Up ! La bible de l’entraĆ®nement par Kilian Jornet et Steve House, extraits

Avec Up !Ā Steve House, Scott Johnston et Kilian Jornet ont mis en commun leurs dizaines d’annĆ©es d’expĆ©rience en matiĆØre d’entraĆ®nement. Qu’il s’agisse de trail running en montagne ou de ski-alpinisme, ce manuel d’entraĆ®nement, Ć©ditĆ© par l’Ć©quipe d’Alpine Mag pour les Editions GuĆ©rin-Paulsen, livre le fruit du travail de ces athlĆØtes et entraĆ®neur hors du commun, comme nous l’a confiĆ© Kilian Jornet lui-mĆŖme. Extraits.

Up !Ā GuĆ©rin-Paulsen, 375p., 2020. Extrait du chapitre 2 – La physiologie des sports d’endurance.

Ne lisez pas ces pages importantes trop rapidement, dans votre hĆ¢te de dĆ©couvrir les sĆ©ances d’entraĆ®nement qui vous permettront de battre Kilian lors de sa prochaine course. Vous ne les trouverez pas. Comme nous le rĆ©pĆ©tons plusieurs fois dans ce livre : il n’existe pas de recette unique pour maximiser la forme physique. Vous ĆŖtes le seul Ć  pouvoir optimiser votre programme idĆ©al. Nous vous proposons ces premiers chapitres prĆ©cisĆ©ment en raison de la nature individuel de l’entraĆ®nement. Nous savons que vous avez besoin de ces informations pour prendre de bonnes dĆ©cisions concernant vos programmes d’entraĆ®nement.

Dans ce chapitre, nous examinerons la physiologie qui permet la production de l’énergie nĆ©cessaire aux activitĆ©s d’endurance. Les connaissances de base sur le fonctionnement de cette physiologie seront le cadre intellectuel qui vous permettra de prendre des dĆ©cisions lorsque vous prĆ©parerez et mettrez en œuvre votre propre entraĆ®nement ou celui d’autres personnes. Suivre aveuglĆ©ment n’importe quel programme sans comprendre les principes sous-jacents handicapera, voire minera, votre performance. Les considĆ©rations Ć  venir traitent de la physiologie de l’effort.

L’Ć©volution de l’endurance

Pendant des milliers d’annĆ©es, plusieurs espĆØces du genre Homo Ć©voluaient en parallĆØle, coexistaient et rivalisaient avec l’Homo sapiens en tant que chasseurs-cueilleurs. Le fait que nous ayons gagnĆ© le concours de l’évolution est dĆ» en partie Ć  la capacitĆ© d’endurance de notre espĆØce. La raretĆ© Ć©tait l’état normal des choses et la compĆ©tition pour obtenir des calories exigeait beaucoup de temps et d’énergie ; par consĆ©quent le mĆ©tabolisme de l’homme prĆ©historique a Ć©voluĆ© pour donner Ć  ceux qui utilisaient les prĆ©cieuses calories de la faƧon la plus Ć©conomique la meilleure chance de transmettre leurs gĆØnes Ć  la gĆ©nĆ©ration suivante.

Les journĆ©es habituelles Ć©taient faites de longues heures de recherche de nourriture Ć  moindre effort, ponctuĆ©es de courts moments d’efforts intenses pendant le temps fort de la chasse ou lorsqu’il Ć©tait nĆ©cessaire de maĆ®triser une proie ciblĆ©e ou de surpasser un autre prĆ©dateur ou charognard. La composition de l’alimentation des premiers hominidĆ©s Ć©tait riche en graisses et en protĆ©ines animales, avec une petite quantitĆ© de glucides complexes d’origine vĆ©gĆ©tale. La physiologie de l’homme prĆ©historique a dĆ©veloppĆ© un rĆ©servoir de carburant calorique sous forme de rĆ©serves de graisse (Ć  la fois intramusculaire et sous-cutanĆ©e, les lipides) pour stocker l’excĆØs de calories consommĆ©es pendant les pĆ©riodes d’abondance. Les matiĆØres grasses pouvaient nourrir nos ancĆŖtres pendant ces longues journĆ©es de chasse et de cueillette et leur donner une plus grande chance de survie en pĆ©riode de pĆ©nurie alimentaire. Nous avons Ć©voluĆ© pour stocker la graisse en grandes quantitĆ©s afin de survivre pendant de nombreux jours de famine avant que notre corps n’encoure de dommages permanents. Le chasseur-cueilleur bien adaptĆ© pouvait laisser passer plus de temps entre les repas et avoir une activitĆ© intense grĆ¢ce aux lipides, Ć©conomisant ainsi les rĆ©serves rares et prĆ©cieuses de glycogĆØne qui provenaient des glucides. Notre capacitĆ© Ć  rĆ©cupĆ©rer rapidement nos rĆ©serves de glycogĆØne musculaire pendant les pĆ©riodes de repos (en quelques heures seulement) constitue un autre aspect intĆ©ressant de ce sujet. Ce n’est pas le cas pour la plupart des autres espĆØces animales ; ainsi, nous pouvions Ć©puiser nos proies puisque nous n’avions besoin que d’une courte pĆ©riode de rĆ©cupĆ©ration.

