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Bonnes résolutions ?

La montagne a pris la couleur de la dinde quand l’apéro a trop duré, et nos esprits sont barbouillés. L’automne s’invite en janvier. Heureusement, il reste les bonnes résolutions pour 2023 ! Par exemple : faire un beau bivouac en haute montagne. S’endormir les étoiles plein les yeux, et se réveiller quand l’aurore pare les cieux de ses lueurs magenta, et les sommets de nuances aigue-marine. C’est ce qu’ont fait deux alpinistes en bivouaquant au sommet du mont Blanc, en octobre. Le maire de Saint-Gervais vient de porter plainte contre eux, en se basant sur l’arrêté de protection qui interdit le bivouac sur la voie normale, l’assimilant à du camping.

Lever de boucliers de (nombreux) guides et alpinistes, dont le comité Alpinisme Unesco France, qui rappellent que le bivouac est l’un des fondements de l’alpinisme. Cet arrêté bancal ne devrait pas cibler des alpinistes, qui ont eu vraisemblablement le seul tort de faire connaître leur bivouac. Nos articles ont donné lieu à de nombreux commentaires de votre part. Mais qui a raison ?

Mont Blanc. ©Manu Rivaud

Avec son petit manuel rhétorique, L’art d’avoir toujours raison, Arthur Schopenhauer aurait sans doute été le king des réseaux sociaux, celui dont la punchline assassine le contradicteur, au moyen de ce qu’il appelle différents stratagèmes, y compris de « mauvaise fois innée », dit-il. Alors, bivouac ou pas bivouac ? Florilège. 

Commençons par le stratagème VI de Schopenhauer : postuler ce qui n’a pas été prouvé.  « Quand on se tape le sommet ce n’est pas pour se retrouver sur un terrain de camping au Cap d’Agde ! » À poil au sommet ? Ou encore : « ce bivouac, ça va donner l’idée à d’autres si on laisse faire », bon courage (et bons maux de tête) aux prétendants. Grand classique de la persuasion, le stratagème XI, qui consiste à généraliser plutôt que de débattre sur des cas précis : « si le maire laisse faire dans un an il y aura 40 tentes au sommet ! » Au mois d’octobre ?

Quand on se tape le sommet ce n’est pas pour se retrouver sur un terrain de camping au Cap d’Agde !

Autre stratagème (le XXVIII), convaincre le public et non l’adversaire : « Le maire de St-Gervais oublie qu’il a fait monter une cage de foot tout en haut du Mont Blanc en 2009 avec Zidane ! ». Pour enfoncer le clou ? Interrompre et détourner le débat (stratagème XVIII) : « Et pendant ce temps-là, on amène de la neige avec des camions pour une coupe du monde de biathlon pour que quelques neuneus puissent tourner en rond avec leur carabine sur l’épaule » (et son contre-argument : « tu as déjà essayé de faire du ski de fond avant de raconter des conneries ? »). Stratagème XXXIII, principe de l’association dégradante : « ce sont des youtubeurs avant d’être des alpinistes » et «  des influenceurs en carton ! » Bon, valait-il mieux Zidane ? (zut, on l’a déjà utilisé, cet argument). 

Bivouaquons. Au moins une fois. En 2023.

Tirer de fausses conclusions (stratagème XXIV) : « j’ai vu un youtubeur explorer une crevasse donc si je suis votre logique les crevasses sont aujourd’hui pleines de monde à l’intérieur suite à sa vidéo »… ou pire, Faire diversion (l’assez minable Stratagème XXIX, un « pauvre expédient » selon Schopenhauer lui-même) : « Pendant ce temps là, chez moi près de Douai, les gens du voyages squattent et font sauter l’électricité de tout le quartier ! Ces deux jeunes sont certainement une cible plus facile ! » Si M. Peillex veut bien passer un coup de fil à Douai.

Bref, vous l’avez compris, de l’absurde à la haine de l’autre, le traileur, l’alpiniste, celui qui squatte le mont Blanc sans y être dûment autorisé selon le rêve de l’édile de Saint-Gervais, le mont Blanc continue de cristalliser les passions. Laissons la justice décider si bivouaquer au sommet est une plainte recevable, ce dont nous doutons. Prenons la résolution suivante : bivouaquons au moins une fois. Au mont Blanc ou ailleurs, pourquoi pas, et sans en faire un plat.