Président une fois, honorifique à vie ? Alors Etienne Fert restera ultra-trailer. Mieux : explorateur de courses mythiques, running-greffier des trails. Sur la planète UltraFonds, on les appelle les Premiers. Illuminés de l’endorphine ? bigorexie de quadra-cadres ? Non, juste l’envie de ‘chevaucher des montagnes‘. Voici donc une histoire de petit et de grand. De RER et d’Himalaya, d’individu et de communauté. Des Biaous de Glaise jusqu’au Tor, Etienne raconte et compte les bornes. Et on écoute ses contes.
Car ces Histoires de trail pourraient être les nôtres. D’un footing à un ultra, ce seraient celles du coureur qui a vu naitre ses courses, a tout trotté, puis s’est arrêté. Inutile d’être « élite » pour cela. Etienne Fert fait partie du peuple trail, mais des Anciens. Les silencieux et souvent les plus capés, souvent s’en sans préoccuper.
Ils sont ceux de la fin du coton – quoi que. De la mort du fuchsia – et encore. De l’abolition des sacs bananes. Un autre monde que déjà en 2020, on évoque avec nostalgie. Et oui, Le revival, c’est la larme du passionné. Alors serrez les dents et soyez forts, car ça va secouer : ce monde a 20 ans. Au moins ! 20 qui ont passé depuis les premiers ultras. L’an 2000, l’euro, Stipe Mesic président Croate, mort d’Odette Joyeux, tout ça, vous vous rappelez ?
C’est donc l’histoire d’Etienne mon voisin de lotissement, l’employé du 3e qui s’est « mis au trail » avant 2000. 333, 555, déserts, Himalaya, UTMB’s et Tor’s, Diag’s, USA. En somme, c’est le monde qui attendait l’UTMB et le vit éclore. Oyez les foulées d’un trailer qui a connu…la Fortiche de Maurienne.
Dans notre dico du sport, il est ce coureur qui nous la coupe : « qui ne paie de mine que si on prend le temps de l’écouter ». Et bon sang, l’humilité nous revient vent de face. Pas la nôtre ! Pourquoi est-on si bavard ? Stressé de la saison, coincé du short, fouettard de la cote ITRA ? Baver sur le matos, ça on sait faire. Bâcher un trail sur deux, facile. Pire : tailler des costards aux élites « que c’est leur job, qu’ils sont forcément pas clean », on masterise. Sauf que. Pendant qu’on choisissait notre 75K – sans rivaux – lui s’écrasait mais avait déjà tout fait. Le solide, c’est celui qui en parle le moins. Ne pas chercher l’hôtel près du départ pour gagner 45’ de dodo. Ne pas prendre 6 jours de congés pour « reconnaitre la trace ». Mais bosser, puis charger la berline, puis rouler, puis courir. « Les bonbons bien au chaud » dans nos lycras fluos, on relit Fert avant d’oublier. Au fonds, peut-être que l’on tient la politesse d’Etienne : dans ce livre-mémoires, pas de chapitre ‘palmarès’. Bien.
Je trouve une annonce : « trail des Biaous de Glaise ».
Feu, l’inconnu.
Tu es nous-mêmes : un gourmand paradoxal. Celui qui aime la bouffe, mais rêve à un défi toujours trop gros. Une contradiction heureuse en forme de sportif. Lanceur de défis-coup de rouge, mais pour sortir de sa zone de sofa. Comme ces milliers, tu tombes dans le running des années 1995 ; comme eux, tu deviendras addict puis trailer. Pourquoi ces débuts en joggeur parisien ?
