fbpx

Les étoiles de la Terre, le plaidoyer de Victor Galuchot

Victor Galuchot en face nord des Courtes ©Jeremy Bernard

Le freeskieur qu’il est a abandonné l’hélico et les déplacements lointains. Pour la passion du ski, Victor Galuchot choisit désormais les Alpes, et gravit à pied les montagnes avant de les descendre, avec un style ébouriffant, mêlant pente raide et vitesse, fluidité et engagement. Mais assouvir sa passion du freeride ne lui suffit pas. Son nouveau film, les Étoiles de la Terre, disponible gratuitement à partir du 3 décembre, livre des images spectaculaires au service d’un plaidoyer pour les glaciers. 

Il nous l’avait lors de la sortie de la série Conscience, websérie concotée avec son ami Gaëtan Gaudissart. Et nous le redit aujourd’hui, alors que sort justement son nouveau film. Victor Galuchot n’est pas là pour donner des leçons. Mais la conscience de devoir s’adapter et d’adhérer une pratique respectueuse pour l’environnement. « J’essaie de proposer des possibles, je ne suis pas parfait » dit-il, assumant son passé de skieur professionnel. Mais fini les tournages au bout du monde : Victor est convaincu que l’imaginaire, les images de ski et la façon de les faire, la création, sont de puissants vecteurs de changement par rapport aux défis climatiques.

« Ma responsabilité en tant qu’athlète est de générer une prise de conscience J’ai utilisé la métaphore des étoiles pour parler des glaciers. Je voulais que le spectateur s’approprie l’idée et faire passer ce message ». L’idée ? Simplissime. Montrer la beauté actuelle des glaciers, qui existent encore, mais dont la réalité future est aussi incertaine que la lumière des étoiles qui nous parvient alors qu’elles ont peut-être déjà disparu. Il s’agit alors de gravir et descendre à skis les plus belles pentes où naissent ces glaciers, à la force des mollets bien sûr. Un film de ski, qui ne parle pas que de ski. Cerise sur la meringue : la vitesse ébouriffante avec laquelle Victor descend lesdites pentes. Hématome de la rétine pour nous, spectateurs. Engagement sur les skis, déjà.

Dans le bassin d’Argentière, sur fond d’Aiguille de Triolet ©Jeremy Bernard

Victor Galuchot ©Jeremy Bernard

Les aléas du tournage

Filmer à 3500 mètres, skier des pentes raides avec une neige poudreuse – on y reviendra – tout cela représente pas mal d’anticipation… et de boulot. « Le printemps 2022 a été horrible, chaud dès le mois d’avril. Nous n’avons rien pu faire, et j’ai fini la saison avec aucun virage dans la boîte« , se souvient Victor – qui d’ailleurs fait peu de virages, en général. « En 2023 les conditions étaient bonnes au printemps. Nous avons skié la face nord de l’Aiguille du Chardonnet, tenté de skier l’Amône, skié dans d’autres beaux coins et conclu en beauté par la face nord-nord-est des Courtes. »

Au Chardonnet, l’idée était de skier une variante de l’éperon Migot. Skié par Boivin et Détry, l’éperon a été skié sur son flanc par Kilian Jornet et Vivian Bruchez en 2013. Cette année, Victor et son compagnon de cordée Christo Baud sont remontés par l’éperon, et ont choisi une ligne plus à gauche quand on regarde la face. « Je ne mesure jamais, mais là, c’est raide ! Cela m’a vraiment marqué » dit Victor.

Le Chardonnet, c’est vraiment raide, cela m’a marqué. Victor Galuchot

Son style de ski ? Rapide, très rapide. Et fluide, très fluide. Une vitesse rare sur des pentes aussi raides, une pratique peu commune dans la neige des Alpes, souvent avalancheuse, à l’exception d’un Jérémie Heitz. Comment fait-il ? « Il faut une neige facilitante pour skier à cette vitesse-là » concède modestement Victor. La bonne neige, celle qui tient dans le raide mais qui ne va pas partir en coulée à la première sollicitation : tout un art !

