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Une douce folie à skis en face nord de la Grande Casse

Xavier Cailhol dans la face nord ©Jeremy Prevost

La face nord de la Grande Casse fait 800 mètres de haut, mais beaucoup plus en largeur. À gauche du couloir des Italiens le versant nord, complexe, est rocheux, strié de grandes barres parmi lesquelles un itinéraire a pourtant été tracé en 1983 malgré la qualité pourrie du rocher. « Une course d’ampleur, ouverte par Jean-Marc Boivin, François Diaféria et Jacques Maurin » raconte Xavier Cailhol, qui souhaitait en tenter la descente à skis. C’est chose faite ce 2 juin avec Jérémy Prevost. Une descente exceptionnelle, après celles de l’Épéna voisine, sa face sud en 2023, et sa face nord en mars dernier. Voici le récit de Xavier.

Folie douce à la Grande Casse. Voilà un nom qui est très largement connu dans le monde de l’alpinisme. Une course d’ampleur, ouverte par Jean-Marc Boivin, François Diaferia et Jacques Maurin en 1983. Jacques c’est aussi et surtout un ami qui compte énormément. Alors plusieurs fois en réfléchissant à parcourir cette ligne à la montée, j’en avais parlé à Jacques. « C’est bien cette ligne ? ». La réponse ne se faisait jamais attendre : « Non le caillou est pourri ». Voilà qui donne l’ambiance. Étant néanmoins d’un caractère opiniâtre pour ne pas dire têtu, je gardais en tête l’idée d’aller y traîner mes piolets, en attendant patiemment des conditions qui me donnaient envie d’y aller.

En 2021, j’accompagne un autre ami, Paul Bonhomme dans deux lignes de ski de pente aide dans le cadre de son projet de dix ouvertures durant un hiver. Nous évoquons alors la face nord de l’Épéna et Folie douce à la Grande Casse comme étant des lignes qui nous font rêver et pouvant faire partie de ce projet. Malheureusement cet hiver-là, les conditions ne viendront pas et nous n’avons pas pu skier dans ces faces. C’est alors que commence un relativement long travaille de surveillance. Il s’agissait de scruter les conditions de manière quasi hebdomadaire en espérant un jour skier au moins une de ces deux lignes. Mon frère, pisteur nordique à Champagny le haut a largement participé à cette motivation de suivi, et nous sommes relayés à la surveillance.

Dans l’approche devant la face.
©Xavier Cailhol

Nous voici ce début d’année 2024 après trois ans d’attente. Lors de notre enchainement de la face sud et de la face nord à la Grande casse avec Symon Welfringer, je regarde la sortie de Folie douce. Tout est sec. C’est un champ de caillou inskiable. Vient ensuite l’Épéna avec Symon toujours, après un si beau projet je pense que ma saison de pente raide est finie. Et cela jusqu’à un message de Corentin Gonzalez le 15 Mai. « Tu fais quoi ce week end ? ». Il accompagne d’une photo de la face nord de la Grande Casse.

J’étais justement en train de chercher des photos de la face pour voir les conditions. Le couloir des italiens a l’air en monstres conditions, et folie douce aussi. Tout de suite, je lui dis que j’ai envie d’aller voir ça. Forcément, il est instantanément bouillant d’aller y trainer ses skis. Nous montons au sommet, puis nous commençons à descendre dans la face. La neige n’avait cependant pas encore assez collé. Il y a 20 cm de neige posé sur des cailloux. Tant pis, ce ne sera pas pour cette fois. On remonte alors et on va skier le couloir des italiens sans une trace dans 40 cm de poudreuse. Le bonheur malgré tout.

Après un but, on skie le couloir des italiens sans une trace dans 40 cm de poudreuse. Le bonheur malgré tout.

On garde alors en tête cette ligne et nous convenons de suivre les conditions pour y retourner. Avec ce printemps extrêmement pluvieux, les conditions évoluent positivement très rapidement. Un coup de chaud est attendu cette fin de semaine. Je sais à quelle vitesse peuvent évoluer ces itinéraires, il faut se dépêcher d’y retourner. Malheureusement Corentin a commencé sa saison de guide et n’est pas disponible. Avec son accord je décide d’y retourner ce dimanche 2 Juin accompagné de Jeremy Prevost.

Xavier devant la face. La Boivin est proche de l’aplomb du sommet, à gauche du couloir des Italiens, dans le mixte.
©Jeremy Prevost

Xavier dans la face.
©Jeremy Prevost

Le jour J

Il est 5 h du matin lorsque nous partons du parking du Laisonnay à Champagny en Vanoise. Les skis sur le sac, les chaussures de ski au pied et en velo électrique. Cherchez l’erreur. Le velo ski, est une pratique qu’affectionne particulièrement Jeremy : « C’est génial, tu cumules les emmerdes de toutes les activités en même temps. » Sur ces belles paroles, nous filons rapidement jusqu’au lac de la Glière, où nous abandonnons nos vélos. Ce lieu est assez emblématique au niveau géomorphologique, puisqu’au début du 19 ème un grand lac c’était formé à cet endroit. Ce lac finit par rompre le 15 Juin 1818 à la suite de sérac venu s’écrouler dans l’eau. Cette débacle, qui a détruit tous les ponts de la vallée jusqu’à Salin les thermes s’est déroulée la veille de la fameuse débacle de Gietro dans le Val de Bagnes en Suisse. Passé ce moment de culture, nous pouvons revenir à des activités plus saines : le ski.