Etienne Fert : C’est effectivement un défi-coup de rouge qui m’a indirectement lancé dans le trail. A l’origine, je parcourais les montagnes à vélo et je n’étais pas spécialement amateur de course à pied. Et puis, en fin de soirée, avec un ami, le défi de participer au marathon de Paris naît. C’est donc parti pour quelques années de marathon, à rester bloqué au-dessus des 3h. Fatigué de m’entrainer pour gagner hypothétiquement quelques minutes…je trouve dans une revue de « running » une annonce : trail des Biaous de Glaise. Feu, l’inconnu et un pressentiment. J’adore, et vais me prendre au jeu. De fil en aiguille, le trail est devenu ma passion sportive, même si je faisais toujours du vélo et du ski de fond en hiver.
Autre époque ? Même effort. ©Coll.E.Fert
Premiers UTMB, qui mèneront à des Tors, et…. ©Coll.E.Fert
Je parcourais les montagnes à vélo mais je n’étais pas spécialement amateur de course à pied.
Tu es nous-mêmes : un randonneur de colonie qui fait son coming-out de trailer. Celui qui découvre le droit de redescendre une montagne en courant, de foncer en déposant nos vieux Cafistes. « L’esprit trail », le fameux : l’as-tu vu naitre, et jusqu’à quand ?
EF : D’abord, le trail n’est pas né avec l’émergence de nouvelles courses. Depuis longtemps, les fondeurs s’entrainaient en courant dans les montagnes. Trail avant l’heure ! Pour ce qui est de ce fameux « esprit trail », le débat et le terme m’ont toujours laissé dubitatif. Comme je le fais dans ce livre, on pourrait effectivement définir les contours de ce que serait l’esprit trail. Mais tellement y a été infusé, mélangé, mythifié…Personnellement, je le résumerais à une simple éthique de respect de la montagne, de ses collègues trailers, ou plus généralement des autres sportifs. Fondamentalement, et sans concours de gamberge ou de lexique, que l’on voit fleurir parfois. Mais c’est une discussion qui ne m’a jamais vraiment…motivé. La vérité est plutôt…en live et en course, non ?
Tu es nous-mêmes : celui qui se dit que rien n’est impossible. Mais qui rêve à des courses plafonnées à 100 inscrits, comme ça statistiquement, il pourrait viser le podium. C’est mathématique, qu’on vous dit. Celui qui a déjà envisagé changer de sexe pour devenir cette 1ère féminine. Ou d’état civil pour être cadet. Ou M5.
EF : Ah, la position dans le classement et nos limites…et parfois le truc magique, le jour où on se « déchire », ou l’incompréhension du score magique – ou les deux en même temps. Le fait est que j’ai profité plusieurs fois d’un nombre réduit de coureurs pour faire un podium ! Mais je n’ai jamais souhaité cet artifice statistique, bien sûr, et ne me suis jamais considéré comme un candidat sérieux au podium. Changer de sexe, allons…mais simplement l’objectif d’être devant la première féminine m’amusait, et restait un but ambitieux sans être irréalisable. Sinon, j’attends d’être M6 pour refaire du trail et être certain d’être sur le podium (rires) !
Tu es nous-mêmes : celui qui quitte une passion artistique, pour alors décupler étrangement une pratique sportive – intense, entière, voire chronophage. Ton expression personnelle bascule-t-elle alors a travers l’effort, la construction de projets-courses ?
EF : Il est clair que ma passion pour les sports de montagne et le trail en particulier, s’est mise à remplacer dans ma tête la passion pour le théâtre. En fait, j’ai toujours eu besoin de faire d’autres choses très activement en dehors du travail. Aujourd’hui, l’écriture a aussi pris une place importante dans ma vie. Je travaille sur d’autres projets sur le sport et d’autres sujets. Si j’étais vaniteux, je dirais que je suis revenu à une passion artistique mais sans laisser tomber la montagne.
Regretter ces anciens temps, ce serait refuser l’accès à ce sport pour de nombreux pratiquants.