Le chasseur-cueilleur pouvait laisser passer plus de temps entre les repas et avoir une activité intense grâce aux lipides, économisant ainsi les réserves de glycogène qui provenaient des glucides. Notre capacité à récupérer rapidement nos réserves de glycogène musculaire pendant le repos constitue un autre aTOUT.

Un lipide est une molĆ©cule complexe avec de nombreuses liaisons chimiques, chaque liaison contenant de l’énergie qui peut ĆŖtre utilisĆ©e. MĆŖme un sportif d’endurance svelte et bien entraĆ®nĆ© peut transporter jusqu’à 100 000 calories stockĆ©es sous forme de lipides facilement accessibles. Les glucides, qui sont des molĆ©cules plus simples avec moins de liaisons chimiques, produisent environ moitiĆ© moins de calories par gramme que les lipides. Nous avons une capacitĆ© de stockage de glucides beaucoup plus petite, qui ne dĆ©passe pas 2 000 calories, mĆŖme chez un athlĆØte bien entraĆ®nĆ©. Pendant les pĆ©riodes d’excĆØs, la stratĆ©gie de notre corps est de stocker toutes les calories que nous consommons, quelle qu’en soit l’origine, sous forme de lipides. D’un point de vue purement physiologique, cela explique l’épidĆ©mie d’obĆ©sitĆ© des temps modernes ; de nombreux humains consomment une abondance d’aliments riches en calories et sont rarement exposĆ©s Ć  des pĆ©nuries alimentaires.

Selon une thĆ©orie populaire en biologie Ć©volutive, les premiers hominidĆ©s profitaient de leur endurance et de leur faible pilositĆ© (qui leur permettait d’éviter la surchauffe dont pouvait souffrir leur proie) pour pourchasser jusqu’à Ć©puisement l’animal qui constituerait leur prochain repas. Cela les a aidĆ©s Ć  se hisser au sommet de la chaĆ®ne alimentaire malgrĆ© leur relative faiblesse physique. C’est grĆ¢ce Ć  leur endurance que nos ancĆŖtres ont pu approcher et tuer des animaux beaucoup plus puissants qu’eux, trop fatiguĆ©s pour se dĆ©fendre. La thĆ©orie dit aussi que le rĆ©gime riche en protĆ©ines, grĆ¢ce au succĆØs de la chasse, a permis d’augmenter la capacitĆ© et la complexitĆ© du cerveau. Cela a produit une rĆ©volution cognitive, qui a Ć  son tour engendrĆ© les avancĆ©es culturelles et l’évolution des caractĆ©ristiques dont nous avons hĆ©ritĆ© par la suite. Il s’ensuit que vous pouvez lire les mots sur cette page prĆ©cisĆ©ment parce que notre espĆØce a survĆ©cu en utilisant sa capacitĆ© inhĆ©rente Ć  supporter une longue durĆ©e de travail d’intensitĆ© faible Ć  moyenne. Nous sommes le fruit d’un processus Ć©volutif qui nous prĆ©dispose Ć  l’endurance.

Kilian Jornet Ć  l’entraĆ®nement Ć  Romsdal, en NorvĆØge, deux semaines avant de partir pour l’Everest en mars 2017. Ā©Jordi Saragossa

Endurance et fatigue

L’entraĆ®nement en endurance vise Ć  amĆ©liorer notre capacitĆ© Ć  courir, Ć  grimper ou Ć  skier pendant une pĆ©riode prolongĆ©e. L’endurance est finalement limitĆ©e par la rĆ©action prĆ©visible de notre corps Ć  la fatigue due Ć  ces activitĆ©s. C’est la fatigue qui limite l’endurance. Pour cette raison, une brĆØve description de cet Ć©tat s’impose. En athlĆ©tisme, l’endurance est le rythme maximum durable (en termes de vitesse ou de puissance par exemple) qu’un athlĆØte peut maintenir pendant toute la durĆ©e d’une Ć©preuve avant que la fatigue n’impose une rĆ©duction de ce rythme. La fatigue dans nos sports se manifeste par une longueur de foulĆ©e rĆ©duite et un rythme de foulĆ©es plus lent. Plusieurs systĆØmes physiologiques interconnectĆ©s influencent ensemble la performance en endurance lors d’évĆ©nements de durĆ©es et d’intensitĆ©s diffĆ©rentes. Par exemple, un kilomĆØtre vertical se dĆ©roule Ć  une intensitĆ© trĆØs diffĆ©rente de celle d’une course de 50 kilomĆØtres. Cependant, les deux Ć©preuves testeront la limite de l’endurance / la fatigue spĆ©cifique du coureur. Le type d’endurance nĆ©cessaire et le type de fatigue ressentie varient selon le type d’épreuve.

