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Avec Riton, par Antoine Girard et Brian Mathé : quand oser raconter la mort devient essentiel

Brian Mathé et Antoine Girard dans le port de La Rochelle, 2024. ©Ulysse Lefebvre

Dans le film Avec Riton, Antoine Girard revient sur l’expédition la plus difficile, émotionnellement, de sa riche carrière de parapentiste. C’était en 2022, au-dessus des Andes péruviennes. Dans l’interview qu’il nous avait accordée à son retour, Antoine avait encore du mal à parler de son compagnon d’envolée, Henri Montel, dit Riton. Cette fois, il parvient à raconter l’accident et la mort, versant obscur des sports de montagne, souvent écarté des programmes des festivals. Au contraire, sur la scène de celui de la Rochelle, le FIFAV, Antoine et Brian Mathé, co-réalisateur du film avec Morgan Monchaud, ont pu expliquer à un public attentif à quel point le parapente n’est « pas un jeu d’enfant ». Rencontre.

On est à La Rochelle, loin du cercle de ton public habituel Antoine. Et tu proposes avec Brian Mathé et Morgan Monchaud un film de parapente avec la fin tragique que l’on devine. Résultat : la salle est pleine. Etonné ?

Antoine : C’est vrai que c’est grand un auditorium de 800 places ! Et là, purée, c’est plein ! Après la projection, il y a pas mal de gens qui sont venus nous voir. Souvent ils nous remercient d’avoir fait les choses correctement. Des réalisateurs sont venus nous voir aussi en nous disant qu’ils avaient été touchés. Ça, c’était cool.

En vol au Pérou, 2022. ©Antoine Girard

Dans le film, l’émotion est d’une rare intensité. C’est sans doute très direct mais pensez-vous que les gens retiennent autre chose que la mort d’Henri ? Est-ce qu’ils se souviennent des magnifiques plans au-dessus des Andes ? Perçoivent-ils la performance de vol ?

Antoine : Moi, les réals qui sont venus me voir, ils m’ont clairement dit : « Wow, il y a quand même un exploit de malade derrière tout ça ». En fait, ce n’est pas assez mis en avant et on n’en parle pas suffisamment. Alors que c’est un truc de taré, énorme. Paradoxalement, c’est un peu ce qui nous a été reproché d’ailleurs, de ne pas mettre assez en valeur l’exploit.

Brian : Je pense que le grand public n’est pas forcément un public « montagne ». Il y a des gens qui ne savent même pas que tu peux faire du cross en parapente et ils sont complètement scotchés. Et ça, ça marche. On m’a parlé aussi de l’histoire d’amitié, la complicité entre Antoine et Riton qui fonctionne, je crois. Ça, c’est chouette parce qu’au-delà de l’aspect tragique qui, forcément, prend beaucoup de place émotionnellement, il y a une vraie histoire d’aventure.

Avec Riton, un film d’Antoine Girard, Brian Mathé et Morgan Monchaud (Solidream), 52mn, 2024.

À l’inverse, personne ne vous a reproché de faire un film en « utilisant » la mort d’Henri ?

Antoine : Pour nous l’essentiel, c’était que personne n’ait cette impression. On ne voulait pas faire ça, ni nous, ni la famille de Riton. Il fallait trouver une manière de ne pas mettre ça au cÅ“ur du film.
À la base la famille aurait préféré qu’on évoque le sujet au début du film. On a fait des visionnages tests avec des copains réalisateurs, comme Hugo Clouzeau et Damien Castera. C’est ça aussi qui nous a laissé penser qu’évoquer le sujet au début n’était pas forcément une bonne idée. C’était vraiment un dialogue qu’on a eu avec la famille. On les a vraiment intégrés dans le processus de choix de réalisation. Ça s’est très bien passé avec eux. Ils nous ont fait confiance.

Brian : On ne voulait pas jouer sur le levier dramatique et tomber dans le pathos et le larmoyant. Stéphane nous avait posé la question : « Pourquoi pas parler du décès au début ? » On a fait plein de versions du film. Le montage a duré longtemps. Quand on a vu les rushs avec Morgan [ndlr : Morgan Monchaud de Solidream], on s’est dit qu’il y avait un film d’aventure avec un superbe accomplissement en parapente, une histoire d’amitié qui fonctionne et ça, c’est un peu notre ADN sur les projets de Solidream.

Il y a des super belles images. Techniquement, c’était un peu pauvre en son, mais ça, on a réussi à se débrouiller comme on pouvait.
Finalement, si on avait mis l’information du décès au début, ça aurait été encore plus morbide, parce qu’à ce moment là, en regardant le film tu te demanderais sans arrêt quand ça va arriver. Tu n’es pas avec le duo, tu n’es pas avec Riton, finalement, alors que c’est le titre du film. Finalement, c’était plus le respecter, je pense, de ne pas en parler tout de suite.

J’ai l’impression qu’en France,
on boycotte la mort

Et puis le drame arrive. D’un coup on n’est plus dans un film d’aventure « feel good ». Une facette obscure des sports de montagne nous revient en pleine face. C’est un versant rarement raconté. Pensez-vous que ça vient de ceux qui racontent les aventures ou de ceux qui les diffusent, en festival ou sur petit écran ?

