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Himalaya : David Lama seul au sommet

PremiĂšre du Lunag Ri au NĂ©pal

David Lama au sommet du Lunag Ri. © Sean Haverstock / Red Bull Content Pool

Avec son ascension en solitaire de l’arĂȘte ouest du Lunag Ri I, 6895m, au NĂ©pal, et aprĂšs deux tentatives, l’Autrichien David Lama montre talent et abnĂ©gation dans sa dĂ©marche vers les plus difficiles parois de l’Himalaya.

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eudi 25 octobre, Rolwaling nĂ©palais. Le soleil est dĂ©jĂ  bien haut dans le ciel lorsque David Lama sort des derniĂšres difficultĂ©s de l’arĂȘte ouest du Lunag Ri I, Ă  prĂšs de 6900 mĂštres d’altitude. Il n’est plus qu’à quelques dizaines de mĂštres, plus faciles, du sommet restĂ© vierge jusqu’ici. Cette fois-ci, c’est sĂ»r : cette proue de granite qui s’avance dans le vide au-dessus du versant sud de la montagne est bien la cime. L’himalayiste solitaire a quittĂ© son dernier bivouac, le second aux environ de 6600 mĂštres, Ă  6 heures du matin. Il a gravi dans un froid polaire, « -30°C », et sous quelques rafales de vent « moins violentes que prĂ©vu », les 300 derniers mĂštres de l’arĂȘte, une sorte de headwall raide qu’il a parcouru via un systĂšme de placages en glace et de goulottes plus ou moins larges, plus ou moins fournis, « plus ou moins ancrĂ©s aux dalles de granite ». Une progression menĂ©e la plupart du temps en solo intĂ©gral, la corde trainant derriĂšre lui « pour allĂ©ger ma charge », explique-t-il. Dans ce dernier mur, Lama s’est auto-assurĂ© « quelques fois, pour de courtes sections mixtes ».

Ce sommet, il aurait aimĂ© le partager avec l’amĂ©ricain Conrad Anker.

Par des paquets de neige soufflĂ©e par les vents et collĂ©s aux dalles sommitales, Lama marche versant nĂ©palais – le sud – vers le sommet, et rĂ©alise les derniers mĂštres quasi-horizontaux sur la tranche enneigĂ©e de la fameuse proue. De l’autre cĂŽtĂ©, versant tibĂ©tain, l’ombre peine Ă  masquer un vide Ă©bouriffant, chargĂ© de champignons neigeux et de rochers noirs. Lama sort sa camĂ©ra, se filme à 360°. Il a cette figure de l’alpiniste qui vient de s’arracher seul pendant trois jours Ă  gravir une nouvelle voie haute d’environ 1400 mĂštres, assez technique et exposĂ©e Ă  haute altitude, et qui doit redescendre. Il est marquĂ©, concentrĂ©, ne dit mot : ce sommet, il aurait aimĂ© le partager avec l’AmĂ©ricain Conrad Anker.

Le point culminant du Lunag Ri est à gauche. © David Lama/Red Bull Content Pool //

David Lama le 2e jour de son ascension en solo. © Sean Haverstock / Red Bull Content Pool

Une longue histoire

LĂ©gende vivante de l’alpinisme et de l’himalayisme technique et engagĂ©, Anker, 56 ans mardi dernier, est pour beaucoup d’observateurs avisĂ©s celui qui a rĂ©ussi en 2011 l’ascension du Shark’s Fin du Meru en Inde – cette sorte de voie ultime Ă  bien des Ă©gards – avec Jimmy Chin et Renan Ozturk. C’est au cours d’une ouverture rocheuse sur ses terres de l’Utah qu’il a fait solidement connaissance dans la verticalitĂ© avec le deux fois plus jeune Lama, au printemps 2015. S’en est suivi pour les deux athlĂštes une premiĂšre tentative au Lunag Ri I en novembre de la mĂȘme annĂ©e, stoppĂ©e au deuxiĂšme jour sur l’arĂȘte ouest non loin du pied du headwall. Puis une seconde l’annĂ©e suivante, celle-ci stoppĂ©e cinq cents mĂštres au-dessus de la rimaye par un problĂšme cardiaque d’Anker. Lama n’a pas hĂ©sitĂ©, la cordĂ©e a tirĂ© les rappels, retrouvĂ© le camp de base et Anker fut Ă©vacuĂ© en hĂ©licoptĂšre afin d’ĂȘtre soigné : il vivra, rĂ©alisant que ce « jeu de la grimpe Ă  haute altitude est fini » pour lui, probablement. SecouĂ© par l’évĂ©nement mais nĂ©anmoins pragmatique et toujours dĂ©terminĂ©, Lama avait de suite menĂ©e une premiĂšre tentative en solitaire, choisissant un itinĂ©raire plus propice Ă  une Ă©volution en solo pour gagner la base de l’arĂȘte ouest proprement dite, via des rampes mixtes plus Ă  droite dans le versant. Il renonça une nouvelle fois au pied du headwall, trop entamĂ© au matin du deuxiĂšme bivouac « pour envisager les derniĂšres difficultĂ©s et la descente ». Lama, pas vraiment rĂ©putĂ© pour renoncer Ă  une premiĂšre – nous y reviendrons – devait rĂ©gler cette histoire du Lunag Ri.

