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Quand le marketing confond Instagram et la réalité des saisonniers

Camion de saisonnier à Chamonix. ©Ulysse Lefebvre

Ça ressemble à un canular, genre Gorafi montagnard. Ou alors un premier avril, mais ce n’est plus un poisson, c’est du caviar.
Mais non, le publi-communiqué publié chez des confrères vantait bien les mérites de la « van-life » aux travailleurs saisonniers en montagne, afin de leur vendre des chauffages électriques, de la marque commanditaire dudit article sponsorisé.

Sur la forme, l’article est d’une indigence abyssale, à faire passer Wikipédia pour de la prose balzacienne. On hésite entre du texte généré par intelligence artificielle, et une corvée de dernière minute écrite à la va-vite.

Vous pouvez même ajouter un plaid

En substance, ça dit : saisonniers, vous qui hésitez encore à dormir en camion ou qui vous caillez déjà tout l’hiver dans votre fourgon, par manque de logements en dur accessibles, réjouissez-vous ! Vous n’êtes pas les prolos du travail en station ! Vous n’êtes pas les galériens du quotidien de l’hiver à 1800m, non, vous pouvez être de la grande famille de la « van life ». Il fallait oser.

Mieux, vous qui ne savez pas comment vous réchauffer tout l’hiver dans ce camion, suivez ces conseils inédits, je cite : « Vous cuisiner un bon petit repas ! Cela peut sembler bête au premier abord, pourtant l’idée n’est pas aussi saugrenue que cela ». Si, on confirme, c’est débile. 

Puis après nous avoir rappelé qu’une « couette sert à emprisonner la chaleur produite naturellement par le corps humain » on nous livre l’information capitale : « Vous pouvez même ajouter un plaid au-dessus de deux sacs de couchage ». Nous voilà scotchés. Avant de conclure de manière édifiante : « Pour les plus frileux, vous pouvez même porter un bonnet. » Même porter un bonnet. C’est la sidération.

Travailleur saisonnier à Chamonix. ©Ulysse Lefebvre

Cerise sur le gâteau : la photo d’illustration choisie, dont toute la série est trouvable sur Adobe Stock (ici) montre une femme outrageusement épanouie, dans ce qui ressemble à un camping-car de retraité, le tout en bord de mer. Pas vraiment l’image des saisonniers en camion, à Chamonix par exemple. 

Mais au-delà de la bêtise d’une telle publicité et du fait qu’elle prend réellement les saisonniers (aux conditions de travail toujours précaires, lire notre article ici) pour les derniers des idiots, que nous dit ce message ? Il raconte la puissance de certains concepts à la mode qui sont utilisés et réutilisés à toutes les sauces, marketing, comme un sachet de thé tellement partagé qu’il en devient insipide. Et parfois, ça frise l’indécence.

vendre une version instagrammée
de leur propre quotidien
aux saisonniers en camion,
c’est fort de café

C’est d’autant plus grossier que les paillettes de la « van life » ont vécu et que beaucoup de choses ont été dites sur la « fake van life » et son imagerie factice. Alors vendre une version instagrammée de leur propre quotidien aux saisonniers en camion, c’est fort de café. Et pourquoi pas vanter les vertus du camping aux SDF ? Rappeler que les voyages forment la jeunesse aux réfugiés ? Ou encore démontrer aux chômeurs de longue durée les bienfaits du temps libre dans leur recentrement spirituel ? Bah oui, allons-y franchement !
J’m’énerve pas, j’explique.

Au bout du compte, rien de grave. Ça pourrait même être drôle si c’était un détournement comique ou artistique, entre burlesque et situationnisme. On pourrait même penser que l’effet est réussi puisque le détournement du concept de van-life transposé au monde des travailleurs saisonniers crée cette « dissonance-cognitive » qui interpelle. C’est bien l’objectif des publicités détournées. Mais le pire ici, c’est qu’il ne s’agit que de premier degré. Heureusement maintenant on sait comment se réchauffer.

 

PS 1 : Mille excuses à tous ceux qui ne savaient pas qu’il fallait mettre un bonnet pour avoir chaud. 

PS 2 : Nos amitiés aux retraités dans leurs camping-cars.

PS 3 : Smiley taquin qui sourit mais avec de la fumée qui sort du nez aux confrères et à leur service commercial surtout.