C’est une course presque confidentielle qui s’étire sur le haut fil des Pyrénées andorranes.
Avec l’ELS 2900, « courir dans le ciel » prend tout son sens, sur un parcours réservé aux plus alpinistes des trailers.
Els 2900 est à la course de trail ce que le terrain d’aventure est à l’escalade. Le terme de trail lui-même est caduc au regard du profil du terrain parcouru, totalement hors-sentiers. Plus qu’une course, c’est une aventure en montagne qui relie sept sommets à plus de 2 900m sur le fil des Pyrénées andorranes. Un menu de choix qui tutoie les 3 000m : Pic de Coma Pedrosa (2 944m), Roca Entravessada (2 928m), Pic de l’Estanyó (2 915m), Pic de Medacorba (2 913m), Pic de la Serrera (2 912m), Pic de la Portelleta (2 905m) et Pic de Font Blanca (2 904m). Là-haut, pas de balisage et pour cause : vous seul décidez de votre itinéraire selon votre sens de l’orientation, mais aussi selon vos capacités à parcourir la montagne en courant ou en grimpant. Ici, le caractère aérien et alpin (pardon amis pyrénéistes pour ce terme osé) ne sont pas des arguments marketing. On ne vous vend pas le grand frisson d’une arête équipée de main courante. Non, c’est à vous de trouver la voie, de faire le choix du passage, de vous engager ou non. Cette capacité à s’engager et à évoluer en terrain alpin est déterminante dans la sélection des 25 binômes (maximum) sélectionnés. Matt Lefort, créateur et organisateur de la course avec Carles Rossel, s’explique : « Cinquante coureurs, ça ne fait pas beaucoup, mais le but n’est pas d’amener des centaines de coureurs en haute-montagne. La sélection se fait sur dossier, avec CV. Les profils sont très différents mais tous sont très expérimentés en montagne. » D’ailleurs, seuls le baudrier et le casque sont obligatoires pour chaque coureur, notamment en vue de la traversée de la Cresta dels Malhiverns, cotée PD+. Les équipes sont également invitées à emmener au refuge de départ un brin de corde, mousquetons et longes, mais leur utilisation sera uniquement recommandée la veille de la course, selon les conditions en montagne. L’expérience de chacun fait alors foi.
Garde tes points et pose les mains
Collectionneurs de points, passez votre chemin ou alors montrez autre chose de vos aptitudes. Ici, le permis de courir n’est pas à points et il faut plutôt une liste de courses en montagne tous terrains. Orientation, capacité à évoluer en milieu non balisé, hors chemin, à poser les mains et les pieds, à prendre des décisions en cas de situation difficile. Voilà qui parlera aux plus alpinistes des trailers. Alors certes, c’est une course, et le but reste aussi de se dépasser face au chrono (24h maximum), avec un dossard et son numéro. Mais l’état d’esprit dépasse la simple finalité de faire un temps. D’ailleurs, lors de la dernière édition, du 6 au 8 octobre 2017, seules 17 équipent étaient au départ, sur les 35 sélectionnées. Sept seulement ont fini la course. Autant dire que le défi est ailleurs que dans le classement. Il s’agit plutôt d’une course de montagnards qui prendront plaisir à courir là où la verticalité imposait autrefois de prendre son temps. Modernité assumée. Les progrès matériels et humains permettent aujourd’hui de parcourir vite et bien des portions de montagne autrefois longues à boucler. Et tant pis pour les sceptiques et autres partisans du « prendre son temps ». Que chacun le prenne à son rythme ! Certains le prennent plus rapidement que d’autres… Sur Els 2900, faute de balisage, on garde surtout l’œil ouvert sur la ligne de crête à venir, sur la carte examinée longuement la veille, et sur le ciel qui lui aussi amène son lot de surprises soudaines. « La course a lieu en octobre car le risque d‘orages électriques est plus faible qu’en été. C’est une précaution obligatoire sur une course qui se déroule très haut, tout du long ».
La montagne pour seul public
Avec 70km pour 7 000m de dénivelé positif, cette course est parfois comparée à la Nolan, à son échelle. La grande sœur américaine se court sur 100 miles (161km) à travers 14 sommets du Colorado, à plus de 4 000m, le tout en 60h maximum. Ici, sur les hauteurs d’Andorre, le défi est plus humain, bien plus même puisque la course se court par binôme, favorisant les stratégies d’équipe. Il ne faut cependant pas compter sur le public pour trouver son chemin : avec un départ (à minuit) et une arrivée de refuge à refuge, très haut dans la montagne, les spectateurs sont rares. L’ambiance est d’autant plus à la solitude. Seule une équipe d’orienteurs ramène les brebis égarées sur le droit chemin, du moins la bonne direction. L’alpiniste et guid de haute-montagne Jordi Tosas est conseiller technique. En tant que véritable théoricien de l’alpinrunning, il veille à conserver l’état d’esprit sauvage de cette course singulière. Un évènement tellement atypique qu’un autre jeune coureur des cimes, catalan lui aussi et né dans le vallon voisin, serait tombé sous le charme de la course et projetterait d’y courir en 2018. Mais même ça, les organisateurs n’en parlent pas. Sobriété oblige.