Jeremy sous le grand ressaut ©Xavier Cailhol

Nous remontons rapidement l’ancienne moraine avant de prendre pied sur le glacier de l’Epena. Deux skieurs sont alors en train de faire la trace dans le couloir des italiens. Quelle délicieuse nouvelle. Nous entamons donc à remonter la pente jusqu’au niveau des sérac en ski dans une trace digne de la pierra menta. Nous mettons les skis sur le sac puis nous entamons l’ascension en direction du sommet. La météo prévoit un temps allant vers des précipitations, nous sommes donc particulièrement vigilant aux évolutions des nuages. Au fur et à mesure que nous remontons la face, je me rends compte que les conditions nivologiques et la skiabilité sont bien meilleures que deux semaines auparavant. La neige s’est tassée, elle est collée aux parties raides, voilà qui est de bon augure pour la suite. Je reste tout de même prudent, car depuis deux semaines les italiens ont bientôt vu autant de skieurs que dans les dix dernières années.

Nous sommes au sommet vers 11 heures, nous prenons un court instant pour préparer notre descente, puis nous traversons cette arête a l’aspect débonnaire en direction de notre ligne. Une fois au second sommet, après une arête pas si débonnaire que cela, nous voilà à contempler le début de la ligne. La face me parait plus remplie que la dernière fois. C’est une bonne nouvelle. Nous desescaladons 20 mètres avant de chausser les skis. Il y a effectivement plus de neige, les « requins » sont moins présents et il est envisageable de skier. Banco, il n’y a plus qu’à. J’espère juste alors que l’on ne se fera pas avoir dans les sections médianes.

Je nettoie la fissure de ses cailloux pour y loger deux câblés. Xavier Cailhol

En effet, nous avons repéré trois rappels dans la partie supérieure de la face et aux vues des descriptions de Jacques Maurin, je n’ai pas très envie d’avoir à les remonter. Je suis également concentré et circonspect sur la qualité du rocher que l’on trouvera ainsi que par la possibilité d’installer des rappels. Je suis alerte au fur et à mesure que l’on descend sur les différentes formes de rocher qui se prêtent à poser des protections. Il semble y avoir quelques fissures dans ces assemblages de calschistes. Nous descendons prudemment car les cailloux ne sont tout de même pas loin dans la première section. Nous arrivons alors au sommet du premier ressaut, une fissure est présente en rive gauche. Je la nettoie, et je trouve, non sans mal, deux emplacements pour mettre des câblés afin d’installer le premier rappel. Jeremy me passe la corde et nous descendons rejoindre une seconde pente intermédiaire.

Dans le haut de la face, les lignes de fuite sous les spatules de Xavier.
©Jeremy Prevost

Nous skions dans cette belle pente suspendue, puis nous arrivons au-dessus du deuxième ressaut. Nous dégageons une fissure bouchée intégralement de cailloux. C’est particulièrement pratique, il suffit de nettoyer les cailloux jusqu’à arriver à la taille de fissure voulue pour y mettre deux câblés.  Un deuxième rappel de 30 mètres nous amène à une courte pente suspendue, d’où nous sortons notre arme secrète. Une planchette en bois pour installer un corps mort. La roche à cet endroit est dans un tel état de délitement que l’on imagine assez mal faire un relais. La légende est donc bien vraie, le caillou est pourri. Nous faisons un rappel de 50 mètres, avec 25 m de ressaut particulièrement raide, et nous prenons pied dans une belle pente de neige. Nous sommes à mi face, et les manipulations sont finies. Maintenant place au ski. S’en suivent 100 mètres de ski dans une belle ambiance sur un éperon suspendu, suivi d’une partie plus raide dans laquelle nous cheminons au milieu des cailloux.

On va finir cette ligne sinon on aura des regrets ! Jeremy Prevost.

Nous quittons alors la goulotte de folie douce pour nous s’échapper à main gauche le long d’une vire. Quelques passages étroits laissent à Jérémy le loisir de philosopher sur la longueur optimale des skis de freeride versus la longueur des skis pour faire du jardinage à ski. Nous arrivons ensuite dans une grande pente en poudreuse froide. L’esprit freeride nous reprend, et je suis à deux doigts de shunter la fin de la face pour continuer à profiter de ces grandes pentes. Heureusement, Jerem me rappelle à la raison : « Quand même, on va la finir cette ligne sinon on va avoir des regrets, et pis la neige à quand même l’air bonne ». La voix de la sagesse a parlé. Nous cheminons dans le bas de la pente selon la ligne que nous avions imaginé le matin. Avant de rejoindre le glacier de Rosolin. Quel bonheur. Une nouvelle ligne de ski à la grande casse, dans Folie douce, un 2 Juin. Ça c’est bon ça !