Robert Jasper est probablement l’alpiniste qui connaît le mieux la face nord de l’Eiger. Né dans la Forêt Noire, l’alpiniste allemand a fait de la plus grande face des Alpes son terrain de jeu – un jardin austère. Le plus étonnant ? À cinquante et un ans, Robert Jasper continue d’écumer les parois y compris en solo, auto-assuré. Il vient d’ouvrir une ligne dans la partie droite de la face, onze longueurs en 7a+ max, Meltdown. Explications.
Quand nous l’avons rencontré l’an dernier, Robert Jasper venait de renouer avec succès avec une passion de jeunesse : l’escalade en solo – en l’occurrence d’une belle pointe oubliée au Groenland. Cette aventure d’un mois seul et isolé du monde « l’avait comblé ». Il n’avait pas négligé sa préparation. Spécialiste de l’escalade mixte et du dry tooling Robert Jasper en a repoussé les limites, avec l’ouverture de Flying Circus à la Breitwangfluh en 1998 (cotation M10), ou, ce qui est au moins aussi significatif, la première en libre en dry tooling de No Siesta aux Grandes Jorasses en 2003 (avec Markus Stofer, cotation M8).
En 2018, vingt ans après son ouverture, il répétait en solo auto-assuré, son chef d’œuvre Flying Circus, ce qui est tout de même la marque d’une belle longévité. Pourquoi faire en solo une voie surplombante et avec une longueur en traversée ? « Parce que j’en avais envie, et aucune envie par contre de la faire en solo intégral vu les passages et quelques prises aléatoires » nous expliquait-il en substance l’année dernière.
À la maison dans la face nord
Été 2019 : Jasper revient à l’Eiger. Il a gravi la mythique face nord pour la première fois à l’âge de 17 ans, par la classique Heckmair. Robert a fait ensuite maint voyages dans cette grande paroi, ou sur ses piliers de droite : Jasper a entre autres fait la première solitaire de Spit Verdonesque (7a/A1), ou la première en libre de la voie Directe Japonaise (1600m, 8a), ou encore de la voie Harlin et de la voie Ghilini-Piola. Cette année, il a un projet encore secret en Patagonie et veut se préparer. Direction l’Eiger pour une ouverture – onze longueurs quand même – dans les piliers de droite, près du pilier des Genevois. La voie s’appelle Meltdown – pour rappeler la fonte accélérée de nos glaciers. Après 5 jours à tracer son chemin en solo auto-assuré, Robert Jasper a enchaîné la voie en libre à la journée fin juillet. « Depuis ma première voie ici, j’ai dû passer un total de 360 jours dans la face nord de l’Eiger » confie Robert Jasper, qui a coché dix-neuf voies différentes au total.
Entre 1985 et 2019, Robert Jasper a passé environ 360 jours dans la face nord de l’Eiger.
Côté technique, Robert a équipé les relais et laissé des pitons en place. Il est retourné faire des images avec son complice le photographe Nicolas Hojac. Les images que nous produisons ici sont instructives quant à sa technique bien rodée de solo auto-assuré. Jasper utilise un appareil appelé Silent Partner. Fabriqué par Rock Exotica aux USA, le Silent Partner n’est plus produit – et s’arrache à prix d’or sur ebay – mais fonctionne grosso modo comme un Grigri de Petzl (ou un Revo de Wild Country). Le soliste attache un bout de la corde au relais (Robert fait en plus passer la corde dans un amortisseur de choc). La corde coulisse et passe dans le Silent Partner attaché au baudrier, et le grimpeur clippe le brin entre le relais et lui-même au fur et à mesure de sa progression en tête. En cas de chute, le Silent Partner bloque la corde qui tire sur le relais.
La méthode d’auto-assurage en solo de Robert Jasper, à l’ouverture de Meltdown. ©Nicolas Hojac
Solo auto-assuré, méthode
Comme on le voit sur les photos, Robert Jasper se méfie de la corde libre, dont il a besoin pour avancer, et évite qu’en début de longueur une quarantaine de mètres de corde pendouille sous lui, risquant de s’accrocher sur le rocher. Il choisit donc de garder le brin libre en plusieurs grandes boucles sur ses porte-matériels, les dévidant au fur et à mesure de sa progression. La technique est plutôt sûre, mais les aléas, surtout à l’ouverture, sont nombreux : le risque de chute tête en bas est aggravé par le poids de la corde libre que l’on traîne de toute façon derrière soi, et les traversées impliquent des retours au relais précédent compliquées. Car bien entendu, tout soliste auto-assuré fait trois fois chaque longueur : une fois à l’ouverture, une fois pour redescendre détacher la corde du relais aval, une fois au jumar pour remonter au relais supérieur. L’escalade en solo assuré a toutefois ses charmes : vous ne pouvez pas engueuler votre compagnon de cordée en cas de nouilles de corde. Et ses défauts : il faut se débrouiller soi-même. Ce que Robert Jasper fait tranquillement depuis des années.