fbpx

Escalade en Patagonie : cinq grimpeuses, une vallée perdue et 600 m de granite parfait

Fay Manners escalade en libre la L9, une longueur délicate où il faut utiliser toutes les ressources dont on dispose ! Arquées, cuisse... 6c+/7a ©Julia Cassou

Après un mois de travail acharné, cinq femmes de divers horizons ont ouvert « Apollo 13, 7b+ », une grande voie de plus de 600 mètres d’escalade libre aux confins de la Patagonie, dans la Vallée de Turbio. En développant l’escalade libre dans cette vallée isolée, Belen Prados, Caro North, Fay Manners, Julia Cassou et Rocio Rodriguez Guiñazu, ont également vécu une expédition forte en émotions, en rencontres avec les locaux et en nouvelles expériences. Entre randonnée à cheval, nettoyage et équipement de leur itinéraire, repos au refuge Don Chule, et retour en rafting, les cinq femmes en ont vu de toutes les couleurs. 

La vallée de Turbio, sauvage et humide, suscite un intérêt croissant dans le monde de l’escalade. Ses grandes parois de granite, riches en fissures et en dalles dans un rocher de qualité, offrent un terrain de jeu encore largement inexploré. Moins fréquentée que le reste de la Patagonie par les grimpeurs et alpinistes, cette vallée reste un espace presque vierge, prêt à accueillir celles et ceux en quête d’aventure.

Il y a quelques mois, Flavie Cardinal et Jasper Pankratz partageaient déjà leur expérience dans cette vallée, où elles avaient laissé parler leur passion pour l’escalade et l’exploration. Aujourd’hui, c’est Julia Cassou, photographe et grimpeuse passionnée, qui nous livre le récit d’une expédition menée par cinq femmes déterminées et ambitieuses au cœur de la vallée de Turbio.

Le club des cinq dans la Vallée de Turbio, Julia derrière l’objectif ©Julia Cassou 

La Patagonie est connue pour ses magnifiques montagnes et son climat rude. À l’ombre de montagnes emblématiques comme le Cerro Torre et le Chaltén se trouvent d’autres vallées isolées qui recèlent des joyaux cachés. Après avoir entendu les histoires des premiers ascensionnistes Leo Viamonte, Seba de la Cruz et d’autres locaux qui ont pénétré pour la première fois dans les années 80 dans la vallée de Turbio IV dans le nord de la Patagonie, nous avons eu envie d’explorer cette partie de l’Argentine.

Nous étions une équipe de cinq femmes
venant de nationalités et d’horizons différents

Nous étions une équipe de cinq femmes venant de nationalités et d’horizons différents. Nous sommes toutes animées par un amour profond et une motivation pour l’escalade et l’exploration : Belen Prados, Caro North, Fay Manners, Julia Cassou et Rocio Rodriguez Guiñazu. Fin janvier, nous avons commencé notre expédition. Deux jours de randonnée à pied et à cheval, avec des traversées de rivières périlleuses, nous ont amenés à l’endroit où les Turbio II, III et IV se rencontrent, « la Horqueta ». 

La face d’El Cohete depuis l’approche ©Julia Cassou

Les cinq femmes devant la grande face d’El Cohete ©Julia Cassou

Un peu plus haut, au cœur de la forêt tropicale, se trouve la cabane Don Ropo, une cabane rustique en bois construite et tenue par Osvaldo et Gabriel Rapoport. C’était notre point de départ pour accéder à la vallée de Turbio IV. 

À partir d’ici, nous devions transférer les charges des chevaux sur nos propres dos et marcher un jour de plus pour atteindre le refuge supérieur, Don Chule. En suivant de petits sentiers à travers des forêts denses et en traversant deux tyroliennes, nous sommes arrivés à ce refuge pittoresque et accueillant. Construit par des personnes de la scène locale de l’escalade et une légende connue, Sebastian de la Cruz, ce refuge est devenu notre camp de base pour le mois suivant. Nous étions particulièrement reconnaissantes d’avoir un abri aussi luxueux les jours de forte pluie.

