sont skieurs, tous le sont en compétition. Ils maîtrisent leur sujet sur le bout des doigts. Mais que se passe t-il si vous les emmenez découvrir un autre versant de la montagne et de la verticalité, loin des salles d’escalade ou des traces balisées des courses de ski-alpi ? C’est ce que nous avons fait en partant avec eux découvrir l’alpinisme dans le Mont-Blanc, aux pointes Lachenal, pour une sortie abordable mais pimentée par la météo. Le tout était encadré par quelques guides du team, à la bonne humeur communicative. Reportage avec des sportifs de haut niveau en haute montagne.

Au départ du téléphérique de l’aiguille du Midi, deux générations de montagnards se rencontrent. D’un côté, les jeunes grimpeurs du team C.A.M.P. retrouvent leurs collègues skieurs. Ils ont entre 16 et 37 ans et tous évoluent au plus haut niveau en compétitions internationales. De l’autre côté, des guides du team C.A.M.P. sont là pour leur faire découvrir la haute montagne. Il y a là des gens tels que Paul Bonhomme (à la veille de sa traversée du Jura en 4 jours), des noms souvent cités, dans nos articles sur le dry-tooling notamment, tels que Stéphanie Maureau, Yann Gérome ou Pierre Boucher, mais aussi Didier Angelloz (amoureux du rocher et ancien compagnon de cordée de Patrick Berhault) et Bertrand Sanglard, très engagé au comité 74 du club alpin) venu en renfort aux côtés de ses confrères. Ils préparent leur sac d’un geste sûr, comme ils l’ont déjà fait des milliers de fois. Ce n’est pas le cas des jeunes à côté. Faire un sac pour une activité inconnue, dans un milieu inconnu est une nouveauté en soi. « C’est lourd à porter tout ce matériel ! » s’exclame Louise Puech Yazid. À 16 ans, Louise est championne de France de bloc et vice-championne d’Europe en bloc. Format poids-plume, elle survole les blocs de résine de Chambéry. « Ça change de l’escalade ! » confirme sa copine de club Sophia Douglas, 17 ans.

Du selfie à l’aiguille du Midi, pour Sophia et Louise… ©Ulysse Lefebvre

… aux premiers pas, avec crampons et piolets, encadrées par Yann Gérome. ©Ulysse Lefebvre

À côté, trois ou quatre jeunes se préparent mais leur sac est plus vite bouclé, leur style vestimentaire, plus près du corps, indique leur domaine de prédilection : « Mon sport c’est le ski-alpinisme. Mais en fait, c’est du ski de randonnée avec un peu des arêtes mas pas aussi rocheuses, pas aussi raides qu’en « vrai alpinisme » explique Lorna Bonnel, 37 ans, avant d’ajouter « C’est vraiment une bonne idée cette sortie, pour découvrir un univers, avec les copains grimpeurs et surtout avec des guides ! ». Les guides, eux, sont prêts à les emmener dans la traversée des pointes Lachenal, course classique et abordable (AD-, 4a) à quelques encablures de l’aiguille du Midi. Mais pour les atteindre, il faut d’abord descendre l’arête de l’aiguille justement, avant de traverser le glacier du col du Midi. Et avec le mauvais temps qui approche, tout peut se compliquer et apporter son lot de piment. 

Une collective bien choisie en ce jour de mauvais temps et de montagne désertée. Les pointes Lachenal rien que pour nous ! ©UL

©UL

Haute montagne, premier contact

L’arrivée à 3800 m, au sommet du téléphérique de l’aiguille du Midi, est une première étape. Et ce n’est pas anodin de prendre autant d’altitude en si peu de temps. « C’est dur de se mettre dedans. J’étais essoufflée au début » raconte Juliette Pouget, jeune grimpeuse de 20 ans. Mais la vue, encore dégagée, et l’excitation prennent le dessus. Les selfies s’enchainent avant que l’on ne passe à l’équipement. Casque, piolet, crampons, baudrier, encordement, lunettes de soleil (même sans soleil), gants et veste étanche : tous les réflexes des alpinistes avertis sont à appréhender pour les novices.

