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Trail : la running-culture joyeuse par Jean-Philippe Lefief

Après la folle histoire du trail, Jean-Philippe Lefief revient avec un nouvel ouvrage intitulé sobrement « Trail ». Érudit et fervent pratiquant, Lefief propose un livre OVNI et addictif qui transmet l’essentiel : l’envie de courir.
Chronique et interview exclusive.

Jean-Philippe Lefief, Trail, Éditions Paulsen / Guérin 224p., 29,90€.

Vous aurez envie. Vous aurez les clefs. Et vous saurez de quoi vous trottez : vous vous mettrez à ce sport ou vous y grandirez. Simplissime, nature, un peu mode, possiblement fou mais terriblement addictif : trail ! Aussi dense que ses origines pures, aussi limpide que sa source authentique. Enfin il nous revient, après le succès de son 1erouvrage La Folle Histoire du Trail1 :avec Trail2, Jean-Philippe Lefief franchit un cap dans l’expression d’un sport-mode de vie : sujet épuré, déclaration d’amour assumée, questionnement poussé d’un cran. Mais surtout, pédagogie climax. L’auteur-ultra trailer interroge encore davantage un sport, mais à la façon d’un guide bien à soi. Entre dico amoureux et manuel d’incitation jovial, retour vers la force originelle d’une passion : avant sa sortie fin août 2019, nous coinçons M. Lefief qui accepte – royal – l’interview en avant-première.

 

De Reuters à passeur

Érudit des ultras, et journaliste de terrain : l’échalas Lefief promène son sourire tranquille et ses 10 UTMB. Il est surtout chargé d’un des plus jolis bagages de traducteur, de Born to run3à Voyage au bout de l’endurance4. La sphère ultra et les têtes à champions, il connait. On pourrait verser scoops et Livre de l’Ultra Off ? Pas une once d’indiscrétion : oui on aime, cette capacité à rester émerveillé. On apprécie une interrogation qui construit littéralement l’ouvrage. Il y a du môme et du plaisir là-dedans, si précieux. Pourquoi moi ? Quand et comment, quel déclic, quelle énergie ? Pourquoi si long, comment est-ce possible ? D’où vient la foi voire le spirituel qu’un ultra peut générer ? Quelles sont nos machines humaines ? Quelle technologie s’approprie désormais ce sport ? On est conquis par la densité du propos. On est impressionnés par la belle continuité tracée depuis La Folle Histoire du Trail : poursuivre l’épistémologie d’un sport devenu identité.

De questionneur à inspirateur

Rouge profond et titre réduit comme un fond de veau. Il fallait oser, sans verser dans l’abstrait ou le catalogue. Verdict ? On est séduits par la démocratie du livre, l’invitation heureuse qu’il tend : iconographie épurée mais tous publics, qui transmet joliment l’émotion (mention spé au défi relevé par Flore Baudelin). Pas de stats pour la stat, mort aux INSEE et diagrammes bâton. Des gros plans collés au ravito, du noir et blanc profond à la Alexis Berg – ou pas. Des inspirateurs/trices, le livre en suggère plusieurs et l’auteur ose le cœur ouvert. Tintin bon enfant au mètre 90, Lefief réussit un sacré tour de magie : livrer un guide, technique, poétique, physique, onirique. Pas démagogique.

Trailer, sois fier mais passe le relais

Tant de nous ont ri ou pleuré, sur la ligne de la course du coin. Le coin ? Mont Blanc ou Trifouillis-les-Oies. Tant de nous ont crié au miracle, en découvrant qu’ils n’étaient plus seuls en quêtes : une identité existait, et tant pis s’il fallait sucer une pipette et se mouler les parties. « Chérie, je vais être trailer ». Mais au-delà de la sociologie humble et du recul sur un mode de consommation de la nature, trail nous le dit : « prenez, tout ceci est à vous, par vous. C’est parti ! ». Cessez de réfléchir, ou alors en courant.

©Trail – Jean-Philippe Lefief

Julien Gilleron : comment passe-t-on d’un propos centré sur l’historiographie du trail, à un guide grand public : quel déclic, ou continuité logique (si le journaliste n’a rien compris) ?