Nous n’avons pas besoin d’un chercheur spĆ©cialiste en physiologie de l’effort pour nous dire que la fatigue nous ralentit. Un entraĆ®nement appropriĆ© nous rend plus rĆ©sistants Ć  la fatigue et prĆ©vient ainsi le ralentissement. Nous sommes des organismes trĆØs complexes et de multiples adaptations Ć  plusieurs systĆØmes corporels sont nĆ©cessaires pour amĆ©liorer notre rĆ©sistance Ć  la fatigue. Pour simplifier : ce ralentissement redoutĆ© que nous dĆ©testons tous est causĆ© principalement par l’incapacitĆ© de notre corps Ć  satisfaire les besoins Ć©nergĆ©tiques liĆ©s Ć  l’effort. Cette limitation est causĆ©e par une diminution ou une accumulation de certains mĆ©tabolites, ou encore une rĆ©duction du message nerveux moteur.

En substance, nous pouvons regrouper ces diffĆ©rents systĆØmes physiologiques comme vous le lirez ci-dessous. Nous crĆ©ons un modĆØle, une dĆ©limitation artificielle et une sĆ©grĆ©gation de ces systĆØmes qui sont, en rĆ©alitĆ©, intimement interconnectĆ©s et interdĆ©pendants. Cette approche du modĆØle simplifiĆ© est couramment utilisĆ©e en science pour dĆ©composer des systĆØmes et des idĆ©es complexes en leurs Ć©lĆ©ments constitutifs, qui peuvent alors ĆŖtre mieux compris. L’art de l’entraĆ®nement s’appuie, en partie, sur une comprĆ©hension de l’interconnectivitĆ© et de l’interdĆ©pendance de ces systĆØmes.

Le systĆØme d’apport en oxygĆØne

Le cœur, les poumons et les vaisseaux sanguins constituent le systĆØme d’oxygĆ©nation responsable de l’apport d’oxygĆØne (O2) Ć  toutes les cellules du corps, y compris celles des muscles squelettiques, pendant l’effort.

Poumons. Bien que nous ayons l’impression d’être Ā« essoufflĆ©s Ā» pendant un exercice intense, les poumons sains sont en fait surdimensionnĆ©s pour nos besoins et ont une capacitĆ© d’échange gazeux largement suffisante. Les poumons humains ont une surface Ć©quivalente Ć  la surface d’un demi-court de tennis.

Cœur. De nombreuses Ć©tudes scientifiques ont montrĆ© que la plus ou moins grande capacitĆ© du cœur Ć  pomper peut ĆŖtre le principal obstacle Ć  l’apport en O2 chez les personnes en bonne santĆ©. Cependant, alors que les poumons n’évoluent plus aprĆØs la pubertĆ©, le cœur peut ĆŖtre entraĆ®nĆ© pour augmenter son dĆ©bit par minute, ce qui signifie une augmentation d’O2 distribuĆ© aux muscles. Cette adaptabilitĆ© est contrainte par notre gĆ©nĆ©tique et par nos antĆ©cĆ©dents d’entraĆ®nement en endurance. Le cœur atteint sa pleine maturitĆ© Ć  l’adolescence, Ć©voluant le plus rapidement et le plus fortement pendant cette pĆ©riode. Les jeunes, comme les personnes plus Ć¢gĆ©es et non entraĆ®nĆ©es, peuvent constater des changements rapides et significatifs des battements de leur cœur parce que le muscle cardiaque est trĆØs facile Ć  en- traĆ®ner, dans la limite de ce qui est prĆ©dĆ©terminĆ© gĆ©nĆ©tiquement. Cette limitation du volume systolique dĆ©finit la limite supĆ©rieure absolue de l’apport en O2 et devient donc une limite Ć  la puissance aĆ©robie. Pour les athlĆØtes matures (ayant un long passĆ© d’entraĆ®nement en endurance), l’entraĆ®nement n’apportera que peu ou pas de changement de leur volume systolique. (…)

H I S T O I R E SĀ  Ā D’ A T H L ƈ T E S

 

