Sur la photo les voitures s’alignent sagement : au premier plan la silhouette inévitable de la Simca 1100, inévitable car elle fut produite à plus de deux millions d’exemplaires durant la décennie 1970. Un Land Rover Série II ou III, une fourgonnette Renault 4l, et au moins deux autres Simca… Le bâtiment s’appelle Neige et Soleil, c’est un centre de vacances des Oeuvres sociales des PTT, l’ancêtre de la Poste et de France Télécom, aujourd’hui Orange.
De la Neige et du Soleil pour les employés de la poste, qui aèrent leurs dessus de lit (orange) aux fenêtres. Le temps des restructurations chez France Télécoms (et de la vague de suicides) est encore distant de quatre décennies. Des gros tas de neige, un petit bar-terrasse à la bonne franquette. Des piétons en pantalon patte d’éph’ ou chaussés de bottes en fourrure (si vous regardez bien) : c’est le ski version populaire, la station version familiale. Loin des usines à ski qui, déjà à l’époque, ont commencé à fleurir dans les Alpes sous l’impulsion de Maurice Michaud. La photo date de 1976. Trois ans plus tard, la France se gondole au ciné avec les Bronzés font du ski.
Céüze, 1976.
Nous sommes à Céüze 2000, dans ce qui fut la plus ancienne station de ski des Hautes-Alpes : en 1938 le premier remonte-pente, de 185 mètres de long y était installé. À son apogée, le domaine skiable « Gap Céüze 2000 » compte 9 téléskis, 25 pistes (9 vertes, 8 bleues et 8 rouges). Au printemps 2006, un projet crucial d’aménagement de la station, celui d’enneigeurs pour pallier le manque de neige, capote : les communes de Sigoyer et Pelleautier craignent une incidence sur l’approvisionnement en eau de leur territoire. Deux hivers sans neige, 2016 et 2017, achèvent Céüze 2000. La région PACA refuse de financer un nouveau projet de retenue collinaire. Les remontées mécaniques sont fatiguées. Après 85 ans d’existence, la station ferme en février 2020.
Elle fait partie de ces « stations fantômes » qui sont recensées dans les Alpes.
Il y aura d’autres Céüze
« Il n’y a aucun modèle économique qui ait fait ses preuves pour accompagner la fermeture d’une station de ski », et pas de gouvernance « après-ski », au sens littéral, pour Céüze, rappelle ce documentaire de France 3. Alors que la France, et les Alpes, entament leur énième semaine de sécheresse, avec l’espoir que ce soit la dernière et que la neige tombe enfin sur les montagnes ces prochains jours, la rareté de la neige en cet hiver sec a de quoi interpeller. Comme le fait de produire de la neige de culture quand les premiers signaux de sècheresse clignotent en rouge. L’or blanc est devenu plus rare que jamais.
Si les incertitudes concernant l’évolution climatique future demeurent, de plus en plus d’études scientifiques, que le spécialiste Loïc Giaccone relaie, envisagent des scénarios de réchauffement plus élevés que ceux précédemment envisagés. Selon lui, il y aura d’autres Céüze : « il y en aura hélas bien d’autres dans les massifs montagneux au cours des prochaines décennies. Il est absolument nécessaire de travailler dès maintenant pour les anticiper et gérer au mieux la transition ». La faute à « un système qui s’autopersuade que tout va bien », déplore Eric Adamkiewicz, ancien directeur de l’OT des Arcs, qui enfonce le clou : « trop de lits, pas assez de clients, mais on construit encore des hébergements touristiques. Jusqu’à quand ? » (1)
A Céüze la fréquentation hivernale est toujours importante. Neige ou pas neige, ski de rando, raquettes, trail… le plateau si magnifique de Céüse, l’envers de la couronne de Céüse, la plus belle falaise du monde, est un lieu de réflexion, le cadre d’un imaginaire à reconstruire autour de la montagne, comme le fait l’association Idées de demain (2) pour Céüze.
Toute la question de la décennie actuelle est de savoir « ce qui, dans le processus de transformation, doit être maintenu tel quel. Du point de vue des sociétés, il y a résilience lorsque des fonctions, des identités, des valeurs fondamentales, sont préservées. L’adaptation suppose donc des choix, des priorisations et des actions graduées dans le temps » (3). C’est donc une question politique, de choix démocratiques, qui nous concerne toutes et tous. Pour que l’on continue à chanter « Quand te reverrai-je ? Pays Merveilleux ! »
(1)
En conclusion de la nouvelle édition de l’enquête de Danielle Arnaud, La neige empoisonnée, 1975, rééditée en 2022 par les éditions Inverse
(2)
(3)
cité par Loic Giaccone au lien suivant.