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Breithorn premier 4000 avec Jérémie Heitz

Jérémie Heitz au Breithorn ©Jocelyn Chavy

Prenez un beau 4000. Un cadre exceptionnel, le coeur du Valais, au-dessus de Zermatt. Ajoutez un skieur pro comme guide de haute montagne, Jérémie Heitz, et quelques débutants dans la cordée. Vous obtenez de belles rencontres, et les paroles, rares, d’un skieur parmi les plus emblématiques de sa génération.

Il a beaucoup neigé en cette fin août, et c’est une bonne nouvelle pour les glaciers. Moins pour les traverser. La couche de neige fraîche est assez épaisse pour cacher les crevasses, mais pas pour les combler, comme nous le découvrons en marchant sur le glacier au départ du téléphérique du Klein Matterhorn. Celui-ci, fort pratique, permet de s’affranchir de la marche d’approche et de gravir le Breithorn, 4160 mètres, à la demi-journée. Dur l’alpinisme ? Pas aujourd’hui, et pas ici, puisque c’est Jérémie Heitz qui encadre la course. Le skieur professionnel qu’il est toujours s’est engagé dans le cursur de guide de haute montagne, il est aujourd’hui aspirant-guide. Il emmène aujourd’hui des stagiaires des Mammut Mountain Days, nouveau festival de la marque suisse, en partenariat avec Polartec, festival planté à Täsch, près de Zermatt, au coeur du Valais, et sponsor de Jérémie.

Ce matin, plusieurs membres de notre cordée vont gravir leur premier 4000, avec un guide qui a posé ses spatules sur la plupart des sommets environnants. Propulsé par un film marquant, La Liste, dans lequel il descendait à skis parmi les plus raides faces des Alpes à une vitesse impressionnante, Jérémie Heitz a mûri depuis, sans cesser de descendre certaines pentes raides dans son style inimitable.

Mais là, tout de suite, il faut traverser sans encombre, et bien encordés, le plateau supérieur du glacier au pied des Breithorn. Au pluriel en effet : pas moins de six sommets de 4000 mètres définissent les Breithorn, du Breithorn occidental, 4160 mètres, jusqu’à la Rocca Nera 4069 m. Le Valais, et plus précisément Zermatt, réunit la plus belle concentration de 4000 des Alpes, avec, planté au milieu, le roi Cervin. Pas pire comme décor pour un premier 4000 !

Le Breithorn au soleil levant, depuis Täsch ©Jocelyn Chavy

Le Cervin ©JC

Francophone, Jérémie Heitz a fait ses classes, à skis, aux Marécottes, dans la partie ouest du Valais, dans la vallée du Trient. Mais il est comme un poisson dans l’eau au milieu des 4000 du Valais, dont il a skié les plus belles faces : la face nord de l’Obergabelhorn (dans la Liste), les Lyskamm ou encore la face Est du Cervin, qui nous regarde, avec ce style très rapide, fluide, de très grandes courbes. « Quand j’étais plus jeune, j’ai vu ce qu’ont fait Anselme Baud, Sylvain Saudan, Pierre Tardivel, André Anzevui, c’est-à-dire mettre des skis dans des itinéraires d’alpinisme. J’ai trouvé cela très inspirant » raconte Jérémie.

Depuis, il ne skie pas forcément seul, mais souvent avec un vieux copain, lui aussi guide, Sam Anthamatten. Preuve qu’ils sont parfois contraints par les conditions, ils sortent la corde quand ils filment ce printemps, dans l’Oberland Bernois. Sam qui dit de Jérémie, « il fait partie des amis en qui j’ai complètement confiance et qui peut tout faire, c’est le parfait compagnon de cordée ».