La recette ? « Des infos, de l’observation, un réseau de copains qui tiennent au courant… sinon ce sera de la neige plus ou moins de printemps, des virages sautés et du dérapage ! Il faut que les planètes s’alignent. » À l’arrivée, une face NNE des Courtes descendue comme jamais auparavant, en deux ou trois grandes courbes seulement jusqu’à l’orée du grand sérac de cinquante mètres, que les deux compères échappent en rappel. « Christo est guide, très fort montagnard, j’ai pleinement confiance en lui. Quand on skie, c’est du free solo, mais à la montée, ou à pieds, on est une cordée » dit Victor.

Victor Galuchot ©Jeremy Bernard

La dure loi de la pente

Pour Victor, il s’agit de descendre ces pentes avec ce style et cette vitesse, et cela implique de ne pas monter forcément par la pente qu’il descend. En poudreuse, il remonte si possible en zone abritée, sur des éperons rocheux, et choisit ensuite une pente où « la vitesse est un gage de sécurité« . Mais parfois, ce n’est pas possible, comme ce jour en face Est de la Pointe de l’Amône, diamant versant suisse du Mont-Blanc. « Au milieu de la pente, au moment où tu t’engages à gauche et où tu passes au-dessus d’une énorme barre, nous avons fait demi-tour. On se posait la question du risque d’avalanche depuis la veille. Tu n’as jamais la réponse, de savoir si c’est faisable ou pas. Mais là, je suis rentré en un seul morceau, et c’est ce qui compte. Je fais assez facilement demi-tour, mais cela ne veut pas dire qu’ensuite c’est facile à digérer » concède-t-il, prêt à y retourner un jour.

Quand tu prends un but, tu n’as jamais la réponse, de savoir si c’est faisable ou pas, mais tu rentres en un seul morceau

Le rappel sur le bord du sérac, face NNE des Courtes. ©Jeremy Bernard

La recherche de la beauté passe par les plus beaux sommets. La quête esthétique était déjà celle de Gaston Rébuffat, qui parlait du massif du Mont-Blanc comme d’une jardin féérique.

« Aujourd’hui on est dans un monde très compétitif. Et on est tous impactés par ça. Mais il faut prendre du recul. Accepter des petites contraintes pour en éviter de plus grandes plus tard. Avec Les Étoiles de la Terre, j’ai voulu évoquer l’avenir avec une double lecture. L’une s’adresse clairement à mes collègues de l’industrie du ski, montrer que l’on peut faire des images, satisfaire des sponsors avec un impact carbone minimum. C’est un peu mon cheval de bataille dans l’industrie. Et après, il y a une lecture plus large du film, pour Monsier Tout le Monde, qui peut comprendre que si moi j’essaye de faire mon boulot dans les montagnes en réduisant mes trajets carbonés, alors lui aussi peut essayer « . 

Les JO, ce sont plein de belles choses mais il y a besoin d’une refonte totale de l’événement. Sur la décision, il y a un déni de démocratie. Victor Galuchot

Et les JO ?

Dans un univers du ski qui n’a pas forcément l’ambition d’adhérer à un changement, le discours de Victor tranche. « Pour la génération d’avant, c’est dur de changer car pour eux, l’industrie du ski a été source de richesse, je ne leur en veux pas, il faudrait changer la mentalité des décideurs et c’est difficile. Mais derrière, chez les générations plus jeunes, j’ai l’impression qu’il y a une prise de conscience générale.« 

Que pense Victor Galuchot de l’annonce du choix de la France comme « candidat pressenti » pour les Jeux Olympiques d’hiver en 2030 ? « Déjà, je ne crois pas qu’on puisse, comme certains l’ont demandé, obtenir en l’état des choses un accord sur l’environnement avec les JO, ou que l’organisation d’un tel événement, avec des déplacements aussi énormes, puisse être respectueux de l’environnement ». Et d’enfoncer le clou.

« Les JO, oui, ce sont plein de belles choses mais il y a besoin d’une refonte totale de l’événement. Pour être clair, je suis contre ces Jeux parce que c’est d’abord et avant tout un problème de démocratie : on ne demande pas l’avis de la population et on aurait dû. Pour tous les gros événements sportifs de cette importance il faudrait se mettre autour d’une table pour discuter de la mobilité par exemple. La démocratie a pris un coup, et c’est plus grave que la seule question des Jeux. »

Réalisé par Victor Galuchot, le film Les Étoiles de la Terre est à voir ici à partir du 3 décembre.