D’habitude, en grande voie,
j’y vais seulement
quand il faut beau

La pédagogie est rafraîchissante : emmener des débutants c’est se poser encore et toujours les questions de base. Les guides connaissent ça par coeur. Parmi eux, un futur guide du team Camp observe tout ce petit monde se mettre en route : « Ça me fait une bonne révision pour mon stage d’aspirant-guide dans une semaine ! C’est intéressant de voir comment les grimpeurs appréhendent ce milieu là. Ils se défoncent sur un mur mais la haute montagne leur est totalement étrangère. Les skieurs ont peut-être plus l’habitude de la neige et sont plus à l’aise avec le matériel » observe Virgile Devin, 23 ans et vainqueur de la coupe du monde d’escalade sur glace à Saas Fee cet hiver. 

Paul Bonhomme toujours en forme… ©Jocelyn Chavy

… accorde les montres avec sa cordée de skieurs-alpinistes bien remontés ! ©JC

Premiers pas. ©JC

Ilaria Scolaris avec Bertrand Sanglard dans l’attaque de la traversée des pointes Lachenal. ©UL

Dès la descente, même si l’effort physique est modéré, la pression mentale surgit sans prévenir avec le vide impressionnant côté nord, le paysage écrasant au sud. Il faut « juste » mettre un pied devant l’autre sur une trace large comme un trottoir. Sauf que le trottoir est en neige et plonge vers un bassin glaciaire perché à 3500 m d’altitude, entouré de sommets imposants tels que le Tacul (4248 m), la face sud monolithique de l’aiguille du Midi qui surplombe, la Dent du Géant au loin (4013 m)… avant la grande traversée glaciaire. Si les crevasses sont encore bien bouchées, l’ambiance est au rendez-vous, comme le rappelle le regard neuf de Juliette : « J’ai déjà fait des grandes voies mais quand là même, la neige ça met une sacrée ambiance. Et aussi les nuages, ça change tout ! D’habitude, en grande voie, j’y vais seulement quand il faut beau ! ». 

Virgile Devin, aspirant guide. ©JC

Juliette Pouget découvre le rocher de haute-montagne. ©UL

Pierre Boucher à l’assurage. ©JC

En compétition, on est à bloc
et on ne calcule pas les risques
on sait que c’est sécurisé
On est dans notre bulle

Stéphanie Maureau. ©JC

Le « vrai » alpinisme »

Au premier rappel, tout le monde se retrouve et se requinque avant que le mauvais temps n’arrive. Un sandwich pour les uns, une barre de céréales pour les autres, une clope pour Paul et Pierre. Les deux guides démontrent combien l’alpinisme dépasse les contraintes sportives en y injectant leur dose de plaisir.

On bouchonne tranquillement pour expliquer les manip’ et profiter des éclaircies fugaces vers la face est du Tacul, d’autant plus impressionnante qu’elle est isolée du reste du paysage par les nuages de plus en plus denses. L’arête se fait plus effilée par endroits. Louise imagine le pire : «  À un moment je me suis dit ah oui, ok, c’est par là, mais à gauche, c’est la mort et à droite, c’est la mort ! Ça change de l’escalade ! ». 

La plate-forme rétrécie à mesure que tout le monde se retrouve. Le vent qui forcit perturbe les équilibres et rapproche le vide. Prise de conscience ? Lorna exprime une forme d’engagement qu’elle ne connaissait pas ailleurs, même dans sa pratique du ski à haut-niveau et parfois à plus de 3000 m d’altitude : « C’est vrai que nous en course, on passe parfois sur des arêtes rocheuses avec un certain risque. Mais comme on est à bloc dans la compétition, on ne les calcule pas ces risques et on sait que c’est sécurisé. On est dans notre bulle. En alpinisme, comme aujourd’hui, on prend le temps, on regarde et on se rend compte davantage de l’environnement et de l’engagement nécessaire ». 