Nous voulions ouvrir une nouvelle voie dans « El Cohete »,
une face jusqu’ici encore vierge.

Nous avons utilisé les premiers jours pour explorer la vallée, observer les différentes parois, visiter quelques lignes existantes et répéter quelques longueurs pour nous familiariser avec le granit. Nous avons ensuite décidé d’installer notre bivouac à la lagune Mariposa pour essayer d’ouvrir une nouvelle voie dans « El Cohete », une face jusqu’ici encore vierge.

Belen Prados grimpe en libre dans la L4, après des premiers mouvements délicats et une traversée sur petites prises on arrive dans un coin fermé technique en dalle – 6c+ ©Julia Cassou

Nous avons commencé à ouvrir le terrain et à fixer quelques longueurs, mais les jours de forte pluie nous ont obligés à rentrer au refuge pour nous abriter. Nous avons eu la chance que les périodes de pluie ne durent jamais plus de deux jours et qu’elles soient interrompues par quelques bonnes journées que nous avons mises à profit pour progresser sur notre itinéraire.

Caro North grimpe la L12 en libre, en suivant la dalle, on arrive à une belle écaille puis à une cheminée sur le côté du mur de tête – 6b

Nous n’en revenions pas
de la qualité du rocher
sur chaque longueur

Entre les deux, nous sommes descendus à pied pour récupérer les provisions que les chevaux avaient transportées jusqu’au refuge de Don Ropo. C’était aussi l’occasion de goûter aux incroyables « tortas fritas » d’Osvaldo et à la douche en bois chauffée que Fede et lui faisaient chauffer à chaque fois que nous arrivions. L’atmosphère chaleureuse et accueillante qu’ils dégagent fait qu’il est difficile de partir à chaque fois.

Sur le mur, notre objectif était d’ouvrir un itinéraire que les gens pourraient répéter. Cela impliquait un gros travail de nettoyage : les fissures étaient pleines de plantes et de racines profondes tandis que les dalles étaient couvertes de lichen. Tout en poussant notre ligne vers l’inconnu, nous avons également travaillé dur sur les longueurs inférieures pour rendre l’escalade agréable. Beaucoup de travail partagé entre nous cinq ! Bien que l’ouverture ait nécessité un peu d’escalade artificielle, les longueurs nettoyées offrent une escalade libre étonnante, variée et soutenue jusqu’à 7b+. Nous n’en revenions pas de la qualité du rocher sur chaque longueur et de la variété des prises, des fissures et des dalles que nous avons trouvés.

La plus grande partie de l’itinéraire est une escalade soutenue dans la gamme des 6c/7a avec du matériel trad. Nous n’avons placé des spits que là où c’était nécessaire pour éviter les sections exposées.

600 m répartis en 13 longueurs (la plupart de 50 m de long) nous conduisent au sommet du pilier de Cohete. De là, nous avons pu gravir une ligne de 650 m d’AD 4a en escalade jusqu’à une arête enneigée et le premier sommet de neige.

Plus d’un mois de travail acharné, de logistique et de choix tactiques ont porté leurs fruits et à la fin nous avons créé « Apollo 13, 7b+ ».

Fay Manners sur l’extension de l’itinéraire, l’arête de neige de 700 m ©Julia Cassou

Fay Manners a hâte de voir tout le ménage qu’il lui reste à faire ! ©Julia Cassou

La voie est équipée en spits inox de 10 mm, dont deux sur chaque relais, et équipée pour la descente en rappel. Nous avons ajouté des spits dans certaines longueurs pour rendre l’escalade agréable et sûre.

Nous avons eu la chance de parcourir
en packraft toute la rivière Turbio
jusqu’au lac Puelo

À partir de là, l’aventure n’était pas terminée. En plus des charges normales et de la randonnée qu’implique la fin d’une expédition, nous avons eu la chance de parcourir en packraft toute la rivière Turbio jusqu’au lac Puelo. Une journée entière de navigation (rivière de catégorie I) à travers ces paysages vierges a mis à l’épreuve nos compétences et nous a amenés en toute sécurité au port où un autre bateau nous récupérait avant la dernière traversée du lac pour retourner à la civilisation.