Le Chamonix Film Festival s’est tenu toute la semaine dernière au pied et autour du glacier des Bossons. Au programme : des conférences l’après-midi, des projections de films le soir mais aussi un camp d’altitude avec Petzl, une soirée ciné au Couvercle, et bien sûr des dédicaces de livres. Récit d’une journée bien remplie sous le soleil de juin.
Il est 15 heures ce vendredi 17 juin et Chamonix ne fait pas exception à la canicule qui assomme la France. Comme chaque jour, les membres du jury du Chamonix Film Festival s’installent pour délibérer. Pour ce moment important, qui les amènera à décerner cinq prix à la fin de la semaine, ils ont choisi le luxe : celui de la fraîcheur. Dans les jardins de l’hôtel 5 étoiles du Mont-Blanc, l’ombre se dispute au calme. Pendant ce temps, à quelques centaines de mètres, la Maison des Artistes est en ébullition quelques minutes avant le début des conférences qui vont rythmer l’après-midi. La chaleur a contraint l’organisation du festival à rapatrier les table-rondes à l’intérieur, où l’ambiance feutrée et la climatisation silencieuse brouillent instantanément les repères des spectateurs chamoniards.
Un rêve de cristal
Sur scène, Jean-Franck Charlet ouvre le bal. Il a 45 minutes pour partager sa passion qui l’amène depuis gamin à parcourir les montagnes autrement. Jean-Franck, comme son père et son grand-père, est cristallier. « C’est un sujet étroitement lié à l’histoire de l’alpinisme puisque Jacques Balmat, qui a été le premier à parvenir au sommet du Mont Blanc avec Paccard, était cristallier », rappelle-t-il.
« On ramasse désormais les cristauxcomme des pommes de terre »Jean-Franck Charlet
Cette année 2022, Jean-Franck Charlet a publié La Fièvre de l’or rose aux éditions Paulsen. « Une histoire de passion et de passation » comme le résume Pascale Fargès-Prudhomme, de la librairie Landru à Chamonix, qui anime cette conférence. Jean-Franck Charlet est guide de haute montagne et ingénieur des arts et métiers mais à l’écouter parler avec ferveur et simplicité de l’histoire des cristalliers, nul doute de ses talents de conteur. « Moi, je suis tombé dans la marmite quand j’étais petit mais je ne crois pas qu’on peut s’improviser cristallier, reprend-il. Mais c’est une activité qui intéresse de plus en plus de jeunes, pour mon plus grand bonheur ». À grand renfort de photos, il parle à la poignée de spectateurs silencieux des techniques d’extraction des cristaux. Le matériel ? « Une massette et un burin ». Comment reconnaître un four ? Il faut repérer les filons de quartz et « plus la roche est pourrie, plus il y a de cristaux ». Quelles sont les conséquences du réchauffement climatique pour les cristalliers ? « On a un peu honte car on est les seuls à en profiter. Désormais, on ramasse les cristaux comme des pommes de terre car la glace qui les emprisonnait dans les fours a fondu ».
Jean-Franck Charlet est intarissable sur le sujet et les trois quarts d’heure passent à toute vitesse. Il est déjà temps de laisser place aux intervenants suivants, passionnés d’une activité qui mêle de la même manière histoire et sport : le trail. Mais Alpine Mag quitte discrètement la Maison des Artistes pour se réfugier à l’ombre des arbres. Nous avons rendez-vous avec Julia Virat, membre du jury du Chamonix Film Festival, guide de haute montagne, spécialiste des aventures en solitaire en haute mer ou sur les parois d’El Cap au Yosemite. Le temps nous est compté et elle doit déjà partir pour participer à la prochaine conférence.
Quand l’alpinisme se féminise ?
