Le tour des Écrins en fer-à-cheval ? En skis et en (presque) deux jours, c’est possible. Suite et fin de l’aventure Robinsons des Écrins avec cette traversée de la Grave à Champhorent en faisant le grand tour par la brèche du Râteau, la Bérarde, le Carrelet, et le col de la Lavey, haut-lieu du massif. On vous fait le topo de ce chef d’oeuvre en ski de rando.
Quelqu’un a laissé ouvert la porte. À la brèche du Râteau, 3235 mètres, le vent s’engouffre avec vacarme. Surtout, le vent joue à nous renvoyer d’où nous venons, sur le glacier de la Selle. Un glacier paisible qui ne se laisse pas si facilement approcher. Quoique. Les vieilles cabines seventies de la Grave nous ont téléporté au col des Ruillans. D’où le téléski de la Girose mène au Dôme de la Lauze, accès vers le vallon de la Selle. De là, un coup d’œil sur l’entrée à l’ombre du col de la Lauze, 3512 mètres, fait préférer deux minutes de marche et le départ depuis le Dôme du même nom, 3559 mètres. L’entrée du couloir est largement ensoleillée. Et même trop. En cette mi-février les lauzes dont le Dôme porte le nom apparaissent de partout, réduisant le couloir d’entrée à la portion congrue. Premiers virages allegro ma non troppo malgré la neige ramollie. Et surtout malgré le sac de quinze kilos sur le dos. Avec Arthur, nous voici partis pour rejoindre, peut-être, les Robinsons des Écrins, alias l’équipe The White Circle, partis bivouaquer au cœur du massif, en plein hiver, une semaine plus tôt. Entre la benne et le vallon de la Selle, on croise la crème de l’alpinisme français, entre un Fred Degoulet, guide aux conseils avisés et un Mathieu Detrie détendu, guidant lui aussi son groupe au vallon de la Selle. L’alpinisme de haut niveau fait rêver. Mais même à succès, l’alpinisme de haut niveau ne fait pas bouillir la marmite.
Descente ventée de la brèche du Rateau, versant Étançons. ©Jocelyn Chavy
Les virages s’enchaînent et nous déposent sous les contreforts du Pic de la Grave, puis, en peaux, sous la Pointe Thorant, dont le beau caillou rouge fait envie. La traversée du glacier de la Selle se fait en vue d’une cordée qui vise le col du Replat. À la brèche du Râteau la solitude est complète, si ce n’est ce vent qui claque, et le vallon des Étançons qui semble encore loin, tout en bas. Ce n’est pas tous les jours qu’on plante des virages sous la face sud de la Meije, toute proche. Descente vers la beauté infinie des Étançons en hiver, quelques traces qui remontent à la brèche de la Meije, puis plus rien. Les spatules qui glissent sans effort. À moins que nous soyons immobiles et que défilent les sommets. Pic Nord des Cavales. Roche Méane. Découpés dans une tranche de bleu. Sur le plat des Étançons, s’aligne le Dôme de Neige des Écrins, et son Mayer-Dibona. Souvenirs de voies gravies ou de sommets encore à cocher. À quinze heures, l’ombre est déjà tombée sur la Bérarde, endormie sous la neige. Il est possible d’y dormir en hiver, au chalet du Club Alpin. Mais nous remettons les peaux pour la montée au Plan du Carrelet où bivouaquent les amis. Aucune trace récente. Le dernier kilomètre de cette magnifique journée est long. Retrouvailles, saucisson, pain. Nous sommes heureux de les retrouver, ils sont heureux de nous voir. Au milieu des Écrins en plein hiver. Rien ni personne. Pas de réseau. Le lendemain sera une journée bénie des Dieux : ouverture du couloir Est du col du Chéret pour trois d’entre nous. Apéro, dernier saucisson au soleil, sur la terrasse déneigée du refuge du Carrelet par l’ami Jérôme.
