Un pasteur est un documentaire qui allie la nuance du propos sur un sujet sensible, Ă la finesse d’une rĂ©alisation lĂ©chĂ©e. Grand prix du festival du film et du livre d’aventure de la Rochelle, prix de la meilleure bande-originale, ce premier film rĂ©alisĂ© par Louis Hanquet ravira les amateurs de cinĂ©ma, et pas forcĂ©ment spĂ©cialistes du pastoralisme ou du loup. Cerise sur le gĂ¢teau : le film est en accès libre sur france.tv jusque la fin de l’annĂ©e. Ă€ ne surtout pas rater.
CamĂ©ra est posĂ©e, pas de voix off. Au compte-goutte dialogues et actions sont distillĂ©s. Le ton est donnĂ©. Mais amateurs de films Ă sensations et de rĂ©cits d’expĂ©s, regardez ! Le hĂ©ros que l’on va suivre est Ă sa manière un conquĂ©rant de l’inutile.Â
Inutile ? Terme provoc’ ? Pas tant. FĂ©lix, le berger, se pose beaucoup de questions sur son mĂ©tier. Ă€ quoi bon mener les bĂªtes dans les montagnes quand elles se font croquer les unes après les autres par le loup ? Ă€ quoi bon poursuivre un mode d’élevage qui semble de plus en plus dĂ©calĂ© avec son Ă©poque ? Ă€ quoi bon faire et refaire les parcs Ă moutons, planter des clĂ´tures, soigner les agneaux, suivre la transhumance ? Pourtant le jeune berger pressent que la perpĂ©tuation de ce pastoralisme est une manière de refuser toutes les dĂ©rives contemporaines. Une forme de de rĂ©sistance ? Et lorsqu’il explique que ce travail c’est « ce qu’on aime », les experts des chiffres et de la rentabilitĂ© pourraient lui rĂ©torquer que ce qu’on aime n’est pas toujours ce qui fait vivre. Chacun y trouvera sa vĂ©ritĂ©, entre conquĂªte de l’inutile et rĂ©sistance.Â
Pour son premier film entant que réalisateur, Louis Hanquet prend le parti de la suggestion. L’intensité du propos est proportionnelle à l’économie de mots et d’artifices narratifs. Il faut dire que son héros est du genre discret, voire méfiant avec le réalisateur qui mettra plus de huit mois pou gagner la confiance de Félix et tourner la caméra vers lui, et non plus vers son père, premier sujet envisagé pour le film.
Dès les premiers plans, les moutons irriguent la montagne. Ils sont les veines des alpages. Ce sont eux qui les maintiennent ouverts, en vie. On y dĂ©couvre un jeune berger, un pasteur, peau cuivrĂ©e par le soleil d’Ubaye, nez aquilin, profil d’aigle mais trappu. Son profil d’Edlinger saute soudain aux yeux. Son regard souvent perdu dans les alpages, semble pourtant cacher une colère sourde. Le plan d’après, ses ongles noircis par la tĂ¢che se confondent avec ceux de la brebis dont il pare le pied. Avant que ses pommettes enflĂ©es par le soleil ne nous mette plutĂ´t sur la piste du boxeur repenti. Mais contre qui combat-il vraiment ?Â
Son regard perdu dans les alpages,
semble cacher une colère sourde
Ici, pas de scènes mielleuses entre l’homme et l’animal. Lorsque FĂ©lix tente de rĂ©animer un agneau tout juste nĂ© et que l’émotion commence Ă poindre, il faut supporter l’instant d’après le dĂ©piautage de l’animal qui n’a pas survĂ©cu. Bienvenue dans le cinĂ©ma du rĂ©el. Ă€ l’opposĂ©, point de clichĂ©s non plus sur l’homme des montagnes bourru. Ici le jeune berger agit mais n’en pense pas moins.
Peu Ă peu, ses questionnements se rĂ©vèlent au spectateur, de manière souvent dĂ©tournĂ©e. Les images nocturnes des loups, images infra-rouges, qui s’approchent dangereusement des troupeaux, au son des tambours, nous plongent dans les peurs du berger, voire dans ses pires cauchemars. D’enfant ? On pense Ă©videmment Ă Pierre et le loup. Mais ici, FĂ©lix ne crie pas. Il fait le dos rond et c’est peut-Ăªtre sa capacitĂ© Ă y croire malgrĂ© tout, sans l’écume des mots ou des slogans, qui force le respect. « Ça me rĂ©volte. Mais on peut pas abandonner » ose t-il tout au plus. Peu Ă peu on se rend compte que FĂ©lix n’est pas taiseux, il est juste Ă©conome.
Félix n’est pas taiseux,
il est juste Ă©conome
Tout autour, les plans fixes sur la montagne nous arrĂªtent sur les paysages, nous scotchent littĂ©ralement. Mais en quelques secondes d’arrĂªt sur image, tout s’anime. Les brumes se dĂ©voilent, les ombres avancent, la montagne prend vie. C’est l’anti-time lapse des temps modernes. Parfois le rĂ©alisateur se poste derrière son personnage qui nous emmène. Ce sont les images Ă la première personne d’avant l’ère des camĂ©ras embarquĂ©es. Et ça marche.Â
En parallèle, les nombreux plans serrĂ©s sur le visage du protagoniste sont agrĂ©mentĂ©s de « poches d’air », plans ouverts sur la montagne, comme pour renforcer son aspiration vers les hauteurs.Â
La musique est peut-Ăªtre le second personnage principal de ce film de 52 mn. Le festival de la Rochelle ne s’y est pas trompĂ©, lui attribuant le prix de la meilleure bande originale. Cette musique basĂ©e sur des instruments Ă vents pour l’ambiance atmosphĂ©rique, de tambours pour le suspens, et d’autres instruments classiques est Ă l’image du reste du film : discrète mais puissante.Â
Finalement, le film parvient Ă raconter le quotidien d’un berger et la rĂ©alitĂ© des attaques du loup sans prendre parti, ni pro-berger, ni pro-loup. MĂªme si, sans divulgacher, l’histoire se termine sur une sorte de chant des bergères et bergers, qui n’est pas sans rappeler le chant des partisans. Mais dans cette histoire de bergers et de loups, bien malin celui qui saurait conclure par une vĂ©ritĂ© universelle et non partisane. Ă€ dĂ©faut de prĂ©tendre raconter l’histoire de tous les bergers, ce film raconte avec finesse l’histoire d’un pasteur.Â
Louis Hanquet reçoit le Grand Prix du festival du film et du livre d’aventure de La Rochelle. ©Hugo Lafitte