UTMB 2006, 3 ans seulement que le blockbuster est né. ©Coll.E.Fert
Tu as connu un âge d’or : la naissance de mythes (UTMB, Hardrock, Tor…). Les dossards sans anxiolytiques. Les cadeaux finishers encore plus pourris qu’en 2020. Les ravitos sans soupe et avec du pain d’épices. Puis le monde ultra s’est financiarisé et construit, des portes se sont refermées. Des Chaigneau et Lorblanchet ont passé. Était-ce mieux avant ? osons-le : « populaire » ?
EF : Il est vrai que j’ai une préférence pour le trail des premières années, quand une course était une sorte d’événement familial. Maintenant, regretter ces anciens temps, ce serait aussi refuser l’accès à ce sport pour de nombreux pratiquants, ce que je ne penserai jamais. Le business du trail est venu avec le nombre de pratiquants (1 million en France), je n’ai rien contre, l’eau finit toujours par descendre des montagnes et rejoindre la mer. Mais que de cadeaux, ça c’est le drame !! J’ai une tonne de maillots finisher (en coton) dont je ne sais que faire, à part bricoler. Les tee-shirts et autres polaires me servent pour aller en montagne…(longue réflexion) : une idée novatrice pour le lot d’arrivée ? Compléter la panoplie de bricolage ?
Que se passe-t-il quand un UTMB nait ?
EF : Le loup de tex Avery, tu vois ? les yeux s’agrandissent, la langue pendouille et le rythme cardiaque augmente. Difficile de trouver un plus beau projet que celui de faire le tour, en non-stop, du sommet de l’Europe. Je ne pouvais donc que faire partie des premiers participants, et je regrette encore aujourd’hui de m’être arrêté à Champex ! et de ne pas avoir fait partie des warriors qui sont allés jusqu’à Chamonix.
Tu t’alignes sur les Templiers dès ton 2e dossard. A l’époque, l’évènement est-il déjà une légende, ou un passage obligé ?
EF : En fait à cette époque, il y avait peu de courses en France (rappelle-toi : c’était avant l’UTMB !). Les Templiers, c’était l’événement trail de l’année. Là , on parlait de « trail », et l’organisation avait importé cette chose de leur expérience US. C’était aussi rare que motivant, dans la nouveauté mais aussi l’expérience que ça proposait. Il fallait donc que je sois de la fête.
A Paris, le parisien va régulièrement dans les secteurs boisés ou campagnards de la banlieue !
Comment un parisien vit-il « nature, montagne, sensations »…et première couronne ou boulevards des maréchaux ?
EF : A Paris, le parisien va régulièrement dans les secteurs boisés ou campagnards de la banlieue ! comme la vallée de Chevreuse, les Vaux de Cernay, ou le sentier des 25 bosses à Fontainebleau. Des amis sportifs faisaient des fractionnés à Montmartre, et j’ai rencontré un trailer qui s’entrainait dans les tours de la Défense. Et beaucoup de coureurs citadins font encore ainsi – dans des escaliers à 32 niveaux +++, à Paris et dans beaucoup de métropoles. Donc, on finit toujours par trouver et surtout, comme je l’ai fait souvent, on fait des allers-retours vers les montagnes : Vosges, Alpes, Pyrénées. Puis un jour, j’en ai eu marre de ces voyages et un peu de Paris aussi ; alors je suis allé m’installer dans les Alpes, au milieu de mon terrain de jeu.
On dit qu’un voyage en appelle souvent un autre, physiquement, psychiquement. Pourquoi passes-tu des alpes au Désert puis au très long ?
EF : J’ai toujours eu une attirance pour le désert, en y faisant d’abord des treks. J’avais d’ailleurs arpenté des milieux naturels divers, en tant que trekkeur ; et ensuite les ai expérimentés en trailer. Ce fut assez naturel : j’ai eu aussi envie de décliner le trail dans le désert. Je crois qu’il y a pas mal de points communs entre le désert et la montagne : contrées minérales, solitude au milieu d’un espace superbe mais qui peut aussi devenir hostile, terrain difficile à courir. Et puis, je suis allé au très long car je voulais explorer mes limites.