Antoine : Dans le film on me voit commencer à stresser, à ranger mes affaires en disant : « Il y a un problème, je ne sais pas quoi mais il y a un problème ». On n’y croit pas mais c’est pourtant une réalité. J’ai l’impression qu’en France, on boycotte la mort. On ne doit pas en parler, sauf si ça raconte une fin de carrière. Un mec qui a fait la une de la presse pour sa mort, on fait un film dessus. Mais une personne lambda qui meurt, on dirait que ça ne devrait pas exister dans un festival. Je trouve que c’est dommage. Même moi, je le paye parce que j’aurais vu ça étant jeune, ça m’aurait sûrement aidé. Ça fait 25 ans que je fais des expés, que je vois des films d’expé. Ça m’aurait permis de voir la mort de temps en temps. Et ça m’aurait peut-être moins touché actuellement. Là je suis terriblement impacté par la mort d’Henri. Ça me touche beaucoup plus que ce que j’aurais imaginé…

Brian : Concernant les festivals, de manière avérée, oui, ça a pu en gêner au moins un… Même si les organisateurs de ce festival m’ont dit que c’est le traitement du décès d’Henri qui n’avait pas plu… Après, chacun a son avis, c’est comme ça. On pouvait s’y attendre. D’autres y ont été sensibles comme ici à La Rochelle ou encore à Dijon ou à Pibrac au festival Pyrénicimes. 

Henri Montel, dit Riton, au Pérou (2022). ©Antoine Girard

c’est la plus grosse peur de ma vie

Et le film décroche le prix du public à la Coupe Icare à Saint-Hilaire du Touvet, et au festival des Ecrans de l’aventure à Dijon. Ça voudrait dire que le public est plus ouvert à la question qu’on ne veut le croire ?

Antoine : Oui, le public a été très sensible au film et à son sujet. C’est pour ça qu’on organise une mini-tournée de notre côté, un peu hors festival. On veut que le film tourne, qu’il soit vu.

Accessoirement tu réalises Antoine le premier vol à plus de 8000 mètres réalisé hors Himalaya. Un peu malgré toi non ?

Antoine : Oui, et le cinquième vol de l’histoire à 8 000 mètres [ndlr : Antoine avait réalisé le premier au dessus 8000 mètres en survolant le Broad Peak, au Pakistan, en 2016]. Ça arrive à un moment où on se sépare avec Riton. Il pose et moi, comme je suis en attente au-dessus de lui, je reste au même endroit. Et puis, à force d’attendre, ça monte fort et je perds rapidement le contrôle. Je pense que c’est la plus grosse peur de ma vie.

J’étais en bordure du nuage et à un moment, le nuage se referme sur moi. Je perds toute visibilité. La voile se ferme de tous les côtés, elle ne tient plus ouverte. Mes lunettes givrent instantanément dans le nuage, j’ai un millimètre de glace sur les verres. J’ai beau frotter, ça part pas. Mes instruments, pareil : recouverts de givre. Je n’ai plus de repère de l’espace. La voile monte, ça ne s’arrête plus. Je sais pas jusqu’où je vais monter. Le bip continue de siffler. La trace GPS m’indiquera plus tard que je montais à 14 mètres/seconde. La voile fermait. Je suis pris, mais je suis une feuille morte. Je suis comme ça et je ne peux pas m’en sortir. Je m’en sors uniquement parce qu’il y a un moment où je sors du nuage et je retrouve la visibilité et l’orientation pour redescendre.

Brian Mathé et Antoine Girard, dans le port de la Rochelle, lors du FIFAV 2024. ©UL

Faire connaître cette histoire, c’est aussi une manière de rendre hommage à Riton. C’est d’autant plus important pour toi que ça a été très difficile de récupérer les images après l’accident ?

Antoine : Oui, après l’accident Riton s’est fait voler toutes ses affaires, dont les caméras et les cartes-mémoires. Autrement dit, ses affaires ont été volées sur son corps. Donc on n’a aucune de ses dernières images. Ça été une histoire rocambolesque, tu n’imagines pas. Je peux écrire un roman sur ce qui s’est passé. J’ai essayé de récupérer les cartes en faisant des pressions monstrueuses. J’ai fait mon enquête, j’ai rien dit. Et en remontant le fil avec mes infos, j’arrive à remonter qui a volé quoi. J’ai fini au commissariat du coin avec les flics. Et quand ils ont compris que je savais qu’il n’étaient pas tout blancs dans cette histoire, ils ont pointé leurs flingues vers moi et ils m’ont dit : « Maintenant, tu dégages ! ». J’ai quitté le Pérou deux semaines après l’accident, avec Riton.
La raison pour laquelle j’ai insisté pour récupérer ces images aussi, c’est que Marielle, la femme de Riton, m’a dit qu’elle aimerait bien voir ses dernières images. J’ai mis toute mon énergie, pour évacuer la mort d’Henri dans cette quête de ses images.

ils ont pointé leurs flingues vers moi
et ils m’ont dit :
« Maintenant, tu dégages ! »

Antoine Girard, avec vue sur océan, à la Rochelle. ©Ulysse Lefebvre

Montrer Henri tel qu’il était est aussi une forme de témoignage pour le public mais aussi pour ses proches.

Antoine : Et pour sa fille, Colette, qui a neuf ans. Pour lui laisser une belle image de son père, de ses derniers moments, mais aussi de comment il est, au niveau sentiments, au niveau de son regard sur la vie, ça laisse une vraie trace. Dans un film, tu le vois vivre, tu le vois parler, tu le vois tel qu’il était.

Brian : Ce que j’espère aussi, c’est que le personnage d’Henri touche les gens, parce que moi, c’est ça qui m’a touché. C’est un personnage qui a un regard émerveillé sur la vie. C’est un gars qui savait vivre. Finalement, raconter une histoire où il disparaît, créé un effet de contraste qui, j’espère, fonctionne. Pour que les gens repartent avec un regard sur la vie proche du sien. C’est ce qu’on a cherché à faire en tous cas.

Brian Mathé à la Rochelle, 2024. ©UL