Huit heures. Le soleil dore déjà les flancs du Rouget, tout au fond de la vallée. Pour revenir à la civilisation, il n’y a pas tant de solutions. La plus simple consiste à revenir à la Bérarde, puis à Champhorent en suivant le tracé de la route. Ce que feront nos compagnons lourdement chargés des pulkas de l’aventure Robinsons des Écrins. Hormis le col du Sélé, et le col de la Temple, basculant tous deux versant Durance, notre seule possibilité pour revenir par le haut à St-Christophe-en-Oisans, c’est le col de la Lavey. Autant le dire tout de suite : c’est long comme un jour sans pain, et à peu près aussi beau que la chapelle Sixtine, en beaucoup plus désert. C’est un voyage, une façon de boucler un tour des Écrins, même si nous avons cédé à la facilité le premier jour. Le col de la Lavey ? 3309 mètres. Et pas loin de vingt kilomètres en distance : dix neuf kilomètres à la louche. Sans les conversions.
Le col de la Lavey ? un voyage de près de vingt kilomètres.
Si le glacier du Chardon laisse tout le loisir de détailler les goulottes du Vaccivier, encore peu fournies en février, la montée vers le glacier des Rouies, ou plutôt le glacier de l’Ane réveille le patineur prêt à se rendormir depuis le Carrelet. La moraine raide sous le glacier de l’Ane nous conduit à mettre les skis sur le sac avant de finir la tête sur le glacier, en bas. Un passage sans doute délicat à mesure que la neige fond. Derrière, la face sud des Écrins, en majesté. Devant, la raide face sud de la Pointe du Vallon des Étages, ouverte par Gaston Rébuffat et Michel Chevalier pendant que d’autres créaient le Conseil National de la Résistance (mai 1943, période où G. Rébuffat est moniteur à Jeunesse et Montagne). Il faudra revenir pour tâter le plus beau rocher à l’ouest du Carrelet ! Un dernier effort et nous voici au col de la Lavey, la plus belle terrasse des Écrins partagée avec le voisin col du Vallon des Etages, vue imprenable sur l’Olan (3564m) et son grand glacier méconnu, les Sellettes, puisque dissimulé au fond du vallon de la Muande par lequel nous descendons. Avant, un dernier coup d’œil au lointain Dôme de la Lauze d’où nous sommes partis. Il est midi passé, le Vénéon semble encore aussi éloigné qu’une idée abstraite.
Le glacier des Rouies se laisse glisser en grandes courbes jusqu’au lac du même nom, et le plus dingue, c’est que cela ne s’arrête pas. Des courbes qui scient les cuisses, des sourires qui fendent le visage des compagnons. Plus qu’heureux d’être là, dans le désert des Écrins. La Muande n’en finit pas, pourtant les spatules glissent la plupart du temps sans beaucoup d’efforts. Jérôme jette un œil au refuge de la Lavey version hiver, au cas où il reviendrait. Et il reviendra, c’est son deuxième col de la Lavey. Champhorent, St-Christophe-en-Oisans. Une fois encore, mais la dernière pour Marie-Claude la tenancière qui passe la main, la tournée de bières au bar de la Cordée achève une journée en montagne comme on en signerait cent.
Panorama vers l’ouest, l’Olan, depuis le col de la Lavey. ©J. Chavy
Le tour des Écrins version fer-à-cheval (ou version Alpine Mag)
- 2 jours plus une journée buissonière
- J1 : La Grave (téléphérique) – Dôme de la Lauze 3556 m. Descente jusqu’à 2800m, remontée à la brèche du Râteau, 3235m. Descente jusqu’à la Bérarde, 1720m. Remontée au refuge du Carrelet, 1909 m. Matelas, quelques couvertures, pas de gaz. Possibilité de dormir à la Bérarde, au chalet hiver du Club Alpin. D+ : 620m. D- : 2270m.
- J2 : possibilité d’écumer le bassin de la Pilatte (glacier du Says, col du Sélé). Ou de répéter le couloir du col du Chéret ou de traverser celui-ci (Ouest > Est).
- J3 : départ du Carrelet 1909m. Col de la Lavey 3309m. Passage délicat vers 2600 m (barres, passage à pied, crampons utiles). Descente main droite, puis main gauche après le lac des Rouies jusqu’à la Muande. Nous sommes passés rive gauche, puis rive droite jusqu’à la passerelle juste sous le refuge de la Lavey. Descente rive gauche jusqu’à la passerelle 1694 m. Ski 4×4 jusqu’au pont du Vénéon, 1400 m. Remontée à Champhorent, 1582 m. D+ : 1600m. D- : 1900m. Environ 18,5km, rajouter 4km en partant de la Bérarde.