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Skier le Mont Aiguille

Ski-alpinisme en Vercors

Boris Pivaudran en ski sur le mont Aiguille. ©V.D.

Mont Aiguille, ex Mont Inaccessible, ne l’est en tout cas pas en ski ! Peu le savent, mais des skieurs se sont frottés à ses pentes dès 1992 (Rémi Lécluse et Pierre Tardivel). Et si on skiait le Mont Aiguille ? Voilà une plaisanterie prise au sérieux par Boris Pivaudran, V.D. et Robin Bar pour du ski étonnamment bon sur cette tour apparemment toute en calcaire. Boris Pivaudran raconte cette drôle d’idée, le Mont Aiguille en hiver et à ski par la voie des Tubulaires. 

Nous avons désormais l’habitude des nouvelles lignes cachées, plus ou moins scabreuses et complètement vertigineuses qu’un Vivian Bruchez ou un Paul Bonhomme peuvent dégotter dans le massif du Mont-Blanc. Pour autant, le Mont Aiguille et sa forteresse rocheuse solitaire entre Vercors et Trièves ne viendrait a priori pas à l’esprit du skieur de pente raide comme un potentiel futur projet. Aussi, il fallait partir d’une blague pour rendre la chose plus badine. « Et si on skiait le Mont Aiguille ? » Un peu plus qu’une simple vanne quand même, puisqu’elle a déjà trotté dans la tête de quelques skieurs visionnaires – ou téméraires, au choix -, Tardivel et Lécluse en tête en janvier 1992. La preuve que le Mont Inacessible a encore beaucoup à nous offrir, au gré des saisons et des pratiques. Car le descendre à ski suppose aussi de le gravir en mode hivernal, crampons, piolets et attirail d’escalade mixte au baudrier. Un sommet emblématique en habits d’hiver inhabituels, et l’assurance d’une ascension qui sort du lot tout en restant une grande classique.

 

Alpinemag : Quand vous vous êtes lancé dans ce projet avec V. D. et Robin Bar, vous saviez que Tardivel et Lecluse en avaient fait la première à ski en 1992 ? Ils vous ont inspirés ?

Boris Pivaudran : On en avait connaissance, oui. Pour moi de prime abord, ne connaissant du Mont Aiguille que la vue qu’on en a du Trièves, ça me semblait lunaire d’imaginer une descente là-dedans. Sans avoir étudié le topo je pensais que c’était du dry-ski scabreux, peu skiant et alambiqué. Puis en y regardant de plus près cette voie des Tubulaires est apparu relativement logique, un joli couloir tout à fait skiable, bien que court : 120 mètres de ski au total !

Sur le plateau sommital du Mont Aiguille, skis aux pieds. ©Robin Bar

La partie skiable à proprement parler fait 120 mètres et précède un rappel de 50 mètres. Si peu de ski, ça faisait partie de la plaisanterie ou tu l’as pris pour quelque chose de sérieux qui en valait la peine ? 

B.P : L’idée a été lancée comme une plaisanterie. Robin, un copain auvergnat, est un fan absolu du Mont Aiguille. Il en a fait 16 fois l’ascension en vivant à Clermont-Ferrand… Et il voulait découvrir le sommet en hiver. Je me suis dit, tant qu’à faire, autant prendre les skis et bricoler là-haut. On a embarqué V.D., un troisième copain du groupe Masherbrum dans l’histoire. Nous étions motivés par le côté incongru de dessiner des virolets sur ce plateau sommital suspendu, avec comme terrain de jeu ce sommet plutôt réservé aux grimpeurs. Si elle n’était pas sur le Mont Aiguille, c’est sûr que cette descente n’aurait pas grand intérêt. Mais sa situation et son ambiance en pleine paroi lui donnent au final pas mal de cachet. J’y retournerai avec plaisir, et pas seulement pour la plaisanterie !

Le Mont Aiguille et sa voie normale en hivernale, skis au dos. ©Boris Pivaudran

©V.D.

Alpinemag : Côté ascension : quel niveau as-tu trouvé par rapport à des conditons d’été ? C’est vraiment plus dur ? 

B.P : Je parcourais la voie normale pour la première fois, mais j’imagine que dans cette configuration, elle est naturellement un peu plus corsée qu’en été. Néanmoins, la grimpe n’est jamais très difficile et nous avons pu presque tout faire en corde tendue, sauf deux longueurs dans des petites goulottes. L’équipement est relativement abondant. Nous avons gardé les crampons tout du long, et avions un piolet traction par personne. Le plus compliqué reste de ne pas coincer les skis dans les passages étroits !

Alpinemag : Et au niveau du ski ?  

B.P : Le crux se situe à l’entrée. Il y a une possibilité de contournement assez raide et exposée. Comme elle était sèche, nous avons opté pour un rappel. Le reste du couloir est plutôt régulier dans le 45°, sans grande difficulté. Pour nous le haut était béton et le fond glacé présent sur toute la première moitié. Le couloir n’était pas très rempli, d’ailleurs tout le Vercors était sec à ce moment-là. Je pense qu’en bonne neige et avec plus de remplissage ce n’est pas un itinéraire très exigeant. Par contre il ne faut pas tomber, c’est sûr ! J’y retournerai en meilleures conditions pour skier le départ. Pour comparer avec d’autres pentes du Vercors, c’est plus raide qu’un couloir des Sultanes (Pas de l’Oeille), et moins raide qu’un couloir Est du Gerbier. 
Pour marquer le coup, et parce que les photographes du Mashercrew me l’ont demandé, je suis même remonté pour re-skier  la deuxième moitié, qui était en meilleure neige. De quoi s’octroyer quelques virages supplémentaires pour le plaisir ! 

Pour ceux qui voudraient skier les Tubulaires, autant le dire franchement : il faut plus envisager cela comme une sortie d’alpinisme que comme une sortie de ski !

Rappel pour accéder au couloir skiant. ©V.D.

Premiers virages : il aut en profiter, il n’y en aura pas beaucoup! ©V.D.

Alpinemag : Quels conseils donnerais tu à ceux qui veulent faire le mont Aiguille en hiver et en ski ?

Avant de s’engager dans la voie normale en hiver, je pense qu’un parcours préalable de la voie en version été serait naturellement un avantage. Il faut aussi avoir un peu l’habitude de la grimpe en mixte dans du III, crampons aux pieds, pour être à l’aise. Aussi, la voie est entièrement à l’ombre et il peut bien cailler ! Pour ce qui est des skieurs qui voudraient aller skier les Tubulaires, autant le dire franchement : il faut plus envisager cela comme une sortie d’alpinisme que comme une sortie de ski de rando !

Montée et descente : deux salles, deux ambiances. ©V.D.

120m de pente suspendue. ©V.D.

Le fin couloir suspendu des Tubulaires. ©Manu Rivaud