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Ailefroide, versant lumineux

Que l’on soit rompu aux hivernales ou amateur de voies normales, le nom d’Ailefroide laisse rarement indifférent. Souvent synonyme d’austérité, de difficulté ou d’engagement en face nord, les Ailefroide ont pourtant également une face sud plus accueillante, si si. Depuis le Sélé, une ligne accessible au plus grand nombre des alpinistes se dessine de vires en glaciers, sans jamais trop se redresser. Voyage sur l’arête Sud de l’Ailefroide Orientale (3 847m), au cœur de l’une des montagnes les plus symboliques du Parc national des Écrins.   

Dibona, Mayer, Coolidge, Devies, Gervasutti, Renaud, Béghin, Marmier, Mercadier, Moulin… Au panthéon des alpinistes l’Ailefroide fait figure d’inventaire à la Prévert. Ils sont nombreux, parmi les meilleurs, à s’être frottés à ses piliers, ses arêtes, en hiver, en solo, en rocher ou en mixte, le plus souvent dans l’austère face nord qui dresse le poil autant qu’elle attire les prétendants à la glaciale muraille. Pourtant, avant la voie des Plaques ou le pilier Nord-Ouest (la « Walker des Écrins ») le plus grand nombre des alpinistes trouvera dans l’arete Sud de l’Ailefroide Orientale une élégante manière d’en fouler la cime.

Le salut des statues. Chamois du soir… ©Ulysse Lefebvre – Parc national des Écrins

Au coeur du Parc National des Écrins

Ailefroide, le village. Comme toujours le débat est intense dans la cordée : faut-il prendre les baskets et mettre les grosses dans le sac (option confort) ou chausser directement les godillots et marcher comme un robot (option de-toutes-façons-j’ai-plus-de-place-dans-le-sac) ? Chacun son camp. De toutes façons, la marche jusqu’au refuge du Sélé n’est pas trop longue. Trois heures selon les panneaux jaunes du Parc, un peu moins pour les plus pressés. Et aujourd’hui on a le temps. La journée est bien avancée et les randonneurs sont presque tous rentrés, laissant la place aux chamois. Ceux que l’on ne voit habituellement que de loin, aux jumelles ou par l’intermédiaire d’une chute de pierre signalant leur présence, sont ici chez eux. Malins, on les croise sur le sentier en train de renifler les présences de la journée. Le refuge du Sélé est perché sur son promontoire rocheux, à 2511m. Quelques câbles sur le dernier ressaut constituent les premiers mètres de verticalité. L’alpiniste appréciera cette douce entrée en matière. Tout près, la cascade du torrent de Celse Nière gronde et les cimes alentours se dessinent : Petit Pelvoux (3 753m), Pointe Guyard (3 461m), Bœufs Rouges (3 516m), aiguille de Sialouze (3 578m), ce sont autant d’objectifs pour cramponner ou grimper. Mais pour l’heure, c’est l’Ailefroide qui se fait désirer. Depuis le refuge, la ligne est peu visible et il va falloir patienter jusqu’aux premières lueurs, le lendemain, pour mettre enfin une image sur la face.

L’approche dans le valon du Sélé. ©Ulysse Lefebvre – Parc national des Écrins

Le crux des vires

Minuit et demi. Tout le monde dort au Sélé. Tout le monde ? Non ! Une cordée d’irréductibles anglais arrive au refuge, fatigués et affamés après une longue dans la Devies-Gervasutti. Très vite, Yann, le cuistot, et Raoul, le gardien, s’organisent pour accueillir et nourrir les couche-tard. Huit œufs, omelette gargantuesque, verres d’eau à gogo pour réhydrater les corps asséchés (Raoul avait pourtant bien proposé un petit génépi…) et le dortoir se remplit de deux nouveaux occupants. Le chassé croisé dans le sas d’entrée est évité. Nous autres, modestes orientalistes, allons nous lever vers 4h. Le but est de trouver l’attaque des vires aux premières lueurs du jour. Car cette traversée est sans doute le crux de la voie, le passage clé qui donnera accès aux pentes de neige. Jamais difficile (III), ces vires sont une succession de contournements d’arêtes descendant de l’Ailefroide Orientale. Deux ou trois petits pas nécessitent de l’attention. Pour le reste, il faut surtout rester concentrer sur le cheminement, que l’on attaque à 2900m précisément.

Raoul avait pourtant bien proposé un petit génépi…

Les deux services au refuge du Sélé, 19h en salle et minuit en cuisine. ©Ulysse Lefebvre – Parc national des Écrins

Pic des Clouzis, pic de Gardinier et Dôme de Monêtier au petit matin. ©Ulysse Lefebvre – Parc national des Écrins

Approche matinale depuis le refuge du Sélé, la pointe de Clapouse en toile de fond. ©Ulysse Lefebvre – Parc national des Écrins

Au-dessus, ça donne envie mais ça ne passe pas bien. Globalement, il faut se rappeler que tout l’itinéraire rocheux est balisé de cairns. Ils sont plus ou moins évidents mais toujours bien présents. Plus de cairns ? C’est à coup sûr une sente secondaire vouée à l’impasse. Faites confiance aux premiers ascensionnistes, ils avaient le sens de l’itinéraire. On est alors en 1880, un 25 août, et Émile Pic, James Nérot et Giraud-Lézin ouvrent ce qui deviendra la voie normale d’Ailefroide. Cent trente-neuf ans plus tard, inutile de croire qu’un raccourci existe (« mais si regarde, on monte juste là et on redescend derrière, ce sera plus rapide »). Patience, lecture et humilité sont toujours de bon ton. Au loin, les premiers rayons de soleils révèlent la fresque panoramique et les vires constituent un excellent promontoire. Le premier à apparaître est le Viso (facile !), puis, un peu plus haut, apparaissent les Bans (qui prennent souvent les nuages en fin de journée, profitez-en vite) ou le Sirac qui jalonnent l’horizon. Au-dessus, l’Ailefroide, enfin.