Ce qui manque en solo, c’est le partage des responsabilitĂ©s pour rĂ©ussir. David Lama.

Cette histoire, elle explique sans doute en partie ce visage qu’il montre, debout sur la proue sommitale : le manque d’Anker, de l’expĂ©rience longue, le poids de cette descente obligatoire par l’itinĂ©raire de montĂ©e qu’il va devoir mener seul. On ne descend pas du Lunag Ri I par une voie normale facile, ni mĂȘme par une arĂȘte de Bionnassay XL. « Ce qui manque, en solo, c’est l’expĂ©rience partagĂ©e des situations et le partage des responsabilitĂ©s pour rĂ©ussir », tĂ©moignait David quelques jours aprĂšs sa premiĂšre tentative solitaire en 2016. Cette fois-ci, l’alpiniste avait mis « un peu plus de 20 heures pour rejoindre la tente du camp de base avancé », via une longue sĂ©rie de rappels le long de l’arĂȘte que l’on imagine dĂ©licats voire pĂ©nibles, puis dans la partie basse de la paroi y menant. Du sommet du Lunag Ri I, Lama parviendra cette annĂ©e Ă  rejoindre sa tente tard dans la nuit du 25 au 26 octobre. Le « soulagement » est lĂ , « contenu, heureux ».

Autoportrait le 2e jour, © David Lama/Red Bull Content Pool

David Lama atteint l’incroyable Ă©trave du sommet sous l’oeil du drone, le 25 octobre. © Sean Haverstock / Red Bull Content Pool

D’Innsbruck au NĂ©pal

NĂ© Ă  Innsbruck d’un pĂšre nĂ©palais Sherpa et d’une mĂšre autrichienne en 1990, David Lama vient de rĂ©ussir sa premiĂšre ascension notable sur la terre de ses ancĂȘtres, qu’il a encore peu frĂ©quentĂ©. Dites lui « NĂ©pal », et c’est d’abord les vallĂ©es luxuriantes, les habitants, le village paternel de Phaplu en reconstruction depuis le sĂ©ĂŻsme de 2015 qui lui viendront en tĂȘte, « avant l’Everest  ». TentĂ© par plusieurs expĂ©ditions adeptes de l’himalayisme en style alpin, le Lunag Ri I n’avait jusqu’ici jamais Ă©tĂ© atteint. Le Lunag Ri, en vĂ©ritĂ©, est un massif Ă  plusieurs sommets, posĂ© sur la frontiĂšre nĂ©palo-tibĂ©taine entre le Cho Oyu Ă  l’Est et le Gauri Shankar Ă  l’ouest. Une sorte de Pelvoux, toute proportion gardĂ©e, dont il est forcĂ©ment dĂ©licat de descendre et dont le sommet I est le point culminant. CĂŽtĂ© nĂ©palais, une longue arĂȘte presque horizontale s’étire du Lunag Ri I principal jusqu’au sommet du Jobo Rinjang (6778 m), avant de bifurquer vers le nord et les autres sommets Lunag III, IV et V.

À l’automne 2010, les Français Mathieu Maynadier, Mathieu DĂ©trie, Max Belleville et SĂ©bastien Ratel atteignaient cette longue arĂȘte Ă  proximitĂ© du sommet principal, ou l’antĂ©cime sud-est Ă  6830 mĂštres, via une ligne de goulottes directe haute de 1300 mĂštres, en quatre jours aller-retour (une ascension nominĂ©e aux Piolets d’Or, ndlr). La cime principale, atteinte par Lama, Ă©tait encore trop loin, la neige trop profonde : « peut-ĂȘtre Ă  500 mĂštres de distance, celle du sommet du Tacul au sommet du Maudit dans le massif du Mont-Blanc », tĂ©moigne Maynadier. Enfin au printemps 2009, les AmĂ©ricains David Gottlieb et le regrettĂ© Joe Puryear ouvraient, toujours en style alpin, une voie directe au sommet du Jobo Rinjang, en 6 jours aller-retour. Avec l’arĂȘte ouest ouverte par Anker et Lama, 3 voies parcourent dĂ©sormais ce large versant sud nĂ©palais du Lunag Ri.

