Les Rouies ? C’est d’abord un vaste glacier perché à 3400 mètres. Si son accès est (très) long versant nord, et encore plus depuis juin, son classique accès par le Valgaudemar permet d’accéder au plus beau belvédère au sud du massif des Écrins : celui du sommet des Rouies, à 3589 mètres. Une des plus belles courses dans ce registre très abordable, celui d’un alpinisme classique, idéal pour l’initiation. Avec en cet fin d’été d’excellentes conditions. Prenez le cap du Valgaudemar, et laissez-vous porter.
En bon gardien, Olivier fait le briefing du lendemain. Le refuge du Pigeonnier accueille une dizaine de randonneurs, ou plutôt de randonneuses, et puis une petite poignée d’alpinistes. Les premières reçoivent une estimation de leur temps de marche pour rejoindre qui Chabournéou, qui Vallonpierre. Les autres de précieux conseils pour l’ascension du sommet roi des lieux, les Rouies, 3589 mètres. La météo ? Bonne, sans certitude. Mais si vous voulez des certitudes, ne montez pas en altitude. Pourtant, cette fin de saison est propice : un certain Kilian rétrécit les Alpes – enfin leurs sommets de 4000.
Les Rouies, elles, sont imposantes vues d’ici : leur paroi sud-est, haute de 800 mètres, semble barrer de ses tours un pan de ciel. Sous les Rouies, les cascades gigantesques se frayent un passage. Le Valgaudemar, l’Himalaya des Écrins, porte bien son surnom.Â
L’immense face sud-est des Rouies. ©JC
Le refuge du Pigeonnier porte lui aussi très bien son nom. Selon Olivier, il vient des habitants, qui y voyaient tournoyer des oiseaux, sur le bord d’un promotoire rocheux, au-dessus du cirque du Gioberney. Un vrai perchoir, que l’on atteint en deux heures de marche environ. Le Gioberney, lui, s’atteint par la petite route qui monte depuis la Chapelle-en-Valgaudemar. Un gros cube, un très gros chalet aussi cubique dehors que chaleureux à l’intérieur. On y passera au retour.
Là , tout de suite, c’est le sucre-dijo, touche finale à l’excellent repas du Pigeonnier. Du sucre, des herbes, et un coup de chaud à la gorge. L’heure est à la contemplation : le perchoir domine de 800 mètres la vallée. Noyé dans la brume, le Valgaudemar est un fjord, dont les rives s’élèvent jusqu’au Sirac, en face. Haute, la mer de brume endort la vallée. Là -haut, le Pigeonnier brille tel un phare, une île au-dessus de la ouate : un port perdu des Écrins profonds.
Noyé dans la brume, le ValgauDEMAR est un fjord dont les rives s’élèvent jusqu’au Sirac
Passagers des Rouies
Il y a bien cette crête de l’Orient, qui offrirait une belle alternative, ou même un bel antipasti à l’ascension des Rouies. Mais dans le noir d’encre des cinq heures du matin, en cette toute fin d’août, les ambitions changent vite. Et puis, pour une fois, la fréquentation a presque domestiqué le court pierrier qui mène au couloir de la voie normale des Rouies, avec une trace. Pourquoi ne pas en profiter ?Â
Sombre, le ciel demeure, d’autant qu’à l’est le mauvais temps sévit, au moins pour cette fin de nuit, avec un front bas de cumulus sombres. Sur cette voie normale des Rouies, une échappée par des vires commodes permet de ne pas sortir par le couloir d’accès au plateau des Rouies : d’ailleurs, il faudrait vraiment aimer fouiner les pires recoins (et amas de blocs) pour y mettre les crampons alors qu’il est si simple de filer à gauche.Â
Le glacier des Rouies n’est pas un désert. À 3400 mètres, des traces de chamois s’égaient sur la neige compacte ! La glace bleue et les crevasses sont bien visibles. Mais combien se cachent encore sous la neige ?
