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Adieu « Titi »

Frédéric Gentet ©DR

Frédéric « Titi » Gentet, figure de l’alpinisme français, membre de la Compagnie des guides de haute montagne de Chamonix, professeur à l’École nationale de ski et d’alpinisme et coach du Groupe Excellence Alpinisme National de la FFCAM, est décédé hier le 30 novembre 2021 en Grèce, sur le site d’escalade de Leonidio. Alors qu’il s’entrainait en amateur et qu’il tenait un rôle d’assureur, une plaque de rocher s’est détachée de la falaise. Un éclat de roche a heurté Frédéric à la tête, et entrainé son décès. L’homme « très talentueux », « à l’efficience discrète », « mutant partout », était très apprécié. Il avait 48 ans.

Les témoignages d’amis et collègues de Frédéric « Titi » Gentet, homme aux « deux cœurs, trois poumons » et « mutant partout », sont nombreux depuis hier. François Marsigny, autre figure de l’alpinisme français et aujourd’hui haut responsable à l’Ecole nationale de ski et d’alpinisme, l’a bien connu : « c’est la perte d’un ami, et d’un pilier du département alpinisme de l’École ». L’ENSA, Frédéric Gentet y était professeur, à la fois engagé dans la formation des guides depuis 2001, mais aussi dans celle des moniteurs de ski alpin. « Frédéric était sportivement ultra-polyvalent, très talentueux, humainement très appréciable et d’une grande discrétion. Quelqu’un d’exceptionnel », fait comprendre Marsigny. Exceptionnel, mais pourtant seulement connu de ses proches.

Hier à Leonidio en Grèce, Frédéric « Titi » Gentet, encore surnommé « le couteau suisse », s’entrainait en empilant des longueurs de 8ème degré en falaise. Lui qui réussissait 8b à 48 ans, et qui visait le 8c pour ses 50, est décédé d’un éclat de pierre à la tête alors qu’il assurait un partenaire.

Ludovic Ravanel, collègue de Gentet à la Compagnie des guides de Chamonix et depuis longtemps copain de cordée, imagine cette journée d’hier en Grèce, et se souvient : « Il a dû s’échauffer dans du dur, comme à son habitude. « Il faut surprendre la fibre », comme il disait. Il y a 20 ans, Titi nous emmenait grimper à Russan, Orpierre, à Toulon, armé de ses babouches One Sport dans lesquelles il laissait toujours les chaussettes. Et il enchainait les 8 jusqu’à la tombée de la nuit…

« One sport, j’adore. Avec One sport, c’est vraiment du sport ! », plaisantait-il, le tout musique à fond au pied de la falaise ». « Bras d’acier », un autre surnom de Titi. « Deux cœurs et trois poumons », aussi, parce que le gars a par ailleurs longtemps empilé les trails, les courses de ski-alpinisme comme la Pierra Menta, les itinéraires en ski de pente raide, les grandes voies du massif du Mont-Blanc, ou encore les plus difficiles cascades de glace du Fer à Cheval à Sixt – La Massue (un des premiers degré 7 en glace…le max…), La Sorcière Blanche (6+/7…) – et ailleurs.

« Titi » ne parlait pas beaucoup de ce qu’il faisait en montagne
Claude Gardien

Philippe Renard, Antoine de Choudens et Frédéric Gentet, en Inde en 1999. Expé GMHM. ©DR

Très fort alpiniste, et transmetteur

Expés en Patagonie, en Alaska, au Népal, en Inde, en Afrique… Gentet était aussi un grand voyageur. Pour lui, notamment lorsqu’il fit ses premiers pas d’alpiniste engagé dans les équipes jeunes de nos fédérations, avant de faire un passage au Groupe militaire de haute montagne (GMHM). Ou pour les autres, comme pour former aux expéditions lointaines et engagées les jeunes alpinistes français des générations désormais plus jeunes, pour le club alpin français : en 2012, il réussit avec ses stagiaires une ouverture remarquable en face Est de Bear Tooth, en Alaska. Gentet transmetteur encore lorsqu’à l’étranger, dans les pays de l’Est ou très récemment en Jordanie, il forme des locaux au métier de guide.

Claude Gardien, longuement rédacteur en chef du magazine Vertical, a connu Gentet, de ses 16 ans à… récemment. « Titi ne parlait pas beaucoup de ce qu’il faisait en montagne » assure-t-il comme Marsigny. Le journaliste incollable se souvient particulièrement de deux réalisations marquantes du grimpeur Gentet : une couenne en 7c en solo intégral au Suet (Taninges, Haute Savoie), ou l’ouverture avec Arnaud Petit de Babel (800m, 7c+), à Taghia au Maroc. Autre souvenir, de l’alpiniste Gentet cette fois : la première en libre de la voie Manitua en face nord des Grandes Jorasses (2010, 7c, avec Stéphane Roguet).

Enfin celui d’une réalisation majeure de l’himalayiste qu’était encore le discret Titi : « la seconde ascension de l’arête de Ganesh, ou l’arête Est du Shivling (6543 m), réalisée au sein du GMHM en mai 1999 avec Antoine De Choudens, 20 ans après la première. Une des performances remarquables de l’himalayisme en style alpin ». Le Shivling ? Une des plus belles montagnes du monde, « un Cervin aux dimensions himalayennes, dont l’arête de Ganesh en question a été ouverte par Doug Scott, Georges Bettembourg (guide chamoniard, NDLR), Greg Child et Rick White, en 1981 ». Ces premiers ascensionnistes, pas vraiment réputés pour leur fragilité technique ou morale, ont mis 13 jours et ouvert là plus de 60 longueurs. Titi et Antoine atteignent le sommet en 6 jours, sortent dans le mauvais temps : « on pourra toujours faire une photo au col de Balme », a ironisé Gentet à la cime.

L’himalayiste Stéphane Benoist, qui réussissait en 2013 avec Yannick Graziani et en style alpin pur l’ascension de la face sud de l’Annapurna par la voie Béghin-Lafaille, a tenu à s’exprimer : « Titi était l’alpiniste le plus talentueux de ma génération, mais passé sous les écrans radars ». D’accord.

Le Shivling, et l’arête de Ganesh à gauche, qui se découpe dans le ciel. ©DR

L’unanimité

Titi Gentet était quelqu’un capable « d’autodérision, qui ne se vexait jamais et qui ne jugeait jamais les autres, ainsi quelqu’un qui faisait l’unanimité », témoigne avec sensibilité Arnaud Petit. Frédéric et Arnaud étaient des amis très proches, et entre les boules dans la gorge, Arnaud se souvient de ses rappels de nuit sans frontale quelque part au Maroc, d’une tentative au Grand Capuçin avec un « Titi » en chemisette et sans veste, d’un « à vue en 7c à l’échauffe en grande voie ».

Frédéric Gentet était quelqu’un qu’on a eu « l’honneur de côtoyer », dont on « espère être digne » : un homme rare, à la fois énorme et minimaliste.

 

Nos pensées chaleureuses à sa famille et ses amis. 

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