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De l’art (extrême) d’emmerder en racontant son expé

Ce titre est bien évidemment emprunté à l’excellent livre de Matthias Debureaux « De l’art d’ennuyer en racontant ses voyages », et adapté pour l’occasion à ces alpinistes généreux du superlatif et qui nous abreuvent de leurs récits extrêmes.

L’origine de ce petit coup de sang ? Un énième communiqué de presse de bon matin qui nous explique comment un alpiniste extrême part actuellement « à l’assaut de l’Everest ». Faut-il rappeler que la prise guerrière est revendiquée par des centaines de conquérants par saison (plus de 700 en 2022) ?

Oui mais c’est sans compter sur une noble cause qui motive notre aventurier de l’extrême : un soutien à une association qui lutte contre une maladie grave. Chaque malade devrait à coup sûr se reconnaitre dans cet aventurier sans peur et sans reproche. Mieux : l’aide financière apportée sera un plus indéniable dans la recherche médicale. Imparable. Voilà qui doit normalement rabattre le caquet de toutes les mauvaises langues, même des plus cyniques.

Indiana Jones et le temple Maudit. L’aventurier extrême doté de second degré. ©Lucasfilm/DR/TCD

C’est sans compter non plus sur mon extrême mauvaise foi, très puissante le lundi matin (en mauvaise foi ressentie) ! Et oui, puisque notre alpiniste ressort toutes les ficelles mathématiques pour mettre encore plus en perspective sa force face à la grandeur des éléments. Avec les classiques d’abord que sont les chiffres, indéniables, incontestables : des altitudes vertigineuses citées à la pelle, des températures glaciales renforcées un peu plus par la température ressentie, très à la mode car encore plus basse que la précédente et totalement invérifiable. 

Et que serait le poids des mots sans la lourdeur des photos ? Notre alpiniste extrême domine rochers et blocs de glace grâce à l’image en contre-plongée, tel un chasseur prenant la pose, le pied sur la dépouille du gibier. Exagéré ? J’aimerais tant.

Viennent ensuite les dangers innombrables qui seront surmontés : l’oxygène rare, la zone de la mort, les avalanches et autres crevasses ! Ah ah, tremble vulgum pecus ! Ici on survole la mort aussi facilement que tu te complais dans ta confortable chaumière. 

Suis peut-être candide mais jamais on ne lit ou ressent l’esprit de cordée (possible sur cordes fixes, si si), le bonheur d’observer des paysages incroyables (et l’art de la description plutôt que de l’énumération), la force de toutes ces petites mains népalaises ou pakistanaises qui s’animent pour dresser le chapiteau du cirque himalayen… Au mieux rappelle t-on « qu’elles ont si peu et donnent tant ». Pitié…

que serait le poids des mots
sans la lourdeur des photos ?

Il n’est pas question ici de décrier l’alpinisme de masse (de l’Everest ou du mont Blanc d’ailleurs) mais plutôt la manière dont il est raconté par ses acteurs, à force de boursouflure et de monomanie de l’extrême. Quand ton métier est d’écrire l’actu de la montagne et de raconter des histoires d’ascensions et d’aventures, que tu t’efforces humblement de nuancer, de mettre en perspective, d’apporter de la culture, de l’histoire, du décalage, il faut avouer que le rouleau compresseur de la grandiloquence a tendance à fatiguer.
Ou plutôt à emmerder. Oui, avec un peu de vulgarité pour bien différencier l’ennui qui lasse, de l’emmerdement qui agace. 

Grâce à ces aventuriers en tous cas, on découvre que « rien n’est impossible » et on les remercie pour l’info. Comme disait un grand homme : « Du sublime au ridicule il n’y a qu’un pas. »… qui heureusement ne tue pas.