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Le promeneur du glacier Noir

Baptiste Obino en solo au Pic Sans Nom

Six jours seul en paroi, perché au-dessus du glacier Noir. Baptiste Obino les a passés à ouvrir en solitaire un nouvel itinéraire en versant nord-ouest du Pic Sans Nom, 3913 mètres. La Makhnovtchina – c’est son nom – a été sa deuxième voie en solo d’affilée sur cette face, au coeur des Écrins. Un confinement volontaire en altitude, et en hiver.

Fin février 2021, Baptiste Obino, vingt-deux ans, somnole dans sa tente, sur le glacier noir, seul, une main tenant un bouquin, l’autre main perdu dans un paquet de chips ondulées, les meilleures.

Son principal objectif est de « se ressourcer, durant trois semaines, loin des réunions Zoom, des antennes 5G et des discours politiques nébuleux », objectif apparemment réussi.  En le questionnant un peu plus j’apprendrais qu’il existe un objectif secondaire tout de même : «  l’éloge de la fuite » en face nord-ouest du Pic Sans Nom, en solo, et en hiver. Ça c’est réussi, assez rapidement d’ailleurs, merci les bonnes conditions. Il rempilera quelques jours après avec la voie George-Russenberger. Reste donc une semaine à tuer, alors autant aller grimper, même si, quand on sort la tête de la tente, on peut aisément penser que c’est la peur qui domine, tout seul dans ces grosses montagnes. Mais ne pas y aller serait comme regarder la mer, abruti de soleil, suffoquant sous 40°C, sans se résoudre à y plonger.

A l’extrême droite, le Pic Sans Nom (3913m) en hiver, dont le triangle de la face N-O prend les rayons du soleil en fin de journée comme ici. ©Jocelyn Chavy

Voilà donc notre Baptiste natio.., local pardon, qui part caché derrière son énorme sac, 17 pitons, des cordes, friends, mousquetons, un panneau solaire de quoi dormir et manger. Dans sa tête les douces paroles de Bérurier Noir et leur son « La Makhnovtchina ». Le nom de cette musique, éponyme de la nouvelle voie que Baptiste a ouverte, est aussi imprononçable que l’alpinisme qu’il pratique est décomplexé. Ce cheminement, dont la première en libre sera sûrement faite dès cet été, est un véritable morceau de bravoure malgré tous les précautions que Baptiste utilise pour décrire son ouverture. L’ approche est une course à elle seule avec un louvoiement hasardeux entre des séracs, un passage de rimaye désagréable, des longueurs blotties sous la neige et l’escalade d’un bout de glaçon (grade 4+) avec le gros sac sur le dos. Comme toute ouverture en rocher en hiver il y a eu des séquences de réchauffage de doigts pendu sur un crochet goutte d’eau, des pitons plus dehors que dedans ou des arrachages de prises (et de protections) pour de belles envolées involontaires.

J’ai fait ça comme un porc, je n’avais même pas de sac de hissage. Baptiste Obino.

« Cette voie m’a donné plein d’idées… » dit Baptiste. Elle marque un cap dans sa pratique, une progression logique après toutes ces années là-haut. Enfin un début de progression logique : « J’ai fait ça comme un porc, j’avais même pas de sac de hissage », un joli résumé par le principal intéressé, comme quoi la motivation et l’envie comptent parfois autant que le matériel et l’expérience… Par ces projets originaux et aventureux, dans des massifs pourtant fréquentés, Baptiste me fait penser aux alpinistes de la grande époque, du milieu du 20ième siècle. La jeunesse en plus, la grande gueule en moins. Des projets au long cours, où la vitesse ne prime pas sur la beauté de la ligne, sa logique, et surtout son originalité et sa sauvagerie. Comme preuve à ces dernières phrases, l’été dernier, il s’était embarqué dans une traversée du massif du Mont Blanc par les cabanes italiennes. Beaucoup de rocher, beaucoup de soleil, de dénivelé, beaucoup de chips et de parapente, mais c’est une autre histoire.

©Baptiste Obino

Ne pas privilégier la vitesse ou la difficulté c’est aussi ça qui caractérise en partie la pratique de la montagne de Baptiste. De toute façon ce n’est pas « une petite machine », il ne fait pas du 9a, ne fait pas l’aller-retour à la Meije en 4h30, et puis suivre un entrainement ce n’est clairement pas sa conception de la montagne. Faire du fractionné, tracter sur une poutre, ça a dû arriver, quelque fois au lycée, et encore…Non son entrainement à lui c’est être en montagne, croiser les moyens de déplacements là-haut, skis, chaussons, chaussures de trail ou crampons aux pieds pour y passer le plus de temps possible, monter, descendre, remonter, allonger les journées, oublier les heures puis rentrer comme si rien ne s’était passé. Et cela depuis de nombreuses années, depuis son adolescence d’abord avec le groupe aventure du CAF Grenoble, puis avec des amis, et parfois seul. Des moments d’apprentissage parfois « à la limite », mais « ça a marché ».

Une phrase de Christophe Moulin me revient en tête « Il faut brûler les étapes, absolument ». Enfant, Baptiste a dû lire cette phrase.

Une phrase d’une interview de Christophe Moulin me revient en tête « Il faut brûler les étapes, absolument », voilà Baptiste enfant a dû lire cette phrase qui lui colle à la peau et qu’il applique tous les jours maintenant. Bref, cet entrainement, ce mot ne sort pas de la bouche de Baptiste, lui a permis d’acquérir une aisance particulièrement impressionnante en montagne. Nombre de fois où fanfaronnant dans la marche d’approche, ou sur le rocher équipé, je me suis retrouvé, en pensant pourtant ne pas avoir baisser de régime, en arrière, focalisé sur mes placements, derrière l’ami Baptiste étant, lui, autant concentré qu’en sortant du O’Callaghan lors de la réouverture des bars en juin dernier.

©Baptiste Obino

Le cheminement complexe de la 8ème longueur. ©Baptiste Obino

Pour résumer et pour les adorateurs des chiffres, et on sait qu’il en existe beaucoup en montagne, nous avons : 1 humain, 2 voies, 1 ouverture avec des longueurs jusqu’à 7b, 6 jours seul en paroi, 50 centilitres de génépi, 3913 mètres. Et cela en toute simplicité, pour « inspirer des [encore plus] jeunes », pour apprendre, essayer d’optimiser sa logistique, son matériel, piocher des idées chez les plus expérimentés comme Fabian Buhl par exemple, qui traînait sur le Glacier noir au même moment, comble de la chance. Ce qui reste, c’est des images dans la tête et une expérience qui fût plaisante. Baptiste ne compte pas s’arrêter là, d’autres projets ont déjà germé dans sa tête, mais rien ne presse, pour l’instant c’est repos.

Enfin et pour l’anecdote le nom de la voie, la Makhnovtchina est le nom donnée à la révolution anarchiste ukrainienne de  1918 à 1921, mouvement populaire de révolte face à l’autoritarisme communiste, qui a combattu les armées rouge et blanche. Le combat de David contre Goliath, de Baptiste contre la gravité, en équilibre précaire sur les rochers à l’ombre.

En bleu, T’y as mis un bon piton ? Hélias Millerioux et Romain Hocquemiller 2011

En blanc La Makhnovtchina de Baptiste Obino, février 2021

En rouge Éloge de la fuite, Stéphane Benoist et Arnaud Guillaume, 1997

 

Topo et infos de la face NO du Pic Sans Nom disponible sur la page pro de Baptiste.