Juste imaginer : Kilian, François et les autres, même décor. ©Coll.E.Fert
Quelle course retiendrais-tu et pourquoi ?
EF : Ah les Biaous de Glaise…ils m’ont marqué parce que c’était la première. Mais sportivement et mentalement, ce sont plutôt de grandes chevauchées qui m’ont imprimé. Je me permettrais d’en garder 3 : le Tor des géants, parce que l’objectif me semblait fou et que j’y ai très bien réussi ; mon 3ème UTMB parce que j’ai réussi à atteindre mon objectif de 30h quasiment à la seconde près ; et enfin la Hardrock parce que la haute altitude m’a toujours fait fantasmer.
Toi le passionné, pourquoi t’arrêtes-tu : plutôt physique, plutôt mental ?
EF : A priori, c’est la motivation qui m’a quitté. Plus envie de marcher pendant des jours et des nuits, plus de nouvelle course vraiment motivante. A postériori, je pense que le physique a aussi joué un grand rôle. Mon corps commençait à se fatiguer des efforts déments que je lui demandais et puis, en longueur où en rapidité, j’étais un peu arrivé à mon maximum. Or, l’exploration de mes limites a toujours été un élément important de ma motivation.
Je n’ai jamais aimé la douleur, et j’ai toujours regretté qu’on associe trop souvent ultra-fonds et souffrance.
Le trail a-t-il encore du sens pour toi, ou tu en as soupé ? de ce concept à tiroirs, à sonorité bizarre ou prononciations moches ?
EF : Même si je n’aime pas beaucoup le phrasé du mot…j’aime toujours ce sport. Même si je ne le pratique plus. Je continue à suivre de temps en temps les news et le live de quelques courses (UTMB, Tor, Échappée belle, …). Je le confesse.
Des convois à la con en pleine nuit, des cohortes de frontales dans le désert, des coins de rêves ou de misère truffés de mecs en shorts…bref, des brochettes de « passionnés » qui se demandent ce qu’ils font là . Le ridicule, la démotivation parfois ?
EF : Jamais je ne me suis demandé pourquoi je participais à une course, même à des moments difficiles. La motivation de base était toujours là (parcours, challenge sportif, exploration des limites…). Simplement, il m’est arrivé de galérer fortement sur des courses et, comme je n’aime pas associer douleur ou souffrance à ce sport, je préférais abandonner.
Plutôt course à étapes ou non-stop ?
EF : Non-stop, et sans hésitation. J’aime le concept du coup de sifflet et qu’ensuite, chacun gère jusqu’à la fin comme il peut ! Sur des courses de 3 ou 4 jours, j’ai pu me dire pendant que c’était peut-être trop long, mais après coup, c’est sur ces courses que j’ai eu mes émotions les plus fortes. La course par étapes présente le désavantage de hacher l’aventure. Seule exception pour moi, les courses en Himalaya où la sécurisation de nuit en très haute altitude serait très complexe à assurer.
A priori, c’est la motivation qui m’a quitté. Plus envie de marcher pendant des jours et des nuits, de nouvelle course vraiment motivante. Mais a posteriori, le physique…
La douleur : l’as-tu combattue, ou n’est-elle pas forcément obligatoire en ultra endurance ?
EF : Dans le sport et spécialement en trail, je n’ai jamais aimé la douleur et j’ai toujours regretté qu’on associe trop souvent l’ultra-fonds à la douleur. La douleur, la vraie, je pense qu’elle se vit dans les hôpitaux ou chez soi à cause d’une maladie. Dans ces circonstances de vie, d’épreuve, à aucun moment on ne peut décider de simplement ‘abandonner’ pour interrompre la souffrance. D’ailleurs, je suis encore plus choqué de cette association sport/intensité/souffrance, depuis que j’ai eu un problème de santé avec des douleurs pénibles pendant quelques années.