J’ai appris à mieux skier en skiant tous les jours, y compris quand les conditions sont merdiques ! jérémie heitz

Une histoire d’amitié qui dure depuis des années. Après son apprentissage en ski alpin de compétition, Jérémie est passé par le Freeride World Tour : « quand j’étais gamin je voulais savoir ce que je valais, je voulais me comparer aux autres. Au FWT tu dois skier le même jour, avec les mêmes conditions que les autres. » Il finit par se lasser du Tour et après avoir cumulé les descentes en pente raide, sort la Liste, le film qui a, quelque part, classé Jérémie dans une case à part. « J’ai appris à mieux skier en skiant tous les jours, le plus possible, y compris quand les conditions sont merdiques ! » plaisante-t-il.

Rocca Nera. ©JC

Jérémie Heitz au sommet. ©JC

Devant le Cervin, la Dent Blanche, une cordée arrive au sommet du Breithorn. ©JC

L’accident durant la Liste 2

Après la Liste, il y a eu la Liste 2, Everything or Nothing : le même projet que le premier film, mais transposé dans les Andes et dans le Karakoram. Malheureusement dès le premier sommet, l’Artesonraju, l’un des cameramen chute à skis. Il en réchappe de justesse, mais finira handicapé. Jérémie accepte d’en parler aujourd’hui.

« Au Pérou c’était très dur. L’accident était horrible. Après la Liste 2 ma vie a changé. Je me suis posé beaucoup de questions. Juste après l’accident on a compris que l’autre journée commençait, on ne pouvait compter que sur nous mêmes et il fallait sauver notre camarade. Ensuite on s’était demandés s’il fallait continuer à tourner, même si le cameraman nous avait donné son feu vert. D’ailleurs au Pakistan, on s’est posé les mêmes questions après d’autres frayeurs aussi. Avec Sam, on se disait, mais qu’est-ce qu’on est en train de faire ? On avait atteint certaines limites, c’est sûr. Cette histoire a changé ma vie pour toujours » explique-t-il aujourd’hui.

L’accident pendant la Liste 2 a changé ma vie pour toujours. Jérémie Heitz

Aujourd’hui Jérémie Heitz s’est posé, a mûri sans doute. Ne manque pas de projets : à skis, en parapente… dans les Alpes surtout, au Canada peut-être. À l’un d’entre nous qui lui demande s’il a déjà fait demi-tour, il répond : « bien sûr ! À l’Obergabelhorn, la première fois que j’y étais à skis, j’ai renoncé. Je suis revenu un autre jour ». Depuis, plus encore, il se dit « plus conscient » des risques. « Je ne veux pas pousser pour que la mission du jour, descendre et/ou filmer telle pente, soit forcément un succès. ce n’est pas un problème pour moi de renoncer. »

Sur le fil du Breithorn. ©JC

Ambiance sous le chapiteau des Mammut Mountain Days. ©JC

Motivation

La motivation, elle, est au rendez-vous. Comme aujourd’hui face aux 4000 du Valais. On atteint rapidement le sommet du Breithorn, 4160 mètres, le panorama est gigantesque. À l’ouest le Cervin, la Dent Blanche, l’Obergabelhorn, le Zinal Rothorn, la pyramide aigüe du Weisshorn. Au nord, le Dom, plus haut sommet « intégralement » en Suisse, le Täschhorn, et les 4000 de Saas (Alphubel, Rimpfichhorn…). Et puis tout près, le vaste massif du mont Rose, dont émerge le Castor et le Pollux, tout près. L’arête est du Breithorn est relativement aigüe, avec un vide impressionnant versant nord. Marcher en restant concentré fait partie du jeu en alpinisme. Mieux vaut s’arrêter pour faire une photo du panorama.

Difficile de faire plus gratifiant que le Breithorn pour qui veut monter à 4000 mètres – et au delà. En deux petites heures, le sommet est atteint. Commence alors éventuellement la traversée de l’arête vers les autres sommets. On effleurera le second avant de descendre. Jérémie hume l’air, réfléchit à descendre en parapente une fois sa cordée ramenée au téléphérique. Le soir, devant les spectateurs rassemblés sous le chapiteau des Mammut Mountain Days, à la question « comment fais-tu », Jérémie Heitz répond : « aujourd’hui au Breithorn j’ai vu un enfant de six ans au sommet. Ça a fait ma journée… C’est la motivation qui fait tout ! »