Dans le cadre des Rencontres Montagnes & Sciences, zoom sur le film Expedition Everest produit par National Geographic. L’alpinisme et l’exploration scientifique ne font pas bon ménage ? Comment faire cohabiter objectifs scientifiques, sportifs et médiatiques ? Eric Larose revient sur les enjeux des toutes premières expéditions pour tenter de comprendre les actuelles.
Leurs noms ont marqué l’histoire de l’alpinisme, certains sont même gravés sur les cartes. Au fil des décennies, ils ont intégré le paysage de la montagne, dans lequel leur image s’est progressivement diffusée, fondue. Les premiers alpinistes étaient souvent liés à l’exploration scientifique. Les « naturalistes » du 18ème et 19ème siècle notamment, qu’ils fussent géologues, cartographes, botanistes, étaient mus d’une curiosité qui les a souvent menés à la conquête de sommets emblématiques.
Michel Paccard, qui conquit le Mont-Blanc en 1786 avec le cristallier Jacques Balmat, était médecin et botaniste. Sa motivation d’alors : mesurer l’altitude exacte du sommet et y mener des observations (température, pression). L’Histoire a fait de cet évènement un tout indifférencié, mêlant intimement l’aventure, l’exploration et la découverte. Plus tard, Joseph Vallot, géographe et astronome, laissera son nom à l’observatoire qu’il construit en 1890, sur la voie normale du Mont-Blanc.
L’alpinisme ne pouvait alors pas être exclusivement une affaire sportive.
Charles et Pierre Lory, géologues dauphinois, ont laissé leur patronyme dans le massif des Écrins, qu’ils ont largement contribué à décrire et comprendre. En fouillant les cartes, d’illustres noms vont compléter cette longue liste de scientifiques qui participèrent à la conquête des cimes alpines. Au début du 20ème siècle, les premiers explorateurs en Himalaya étaient aussi géographe, cartographe, et leurs travaux pionniers ont largement contribué à la conquête des sommets des expéditions suivantes.
Distinguer la part de motivation scientifique de celle de la curiosité exploratoire, de l’exploit sportif, ou de la conquête d’un nouveau territoire n’avait alors pas beaucoup de sens. L’alpinisme ne pouvait alors pas être exclusivement une affaire sportive.
A l’heure où les satellites nous montrent presque tous les détails de la surface de la terre sans qu’on ait besoin de s’y déplacer, où les analyses chimiques révèlent les détails de la matière, à grande distance (voir par exemple l’exploration martienne et le laser ChemCam), est-il encore pertinent d’aller prendre des risques en altitude pour y mener des expériences et observations scientifiques ? S’ajoute à cela le poids toujours plus pesant du bilan carbone des grandes expéditions, parfois contradictoire avec l’objet même de certaines recherches sur climat.
Dans le même temps, les techniques sportives ont progressé vers des formes spécialisées (escalade sportive, alpinisme glaciaire, ski alpinisme…) dont l’objet essentiel est le déplacement et l’ascension, et non l’observation ou la découverte. Les scientifiques, physiciens, botanistes ou géographes, qui ont joué un rôle déterminant dans la naissance et le développement de l’alpinisme, ont-ils encore un rôle à jouer dans la montagne d’aujourd’hui ? Quel défis scientifiques ou technologiques reste-t-il encore à relever ? Quel coin de caillou reste-t-il encore à explorer, découvrir ?
Une course à l’équipement météorologique « le plus haut du monde »
Alors que nous allons bientôt fêter les 70 ans de la première ascension de l’Everest, le toit du monde reste, en plus d’un objectif sportif, un enjeu scientifique. Pour exemple, les missions coordonnées par National Geographic dont l’un des objectifs est d’équiper le sommet d’un réseau de stations météorologiques. Le but : faire des relevés qui permettent d’améliorer les modèles de prédiction météo en très haute altitude, mais aussi de mieux comprendre l’évolution du climat à ces altitudes que seuls les avions de ligne atteignent régulièrement.
Lors de ces expéditions sont aussi prélevées des carottes de glace permettant de remonter le climat du passé avec plus de précision. Mais les enjeux ne sont pas uniquement scientifiques. Dans le même temps une réelle compétition internationale se joue avec les Chinois qui mènent le même type de projet sur l’autre versant du sommet. Une course à l’équipement météorologique « le plus haut du monde », donc.
Dans ce contexte où la science et l’alpinisme se côtoient s’ajoutent ainsi d’autres acteurs : la géopolitique, les médias.
L’approche médiatique et l’enjeu géopolitique encouragent la mise en avant, alors que la science est avant tout une mise en échec, nécessite humilité… et parfois discrétion. Un équilibre bien fragile à établir.
Mais la médiatisation est aussi un outil redoutable pour la levée de fonds que les expéditions lointaines rendent obligatoires. En 1960, Edmund Hillary, fraichement vainqueur de l’Everest, lance la première expédition scientifique dédiée à la physiologie d’altitude. Difficile à financer, il propose alors d’ajouter à son expédition la recherche du Yeti, comme le raconte Lionel Cariou sur son podcast Sir Edmund Hillary, sur les traces du Yeti.
La question de l’éventuelle existence du Yeti se posait alors, et sa recherche fut un prétexte idéal pour voir son projet financé. De cette quête ne reste aucune preuve du Yeti.
Comment faire cohabiter des objectifs scientifiques
avec des objectifs sportifs et médiatiques ?
La « silver hut expedition » rapporta, elle, de nombreux résultats sur la physiologie en très haute altitude, lesquels font encore référence aujourd’hui. Jusqu’où peut-on aller dans la médiatisation des expéditions scientifiques ? Comment faire cohabiter des objectifs scientifiques avec des objectifs sportifs et médiatiques ?
Voilà une série de questions qui seront abordées à la suite de la projection du film Expedition Everest, produit par National Geographic, avec un panel d’invités tels que Tom Matthews (géographe, King’s College London), Samuel Vergès (chercheur en physiologie de l’altitude et responsables de plusieurs expéditions en Himalaya et en Amérique du Sud), Patrick Wagnon (glaciologue et himalayiste) le 12 novembre après-midi au Palais des Sports de Grenoble dans le cadre des Rencontres Montagnes & Sciences.
Les Rencontres Montagnes et Sciences démarrent leur tournée les 10 et 12 novembre à Grenoble. Puis : Bourg d’Oisans le 29 novembre, Valence le 1er décembre, L’Argentière a Bessée le 9 décembre, Chambéry le 19 janvier, Modane le 20 janvier, Lyon le 31 janvier, Clermont-Ferrand le 21 février… et bientôt dans les Pyrénées. Programme et réservation ici.
Article rédigé par Eric Larose pour Montagnes & Sciences