Jusqu’ici le point culminant du lunag ri n’avait jamais Ă©tĂ© atteint.

Les derniers pas de David Lama sur l’arĂȘte sommitale, avec l’Everest en toile de fond. © Sean Haverstock / Red Bull Content Pool

Une perf

Ascension remarquable de l’annĂ©e, ce solo de David Lama rĂ©ussi Ă  la quatriĂšme tentative tous modes confondus s’inscrit dans la longue histoire des ascensions solitaires en Himalaya. Vouloir le situer prĂ©cisemment serait un exercice dĂ©licat, nĂ©anmoins cette rĂ©alisation peut rĂ©sonner avec les premiers solos du Suisse Ueli Steck au Cholatse et au Tawoche, qu’il avait rĂ©ussi en 2005 Ă  29 ans et qui, dans le petit cercle des himalayistes fĂ©rus de style alpin, avait donnĂ© au Suisse ses premiers galons. David Lama n’a enfin pas cotĂ© son itinĂ©raire : si les difficultĂ©s mixtes, en neige et glace et en dry sont soutenues tout au long de la voie, elles restent Ă  prĂ©ciser. Soulignons enfin que si les images aĂ©riennes de son ascension sont spectaculaires et disons-le, magnifiques, les informations sur les conditions de leur rĂ©alisation manquent encore : solitude relative ? En tous cas, c’est a priori la premiĂšre fois qu’une premiĂšre et son aboutissement est filmĂ©e en drone, par un spĂ©cialiste en la matiĂšre, Sean Haverstock, qui avait dĂ©jĂ  filmĂ© David Lama dans une courte voie au Liban.

Rappelons aussi que David Lama n’est pas nĂ© de la derniĂšre pluie en matiĂšre de grimpe et de montagne. Son talent de grimpeur pur en rocher a Ă©tĂ© dĂ©tectĂ© et vivement encouragĂ© par Peter Habeler – celui de l’Everest, compagnon de cordĂ©e de Messner – alors que Lama n’était qu’un enfant de cinq ans. Visionnaire, Habeler ne s’est pas trompĂ© puisqu’à 10 ans, Lama enchainait son premier 8a, puis son premier 8b Ă  11, et son premier 8c Ă  12. On lui attribue notamment l’ascension en libre de No Future Ă  CĂ©ĂŒse, 8c+, Ă  14 ans. Plusieurs titres mondiaux en compĂ©tition de difficultĂ© et de blocs en escalade suivront jusqu’à sa majoritĂ©. Est ensuite venue sa libĂ©ration de la voie Maestri au Cerro Torre, en 2012 et aprĂšs plusieurs tentatives, non sans polĂ©mique d’ailleurs, nĂ©anmoins une extraordinaire histoire Ă  dĂ©couvrir absolument en regardant le film Cerro Torre, a snowball’s chance in hell.

Le crux de l’ascension du Lunag Ri en vidĂ©o.

La vidĂ©o Youtube de l’ascension du Lunag Ri.

Un surdoué du rocher

D’autres rĂ©alisations en rocher caractĂ©risent Lama : ses rĂ©pĂ©titions en escalade libre de Bellavista (Dolomites, Cima Ovest, 8c) avec Peter Ortner ou de la voie Petit au Grand Capucin (8b), en 2010, posent le grimpeur. Quant Ă  son niveau en escalade glaciaire et mixte en terrain engagĂ©, il est introduit en 2013 lorsqu’il ouvre Bird of Prey (1500 m, 6a, M7+, 90°, A2) en face Est de Moose’s Tooth, en Alaska, avec le Suisse Dani Arnold. Pour rĂ©sumer, David Lama est douĂ© et, Ă  28 ans, lancĂ©. Il a notamment quelques projets maousses au NĂ©pal et au Pakistan, qu’il effleure, ou repĂšre depuis quelques annĂ©es. Il est ainsi fort probable que l’on entende encore parler de David Lama, notamment du cĂŽtĂ© de l’arĂȘte sud-est non gravie en intĂ©gralitĂ© de l’Annapurna III (7555m, NĂ©pal), voire mĂȘme de celui de la mythique face nord-est du Masherbrum (7821 m, Pakistan) : un Cerro Torre posĂ© au sommet d’une face nord de l’Eiger, un ensemble haut de 3000 mĂštres.