La vue se dégage un instant sur le Tacul. ©UL

Un Bonhomme apparaît. ©UL

Bastien FLEURY, guide et membre du PGHM de Chamonix, est venu renforcer l’équipe des guides. ©JC

Vieux loup de montagne, Didier Angelloz prépare tout ce petit monde à descendre. Il sait aussi que c’est dans les moments le plus anodins qu’il faut rester concentré, « surtout que les noeuds dans les cordes, c’est ma spécialité » plaisante t-il. Ceux qui ne perçoivent pas le second degré s’inquiètent, les autres rigolent. Mais les cordes filent vers le bas et sont rappelées sans problème. Les grimpeurs découvrent le rocher façon alpiniste : « Le granite avec des moufles, c’est une première ! C’est impressionnant comme les crampons collent sur le granite. Je pensais que ça allait être plus casse-gueule » s’étonne Alistair Duval. Ce qu’on lui expliquera plus tard, c’est que le plus dur avec les crampons sur le rocher, c’est de les préserver ! De son côté, Théo Ravanello, grimpeur du neuvième degré, se met à rêver de grandes envolées : « Tout me donne surtout envie de revenir grimper au Grand Capucin ! » 

Le granite avec des moufles,
c’est une première !

« En alpinisme on prend le temps, on regarde et on se rend compte davantage de l’environnement et de l’engagement nécessaire ». Lorna Bonnel ©JC

Stéphanie Maureau assure. ©JC

Didier Angelloz organise le premier rappel. ©UL

Deux cordées s’échappent vers la seconde pointe et sa petite pente mixte à remonter. Elle permet de tirer une longueur et de découvrir un aspect plus vertical de la discipline. Le reste de la troupe repart vers l’aiguille du Midi. La marche glaciaire est déjà une épreuve en soi, surtout à cette altitude. Il faut surtout garder de l’énergie pour remonter l’arête de l’aiguille du Midi, à peine 300 m de dénivelé positif qui finissent de vous couper les jambes. « Là je suis vraiment éclatée ! » souffle Ilaria Scolaris, grimpeuse italienne de 26 ans. Ilaria fait partie de l’équipe nationale mais s’entraîne elle aussi à Chambéry. « Déjà avec l’altitude, tu es plus vite fatigué. Mais même si on prenait des temps de repos, la dernière montée est très raide. Et puis en escalade on utilise moins les jambes ! »

©JC

Paul Bonhomme et les skieurs s’échappent vers la seconde pointe. ©UL

Découverte de la verticalité. ©UL

 On a surtout discuté dans la benne ! 

Si tout ce petit monde excelle chacun dans sa discipline, tous concèdent que la performance a tendance à exclure la polyvalence, au profit d’un entraînement très spécifique. « J’ai beaucoup aimé cette découverte de l’alpinisme. J’aimerais en refaire mais ça prend du temps par rapport à mon entrainement pour les compétitions » concède Ilaria. Lorna confirme : « Je manque de temps pour aller en montagne autrement. Les entraînements sont très spécifiques et demandent beaucoup de temps. On est concentrés sur nos entraînements, le fractionné etc. Et le mieux ça reste toujours d’être sur les skis ». 

Au retour, en passant sous l’imposante face sud de l’aiguille du Midi. ©UL

Didier Angelloz, Juliette Pouget et Alexandre Gilodi. ©JC

Dernier coup d’oeil sur la dent du Géant, qui émerge enfin des nimbes. ©UL

Tous ont apprécié cette première approche, d’autant que c’était également l’occasion de rencontrer des membres de leur équipe Camp qu’ils ne croisent finalement que très rarement. Ils ont aussi découvert l’un des hauts-lieu de sociabilité à Chamonix comme le conclut Sophia « On a surtout discuté dans la benne ! ». 

De retour à Chamonix, un verre de bière ou un coca à la main, chacun raconte ses impressions. Et les ressorts narratifs sont finalement les mêmes que ceux des alpinistes expérimentés qui reviennent des Grandes Jorasses ou du mont Blanc : la peur surmontée, l’effort enduré, les doutes effacés, pour aboutir au plaisir de l’avoir fait… et d’être bien rentré ! 

Fatiguées mais heureuses ! ©UL