Comment j’ai dĆ©butĆ© en athlĆ©tisme / par Kilian Jornet

Kilian Jornet et sa soeur font une pause dans les Pyrénées. ©Collection Kilian Jornet

Autour de la maison où j’ai grandi, il y avait des montagnes et des forĆŖts. Je n’ai vu ma premiĆØre tĆ©lĆ©vision qu’à l’âge de cinq ans. Lorsque ma petite sœur et moi n’étions pas Ć  l’école, nous jouions tout le temps dehors, grimpions aux arbres et sautions des rochers. En tant qu’enfant, passer son temps Ć  l’extĆ©rieur est une expĆ©rience unique : celle d’être en plein air, dans la forĆŖt et dans la neige, et de s’habituer Ć  ce genre de terrain montagneux.

Mon pĆØre et ma mĆØre Ć©taient tous les deux des passionnĆ©s de montagne. Mon pĆØre Ć©tait guide de haute montagne avec une vision plutĆ“t traditionnelle de l’alpinisme ; il m’a appris la technique, la sĆ©curitĆ© et le respect de cet environnement. Ma mĆØre Ć©tait une grimpeuse et une coureuse de longue date, un peu moins organisĆ©e, mais trĆØs expĆ©rimentĆ©e. Elle Ć©tait beaucoup plus libre dans les montagnes. Elle aimait progresser rapidement et en toute lĆ©gĆØretĆ©.

Quand j’avais trois ans, nous avons commencĆ© Ć  gravir des sommets en famille. Nous faisions du ski de fond et mes parents portaient nos skis alpins pour la descente. C’était mon initiation au ski-alpinisme. Lorsque j’ai atteint mes cinq ans, nous faisions des sommets Ć  3 000 mĆØtres d’altitude et nous nous entraĆ®nions Ć  progresser sur glacier, encordĆ©s, avec crampons et piolets. Pendant cette pĆ©riode, j’ai aussi fait mes premiers couloirs faciles. Sur les photos de l’époque, le casque sur ma tĆŖte est si grand que j’ai l’air d’un champignon.

L’annĆ©e de mes dix ans, nous avons traversĆ© les PyrĆ©nĆ©es sac au dos, un pĆ©riple de quarante jours. Nous faisions quelque chose de ce genre-lĆ  chaque annĆ©e. C’est comme Ƨa que j’ai appris l’endurance et la maniĆØre de continuer Ć  marcher pendant plusieurs jours. Quand j’avais treize ans, ma mĆØre a commencĆ© Ć  m’emmener pour de plus longues sorties en montagne, et parfois je n’apportais pas assez Ć  manger ou Ć  boire. Je me souviens d’avoir passĆ© jusqu’à seize heures sans eau ni nourriture, en lĆ©chant l’eau sur les rochers.

C’est Ć  cette Ć©poque que j’ai commencĆ© Ć  m’entraĆ®ner pour le ski-alpinisme. J’avais fait de longues courses cyclistes et des 80 kilomĆØtres de refuge en refuge, sans suivre un quelconque programme d’entraĆ®nement. Je suis entrĆ© au centre de formation sportive de Catalogne, et mon entraĆ®neur m’envoyait chaque mois un programme d’entraĆ®nement me disant ce que je devais faire chaque jour. Il y avait deux entraĆ®neurs, et peut-ĆŖtre dix personnes athlĆØtes par entraĆ®neur. De treize Ć  dix-sept ans, j’ai appris Ć  connaĆ®tre les notions de volume musculaire, d’entraĆ®nement en fractionnĆ©s, de force, de rĆ©cupĆ©ration ainsi que les conditions en montagne et la technique.

ƀ cette pĆ©riode, j’allais Ć  l’école, donc je m’entraĆ®nais tĆ“t le matin ou aprĆØs les cours, et en milieu de journĆ©e, j’allais au gymnase ou courir. J’utilisais les week-ends pour des courses plus longues. Parfois, j’allais Ć  l’école Ć  vĆ©lo, mes skis dans mon sac Ć  dos, et aprĆØs l’école, je pĆ©dalais 60 kilomĆØtres jusqu’au front de neige, je skiais pendant deux heures, puis je rentrais, toujours Ć  vĆ©lo. D’autres jours, je courais respectivement 25 kilomĆØtres Ć  l’aller et au retour de l’école. TrĆØs rĆ©guliĆØrement, mon entraĆ®neur me reprochait d’en faire trop, mĆŖme si je lui expliquais que le vĆ©lo n’était que mon moyen de transport. J’étais vraiment focalisĆ© sur l’entraĆ®nement, voire obsĆ©dĆ©. (…)

Lire notre interview de Kilian Jornet Ć  propos de la sortie de Up !