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30 ans de Piolets d’Or : le Cho Oyu de Denis Urubko et Boris Dedeshko

Les plus beaux exploits de l’alpinisme moderne 4/5

Urubko au Cho Oyu.

Depuis 1992, chaque année, les Piolets d’Or récompensent les alpinistes auteurs d’ascensions remarquables. Dans moins d’une semaine auront lieu les Piolets d’Or 2021 à Briançon, cérémonie qui marque les 30 ans de ces Oscars de l’alpinisme. À cette occasion, les éditions du Mont-Blanc rassemblent dans un livre exceptionnel signé par Claude Gardien et David Chambre tous les Piolets d’Or, mais aussi l’ensemble des plus grandes ascensions de ces 30 dernières années. Quatrième extrait de ce livre, le Piolet d’Or 2010 : Cho Oyu, face sud-est, de Denis Urubko et Boris Dedeshko.

«Quand vous avez déjà gravi treize sommets de plus de 8000mètres, sans oxygène de surcroît, et qu’il ne vous en manque donc plus qu’un (et pas le plus haut) pour boucler le challenge des quatorze 8000, la solution de facilité serait de se contenter de la facile voie normale. Mais si vous êtes un grimpeur du calibre de Denis Urubko, cela ferait tout de même petit braquet.

À l’été 2009, alors qu’il va fêter ses trente-six ans, Denis Urubko se retrouve au pied de la face sud-est du Cho Oyu (8 188 m), côté népalais. Il souhaitait originellement s’attaquer au sommet par son versant tibétain pour une ascension express, mais le versant chinois reste fermé. Il se retrouve donc, en compagnie de Boris Dedeshko un solide alpiniste kazakh, au pied de cette magnifique face. Haute de 2 600 mètres, elle n’a jamais été parcourue en style alpin et il manque une ligne directe vers le sommet. Ayant pu l’observer dès 2001, cette paroi est restée coincée dans un coin du cerveau de Denis comme un rêve à réaliser, « à la fois belle et terrifiante ».

La face népalaise du Cho Oyu, Piolet d’Or 2010. ©Urubko / éditions du Mont-Blanc

Piolet d’Or 2010

Après une acclimatation sur des pentes alentour, ils s’élancent début mai en pleine nuit avec six jours de vivres et une tente dépouillée de son double toit et de la moitié de son armature. Il leur faut d’abord surmonter la partie la plus raide de la face, un grand socle rocheux qui se termine en surplomb. Durant la première journée, ils doivent aussi se protéger des avalanches et des chutes de pierres. Alternant entre chaussons d’escalade et crampons, ils enchaînent plusieurs longueurs de 6a et 6b et atteignent un premier bivouac inconfortable à 6 100 mètres, à moitié assis. Ils s’attaquent ensuite à la partie surplombante dans le brouillard. Quatre-vingts mètres à surmonter, principalement en escalade artificielle : « Le monde se rétrécissait aux dimensions d’une boîte de verre terne de 10 mètres de côté. Je ne pouvais pas voir Boris ; de temps en temps, nous communiquions par de courtes phrases: “sec”, “prends-moi”, “du mou sur la bleue”. »

Au sommet du Cho Oyu. ©Urubko / éd. du Mont-Blanc.

Des mauvaises conditions

Ces deux longueurs et demie les occupent la majeure partie de cette deuxième jour née. Ils prennent enfin pied sur une zone mixte, la raideur s’amoindrit et ils peuvent poser leur tente à 6 600 mètres à l’abri d’un sérac. Les deux jours suivants, ils gagnent 1 000 mètres en empruntant un tracé assez rectiligne malgré une météo médiocre et des avalanches continues. Ces mauvaises conditions les persuadent de renoncer non seulement à une descente par le versant est de la montagne, mais aussi à leur idée d’une ligne directe par un couloir à travers le bastion final. Ils choisissent de laisser là leur tente et de rejoindre en diagonale vers la droite l’arête sud-est, déjà parcourue par des Polonais en 1985. Prenant pied sur cette dernière vers 8 000 mètres, Urubko s’oriente à l’instinct, subissant un temps « répugnant : vent léger, neige pénible et brouillard épais ».

Alors que la luminosité baisse, les deux hommes s’assoient pour prendre une décision: continuer ou pas vers le sommet ?

Boris: « On prend le risque? »

Denis : « Allons-y », tout en se disant qu’« avec cette décision, nous nous condamnions. Selon toutes les règles imaginables, nous n’étions pas censés revenir ». Avant de quitter leurs deux cooks népalais, Boris Dedeshko leur avait dit: « Si nous ne sommes pas revenus dans dix jours, vous pouvez démonter le camp de base et rentrer chez vous. » Brassant dans la neige fraîche, déjouant les coulées, ils atteignent enfin le sommet en pleine obscurité, sous les flocons et dans une ambiance irréelle, « vide d’émotion malgré un grand succès ».

3 jours supplémentaires

Ils leur restent maintenant à jouer une partie encore plus difficile : retrouver leur tente. Denis se souvient clairement d’une chose : « La colère contre moi-même pour avoir avancé, sous l’impulsion de mon propre entêtement multiplié par l’ambition. L’ascension était un piège, dans lequel nous sommes tombés. Maintenant, assis au sommet, je croyais que nous n’avions aucune chance de descendre vivants. »

Mais ils vont atteindre leur abri en pleine nuit et survivre aux trois journées supplémentaires pour descendre la face à travers les avalanches et une pierre qui heurte Denis au visage. Au camp de base, Chokra et Mingma, les deux cooks, n’avaient pas suivi leurs ordres : ils les avaient attendus.

Avec ce succès, Urubko devient le quinzième grimpeur à réussir les quatorze sommets de plus de 8 000 mètres et sur tout, le huitième sans oxygène.

(…)

Le livre Piolets d’Or

Préfacé par Victor Saunders, édité par Catherine Destivelle aux éditions du Mont-Blanc, le livre Piolets d’Or est sans doute le seul ouvrage rassemblant l’histoire de l’alpinisme moderne.

Sur les 30 derrnières années, le livre signé de David Chambre et Claude Gardien réunit toutes les ascensions remarquables, tous les exploits de ces trente dernières années, car les auteurs ont choisi d’ajouter aux Piolets d’Or officiels les « piolets d’or oubliés ».

Doté d’une iconographie exceptionnelle, avec les tracés des itinéraires des Piolets d’Or, ce livre unique qui vient de paraître est disponible en librairies et ici. 350 p, 45 €.