Les invité·e·s sont cette fois réuni·e·s à l’extérieur pour échanger autour de la féminisation de la pratique de l’alpinisme. Au micro, Tanya Naville distribue la parole entre Julia Virat, la spécialiste des efforts d’endurance Hillary Gerardi (détentrice du record féminin de traversée Chamonix-Zermatt en ski-alpinisme), le directeur technique national de la FFCAM Luc Thibal (en charge de la féminisation des pratiques, notamment), l’aspirante-guide Aurélia Lanoe et le guide et responsable du département alpinisme à l’ENSA Francois Marsigny.
« On constate que dès qu’une femme se défend dans son corps, [quand une femme est combative dans un effort exigeant physiquement, NDLR], ça ne passe pas ». Luc Thibal (FFCAM)
En guise d’introduction, l’universitaire Anne-Marie Maddalena, qui travaille sur les questions de genre en alpinisme, rappelle les chiffre-clés : 2 % de femmes guides de haute montagne en France, environ 40 à50 % d’adhérentes dans les fédérations sans que personne ne puisse déterminer si elles pratiquent l’alpinisme ou d’autres activités. « La situation évolue beaucoup moins vite chez les professionnelles que chez les amatrices », constate-t-elle. « La pratique loisir et perfectionnement se porte bien, approuve Luc Thibal. Mais globalement on constate que dès qu’une femme se défend dans son corps, ça ne passe pas ».
Pour Julia Virat, « l’enjeu, c’est d’être autonome, pas performante » et les faits vont en ce sens. « Il y a une énorme demande pour tous les stages ou programmes qui visent à acquérir l’autonomie en montagne », souligne Julia. Ce qui ne bouge pas, déplore François Marsigny, c’est le nombre de femmes qui s’inscrivent à l’examen probatoire du guide chaque année. Si elles ne sont qu’une quarantaine à exercer aujourd’hui, c’est qu’elles restent une petite minorité à oser passer le pas. Cette fois encore, les 45 minutes se sont écoulées rapidement. Le bar de la Maison des Artistes s’est rempli et le public s’est étoffé.
Pourquoi grimpez-vous ?
La place est laissée à Fabrice Drouzy, rédacteur en chef adjoint à Libération. Le quotidien vient de publier un hors-série consacré à l’éternelle question : « pourquoi grimpez-vous ? ». À Chamonix, Fabrice Drouzy rappelle les liens étroits qui ont été tissés au fil de l’Histoire entre littérature et montagne. Pour en parler, la scène ombragée accueille Julia Virat (encore !), l’écrivain-voyageur Cédric Gras, récompensé du prix Albert Londres 2020 pour son récit Les Alpinistes de Staline et également membre du jury, l’écrivain Thomas Venin (auteur de Les Hallucinés, entre autres, aux éditions Paulsen) et l’inévitable Jean-Michel Asselin, écrivain et journaliste. « Il est marrant celui-là ! », chuchote une dame derrière nous à son propos.
« La montagne est un univers qui fait du bien à toutes les âmes »Julie Virat
Au-delà d’être « marrant », Jean-Michel Asselin est surtout poète, érudit, passionné de montagne, et rappelle au public qu’écrire et grimper se ressemblent un peu. « On est engagés quand on écrit, on a parfois l’impression d’être en solo avec nos petits héros qui se baladent sur le papier », décrit-il. À ses côtés, l’imperturbable Cédric Gras confie que « la littérature [lui] a tout appris ». Thomas Venin, lui, ne grimpe pas, mais il est « fasciné par le rapport à la mort de certains alpinistes », qui l’inspirent dans ses récits. Julia Virat, qui se plaît autant sur un navire au milieu de l’océan qu’au sommet d’El Cap, éprouve la même fascination mais pour l’aspect « sauvage, brut et propice à la rêverie de ces univers qui font du bien à toutes les âmes ».
L’après-midi touche à sa fin. À peine le temps d’avaler un frichti (et une bière) qu’il est l’heure de filer au cinéma Le Vox. Trois salles et trois programmations attendent les spectateurs, qui ressortiront hébétés, la tête dans les nuages, sur les coups de 23 heures. Au Chamonix Film Festival, les jours se suivent et ne se ressemblent pas. Vivement l’année prochaine.