Le glacier des Rouies est un désert des Tartares : mes compagnons temporaires n’apparaissent point. Les nuages mordent l’Ailefroide, la crête des Bans disparaît. Puis le soleil s’élève, balaie le ciel et finit par illuminer le glacier, et le sommet des Rouies. Si loin, si proche : ne pas sous-estimer la traversée du glacier.Â
Les Rouies de la fortune
Les rares passagers des Rouies débarquent peu à peu. Deux cordées. Pour des kilomètres d’arêtes, de glaciers, de sommets. La quiétude, le silence, et la beauté : voici ce que les Rouies valent. Une fortune.
La gueule de la rimaye ? Un trou de ver, un objet hypothétique qui relierait deux espaces-temps selon les astrophysiciens. D’un côté, vous êtes vivant en plein ciel, de l’autre, enterré dans une catacombe sans fond visible. Je contourne.
Quelques pas, à peine des caillasses. Les Écrins version tranquille. Le sommet ? En plein ciel, disais-je. Seul concurrent : l’Olan, majestueux, qui prend la lumière tandis que le lac de la Muande semble assoupi, dans l’ombre. Menaçant peut-être sans le savoir la vallée plus bas ?
La quiétude, le silence, et la beauté : une fortune
Plus loin, l’Obiou, le Vercors. Au nord ? le Râteau, la Meije, Pavé, Gaspard, Roche Faurio, Barre des Écrins, Coolidge, et puis l’Ailefroide, débarassé de ses oripeaux de brouillard, dont les piliers gigantesques semblent rapés, déchiquetés vers le ciel. À droite, les Bans, royaume mystérieux de ce versant. Devant, le vaste glacier des Rouies, ridé de crevasses mais encore blanc cette année.
Panorama extraordinaire. Sauvage. Ou comment faire le plein de sommets en n’en faisant qu’un seul ! Savourer les Rouies de la fortune. Celle d’être là -haut. Avant d’aller boire un verre en bas.
Massif des Écrins, les Rouies, 3589 m. voie normale du Pigeonnier
Le premier jour, montée au refuge du Pigeonnier FFCAM. Deux heures depuis le Gioberney, terminus de la route qui vient de la Chapelle-en-Valgaudemar.
Itinéraire
Partir sous le refuge du Pigeonnier (2423 m), suivre le sentier à flanc (cairns) qui part en traversée légèrement ascendante vers le N-O. En traversant des éboulis, passer au pied de l’éperon issu de la Pointe Duhamel (départ de la variante par le col de Muande Bellone). Atteindre le bas d’un couloir en neige (printemps, et été 2024) ou en terrain morainique (fin de saison). Remonter cette pente, assez large et peu raide au départ. Peu à peu le couloir se redresse et vient se perdre dans une une gorge étroite. Ne pas la remonter mais prendre à gauche dans les rochers, une suite de rochers et vires faciles. Bien monter jusque sous ladite gorge avant d’entamer la traversée ascendante à gauche. Par les rochers faciles, rejoindre le glacier puis par un grand mouvement tournant à droite, contourner largement la zone crevassée avant de viser le pied de l’arête Est des Rouies. Au choix, emprunter une pente en neige qui conduit aux rochers sommitaux (rimaye), ou les bords de l’arête Est plus à gauche.
Descente par le même itinéraire.
Difficulté : PD-
Matériel : crampons, corde, le matériel de sécurité sur glaciers.
Première : la première du sommet est l’oeuvre de la cordée de Peter Knubel en juin 1873 avec ses clients anglais, depuis le glacier du Chardon. La première par le versant Valgaudemar a lieu un an plus tard, en juillet 1874.
Conseils : belvédère magnifique, les Rouies par la voie du Pigeonnier sont un beau moment d’alpinisme classique sans difficulté. Ne pas négliger les potentielles crevasses et la relative longueur de la traversée du plateau du glacier des Rouies, attention au brouillard.
Infos et réservations : 04 92 55 27 82