Avec cinq fois moins de morts en Suisse qu’en France chez les guides sur les dix dernières années, il n’est pas étonnant que le syndicat SNGM se soit penché sur la question lors de ses Assises de la Sécurité en montagne le 23 novembre dernier. La gestion des risques est une question cruciale à laquelle Benoît Profit, guide, choisit de répondre à sa façon : et si la clé résidait dans la relation à soi et à l’autre ?
Voici des réflexions qui m’animent depuis des années : ceci n’est qu’un point de vue, discutable à souhait. Les outils qui sont les nôtres (connaissances des outils techniques afin d’évoluer en sécurité en montagne) se doivent d’être connus, c’est une évidence. Que l’on renforce nos connaissances de jour en jour est une nécessité. Cependant ils sont, de mon point de vue, loin d’être suffisants pour atténuer l’accidentologie en montagne. Tout d’abord, il est pour moi important de pouvoir revisiter la notion de « performance ». Être performant c’est selon moi la possibilité d’aller en direction du sommet en étant relié à soi, à l’autre et à la nature. De pouvoir arriver au sommet de la montagne en bonne forme afin de pouvoir redescendre dans la vallée dans la même dynamique… Mais si de retour en vallée je crie sur mes collaborateurs, ma femme, mon mari ou mes enfants, suis-je performant ?
Ce parcours vers les cimes est synonyme d’une relation de qualité à soi et à l’autre, ou la confrontation est possible. La confrontation voulant dire, être capable d’(ap-)poser mon point de vue en parlant de moi à l’autre et non sur l’autre. Vision respectueuse, et non violente. Bien différent de l’affrontement ou je vais (op-)poser mon point de vue à l’autre, parler sur l’autre… Ce qui est un comportement non respectueux et violent.
Je suis moi-même encore bien loin de cette exigence relationnelle (j’en suis encore au camp de base !), ceci posé, je me suis mis à changer mon piolet d’épaule… C’était une nécessité déontologique. Ayant bien souvent du mal à proposer une relation respectueuse à moi et à l’autre, il m’a semblé fondamental d’effectuer un travail de fond de grande ampleur. Travail pour moi fondamental alors même que je suis guide de montagne : celui-ci est en effet garant de la sécurité, en prenant soin de « la relation » (métaphore de la corde). Or, pour prendre soin de la relation à soi et à l’autre, il est fondamental de pouvoir être à l’écoute de l’autre (client…) Et pour être à l’écoute, ce n’est pas si simple. Prenons un exemple. Si suite à une réflexion désagréable, une frustration exprimée par mon client, mon curseur émotionnel est au plus haut, il me sera difficile, étant dans la confusion, de pouvoir écouter l’autre. Et c’est bien là le coeur du problème, lorsque je vais devoir prendre une décision… Dans la confusion, il est plus difficile d’avoir du discernement, une vision panoramique, me permettant d’observer le terrain, l’autre, et du coup d’avoir le comportement le plus « juste » pour réduire les risques.
Émotions et vulnérabilité
Si je suis dans le « rouge » émotionnel, il y a de fortes chances que je sois dans le rouge à tout point de vue… Les outils techniques sont importants mais totalement insuffisants pour travailler sérieusement sur la Gestion des risques. Il est de mon point de vue de notre responsabilité, d’aller revisiter notre histoire, afin de pouvoir « assouplir » nos nœuds émotionnels. Cette démarche est pour moi garante d’une meilleure capacité à gérer les risques en montagne et ailleurs… Et pour cela, je n’ai de cesse personnellement que d’accueillir avec la plus grande bienveillance ma « vulnérabilité ». Ce afin de trouver ma puissance et non ma toute puissance. Accueillir sa vulnérabilité voulant dire accueillir ce que je suis (émotion, corps, esprit) avec bienveillance. Sans juger ni interpréter si possible. Ayant observé, je suis plus à même de pouvoir modifier certains comportements, certaines attitudes et postures, afin d’améliorer mon confort et par la même, celui des autres. Et de la relation…
Je pense souvent à cette première ascension de l’Annapurna et toutes les autres d’ailleurs (après-guerre) et ne suis pas bien sûr que ce soit une « performance ». La descente et le retour en vallée n’ont pas été des plus simples sur le plan relationnel… J’ai eu la chance de pouvoir discuter longuement avec Marianne Terray. Et j’ai longuement écouté sa grande colère (légitime) vis-à-vis de cette « histoire ». Signe d’une situation inachevée, ou les non-dits, laissent ouvert la pleine toute puissance aux émotions et aux débordements.
Pour travailler sur la gestion des risques, il me semble d’une impérieuse nécessité de travailler sur d’autres leviers. Approfondissons nos outils techniques, relationnels, émotionnels… Il y a urgence. Vaste programme qui est d’ailleurs celui d’une vie. Celui-ci est pour moi fondamental, lorsque je sais que le sommet en montagne n’est que la cerise sur le gâteau. Mon métier de guide est de proposer à moi et à l’autre, un cheminement au cœur de soi-même, afin de proposer une relation respectueuse. Être guide pour moi c’est simplement cela.