Le Groupe Militaire de Haute Montagne (GMHM) s’offre la seule et unique ascension de la saison du Cerro Torre, par son arête sud-est. Pour marcher sur le Compresseur, Pierre Labbre, Léo Billon et Max Bonniot ont affronté le furieux vent patagon. Le sommet en poche et des bourrasques plein les yeux, Léo Billon raconte cette expérience unique.
« Il n’y a pas de courage sans peur »
Pierre Labbre nous aura exposé son idée du courage, à son rythme, le long de cette vallée diaboliquement longue qui mène au pied des enfers du Cerro Torre. La conclusion, malheureusement, d’après la définition que l’on s’est faite, est que l’on est incapable d’y avoir recours.
Vers la source du vent
Notre arrivée au col de la Patience balaye, dans un grand râle Patagon, nos discussions de comptoir. Les particules accélérées d’oxygène nous coupent le souffle. Dans sa dureté, la Patagonie fait, en cet instant, preuve de clémence et nous octroie un havre de paix inespéré, personnifié par une crevasse. Celle-ci nous offre une grotte pour installer notre tente à l’abri des bourrasques.
Près de 24h après avoir posé nos pieds au pays de l’origine du vent, entassés tous les trois dans cette antre de glace, nous dégustons nos maigres vivres. Ce frugal festin n’aura malheureusement pas le luxe de nous faire oublier les rafales à 80 km/h annoncées pour le lendemain…
Longueurs au dessus du col de la patience. ©GMHM
La pluie restera sur nos talons à nous pousser, sans jamais nous dépasser, l’air de dire : “courage fuyez”.
Le vent se lève, notre danse avec lui peut commencer. La neige, la glace, les pitons, le granite et les friends défilent entre nos mains. Rien n’est snobé pour contrer le vent et ainsi caresser l’espoir d’en apercevoir sa source. Les passages s’enchaînent, la « Banane » ne nous fera pas glisser, la fissure Haston et les dalles qui suivent seront consommées efficacement et sans raffinement, jusqu’à percer le brouillard et nous ouvrir les portes des tours de glace et de leurs champignons givrés.
Notre matériel glaciaire, réduit au minimum, nous permettra tout juste de parcourir ce monde meringué, composé d’éclats de crème Chantilly. Mais cet univers enchanteur referme bientôt ses portes et nous met face au bien nommé headwall, sans possibilité d’échappatoire. C’est dans la plus complète procrastination que nous remettons ce problème au lendemain. Une autre question plus urgente nous tient en haleine : où dormir ?
Horde, reserrez le pack !
La solution viendra d’un champignon glacé que nous allons scalper. Il n’aura pas fallu ménager nos efforts pour que notre tente trouve l’espace nécessaire de détendre ses arceaux. Le fait que notre nid de rapaces soit installé à l’aplomb d’une des deux oreilles du sommet, deux énormes monticules de glace couronnant fièrement le Torre de part et d’autre, rajoute à l’ambiance onirique dans laquelle on baigne depuis le matin.
Le temps d’une courte nuit, notre abri nous permet de nous reposer dans notre combat contre le vent. Mais maître Eole n’entend pas nous laisser dormir, ni dérouler notre plan aussi facilement. Il tente, dans un sursaut d’ego, d’étouffer le nôtre, par de grandes bourrasques à en faire chanceler notre nid. La confusion, la déception et la peur se mettent à envahir la tente. Les grands plans de débâcle commencent a s’échafauder.
Au pied de Banana Crack. Pour la grimpe, Léo Billon est en tête. ©GMHM
Mais quand nos trois égos s’additionnent, notre pack se remet en marche vers l’extrême amont. Ballotés par les éléments, le final sera des plus intenses et notre arrivée au sommet se fera dans un climat terriblement délicieux. La descente de l’extrême amont n’est qu’une désagréable jouissance, consistant à se laisser porter par le vent en s’abandonnant à lui. Comme fâché par notre venue, le massif referme ses portes et disparaît dans un condensé d’obscurs nuages. La pluie restera sur nos talons à nous pousser, sans jamais nous dépasser, l’air de dire : “courage, fuyez ”.
Le Cerro Torre, un défi à la face des alpinistes
Cette dernière expé du GMHM signe ici la septième ascension du Cerro Torre par l’arête sud-est, en empruntant la variante Lama-Ortner à partir du Headwall. Le tout en seulement trois jours aller-retour !
Le Cerro Torre, une montagne qui a fait une entrée fracassante dans le monde de l’alpinisme, avec la première ascension par l’italien Cesare Maestri et l’autrichien Toni Egger en 1959, et la polémique qui s’ensuivit (voir notre article sur Cerro Torre, l’enquête passionnante de l’américain Kelly Cordes sur cette ascension polémique).
1959 : Première ascension par Cesare Maestri et Toni Egger. Mort de Toni Egger à la descente, emportant avec lui les preuves supposées de la réussite du sommet.
1970 : Sous le feu des critiques, Maestri revient, avec un compresseur à essence. 360 pitons plus tard, il atteint la base de la calotte de neige sommitale, qu’il ne grimpera pas. Tollé dans le monde de l’alpinisme. Les doutes quant à sa première ascension se confirment.
1974 : Première ascension officielle du Cerro Torre par l’italien Casimiro Ferrari et ses compatriotes Mario Conti, Pino Negri et Daniele Chiappa, par la voie appelée aujourd’hui Voie des Ragni.
2012 : Ascension de la voie du Compresseur par Jason Kruk et Hayden Kennedy. Les deux jeunes grimpeurs retireront des dizaines de spits à leur descente, ce qui provoquera la colère de la communauté locale et une polémique à l’échelle internationale.
2012 : Première ascension en libre de « La Voie du Compresseur » par David Lama et Peter Ortner.