Ambiances dans les vires. ©Ulysse Lefebvre – Parc national des Écrins

Vue sur Viso (3 841m). ©Ulysse Lefebvre – Parc national des Écrins

L’un des quelques pas d’escalade nécessitant un peu de concentration. ©Ulysse Lefebvre – Parc national des Écrins

Banana split

Passées les vires, le granite orange laisse place au bleu curaçao du glacier principal de l’Ailefroide. En cette fin d’été, il est à vif. C’est un immense plaisir de ne pas mettre les pieds dessus. Non, pour nous, il s’agit de remonter une succession de deux glaciers annexes, souvent bien bouchés. Quelques plaques de glace vive rappellent quand même que malgré la pente modérée, mieux vaut ne pas zipper. Souvent, la neige ne recouvre pas totalement un verrou rocheux qui coupe la remontée du glacier. Des griffures sur le caillou témoignent du passage et indiquent plus ou moins l’itinéraire. Vient alors la dernière pente, la rampe d’accès direct au sommet convoité, un « dernier sprint » d’un peu plus de 300m de dénivellé tout de même. Sur le fil du glacier, la « Banane », on oscille de droite et gauche, selon la pente et les préférences. Le versant occidental, basculant sur le glacier principal est impressionnant, mais parfois moins raide. En l’absence de crevasses, le cramponnage se fait régulier, rythmé. Il suffit maintenant de dérouler au plus haut, tant que la neige le permet. Des zig et des zag parfois pour ne pas trop s’user, puis l’impatience, la pente qui s’adoucit et c’est en pointe avant que l’on trace tout droit, avant de refroidir les mollets et reprendre son souffle, plus court passés les 3 500m.

Le glacier principal de l’Ailefroide en arrière-plan, à vif. ©Ulysse Lefebvre – Parc national des Écrins

Ambiances glaciaires. ©Ulysse Lefebvre – Parc national des Écrins

Coup d’œil en haut : non non, le sommet n’est pas cette petite bosse à droite. C’est la grosse à gauche, là-haut au bout de l’immense pierrier.
Crampons dans le sac, courage à deux mains et une Ailefroide en ligne de mire. Le tas de cailloux n’en est pas un, une sente fraye un chemin qu’il suffit de suivre. Le vent forcit à l’approche du cairn sommital. L’Ailefroide vous glace l’échine tout en vous faisant pousser des ailes. Bon sang, ça y’est, la face nord est sous les pieds. Le glacier noir étend ses moraines de l’autre côté. En face, le versant sud de la Barre des Écrins (4 102m), autre monument du massif. À droite, le Coup de Sabre (3 699m) et le Pic Sans Nom (3 913m) bouchent la vue vers le Pelvoux (3 943m). Main gauche, l’Ailefroide se déroule vers la pointe Fourastier (3 907m) puis la Centrale (3 927m). La traversée est un autre chantier. Pour y aller, il faudra avoir du temps et aller vite. Tout comme le tour des Ailefroide qui offre une immersion de plusieurs jours autour de ce sommet emblématique. Tour ou traversée, ce sera une autre aventure au coeur des Écrins.

Coup d’oeil vers l’austère face nord, versant glacier Noir. En arrière-plan, la pointe Fourastier. ©Ulysse Lefebvre – Parc national des Écrins

INFOS

Topo
Voies normales et classiques des Écrins, Sébastien Constant, Éditions Constant.
Guide du Haut-Dauphiné, Massif des Écrins tome 2, GHM/François Labande

Informations générales
Parc National des Écrins

Carte
IGN 3436 ET – Meije – Pelvoux – Parc National des Écrins

Hébergement
Refuge du Sélé 04 92 23 39 49

  • Autres courses
    Le col du Sélé (3 283m) est la grande classique depuis le refuge éponyme. 800m, F.
  • L’arête nord-nord-ouest des Bœufs-Rouges (3 516m) est une belle prolongation depuis le col du Sélé (230m, PD+)
  •  L’Ailefroide Orientale peut aussi se faire dans le cadre d’un tour des Ailefroide. Voir pour cela le topo de Sébastien Constant cité plus haut. Comptez 7 jours avec ce sommet, PD+/AD-.
  •  De superbes voies d’escalade sont aussi accessibles depuis le refuge du Sélé :
    – Aiguille de Sialouze (face sud-ouest, 3 575m) : des voies telles que Ventre à terre (TD+, 6a max) et Jour de colère (ED-, 6a/b obl.) ont été rééquipées cette saison. Super Pilou (TD-, 5c max), l’une des plus accessibles, a été rééquipée il y a six ans. On y trouve aussi une voie Livanos svp (TD+, 5c/6a).
    – D’autres voies également au Pic Sans Nom et au Pic du Coup de Sabre.