Jean-Philippe Lefief : Je n’ai aucune autre légitimité que la passion et l’expérience, mais je crois avoir commis toutes les erreurs au fil de mes 15 années de pratique et j’ai eu envie de donner la parole à ceux qui m’ont aidé à les résoudre, à ceux qui refusent de s’en remettre aux a priori sportifs pour tout repenser et tout réinventer en permanence. L’UltraTrail, source inépuisable de questionnement, est très propice à cette réflexion, à l’expérimentation et à l’invention. C’est ce que font des gens comme Chris McDougall, Phil Maffetone, Blaise Dubois, Guillaume Millet ou Tim Noakes, qui ont considérablement ouvert mon horizon de trailer.

JG : quel était ton but « face » à d’autres guides ou prétendus guides (training, pur UTMB…) ? D’ailleurs, est-ce un guide ?

JPLF : l’idée c’était surtout d’enfoncer des idées reçues, de mettre en valeur des voies qui me semblent être d’excellentes alternatives à ce que propose en général la littérature sur le sujet, mais aussi de le faire de façon ludique et inventive sur le plan visuel. Flore Baudelin, l’illustratrice, et Charlie Buffet, directeur éditorial des éditions Guérin, ont fait un boulot extraordinaire de ce point de vue. On a réalisé un très bel objet, que j’espère à la hauteur de l’engouement pour le trail.  

JG : on est frappés par l’une des réussites du livre, et sa plus grande originalité : une construction très personnelle, diverse mais cohérente. Envie de privilégier le fond à la forme ? 

JPLF : exactement ! Je voulais en faire un joyeux bazar, où on puisse piocher à sa guise, qu’on puisse feuilleter dans tous les sens, sans axe de lecture. J’aime bien l’idée qu’on papillonne dans ce bouquin comme on peut le faire sur les chemins ou dans le calendrier des courses.

Il faut se forger des convictions…
et les remettre en question en permanence.

JG : à qui s’adresse cet ouvrage ?

JPLF : d’abord à ceux qui ont envie de se mettre au trail ou à l’ultra, mais j’espère que les coureurs aguerris y apprendront aussi quelques trucs intéressants, qu’ils y trouveront des pistes de réflexion, parce que l’idée était d’abord d’alimenter le débat pour que chacun puisse faire sa mayonnaise. L’ultra, c’est un truc intime qu’il faut s’approprier, à l’entraînement comme en course. Il faut se forger des convictions… et les remettre en question en permanence.

JG : on l’a dit, l’usage de l’illustration séduit. Tu voulais clairement produire un ouvrage visuel, au départ ? Difficile de ne pas verser dans la photo choc, ou le graphique caca d’oie.

JPLF : l’aspect visuel a été l’une des premières priorités et Flore a trouvé un “ton” graphique à la fois très original, plein de poésie, de dérision tendre et de chaleur humaine. C’est une très belle réussite et c’est inédit dans ce secteur assez fertile pour les “graphiques caca d’oie” et les photos choc. On a préféré, nous, privilégier “l’humanitude” chère à Fred Brigaud, l’un des experts que je cite.  

JG : Plus qu’une prise de position, Trail semble vouloir proposer des pistes. Notamment en citant les théories en cours, leur pratique par des champions… Inventaire à la Prévert, volonté de rassembler ce qui se fait de plus actuel ?

JPLF : je n’ai pas voulu faire un guide, mais juste offrir des pistes de réflexion, celles qui me paraissent les plus pertinentes, et montrer que cette pratique toute simple est d’une complexité aussi folle que passionnante. S’y préparer, c’est comme résoudre une énigme policière. Il faut trouver ce qui marche pour soi dans une offre pléthorique et souvent contradictoire, émettre des hypothèses, les vérifier, adapter les méthodes à ses propres contraintes… C’est à la fois très complexe et passionnant. J’ai beaucoup réfléchi à tout ça et j’ai lu ou traduit pas mal de choses intéressantes, mais Je ne suis en aucun cas prescripteur, juste un passeur d’idées et de méthodes qui ont bien fonctionné pour moi. L’idée d’un inventaire à la Prévert me plaît bien. J’avais envie que ça fourmille, que ça parte un peu dans tous les sens, pour que chacun puisse y piocher des choses, pour que ça ressemble au joyeux bordel qui règne dans le trail que j’aime, celui où on ne se prend pas au sérieux, ce qui n’empêche pas de faire les choses sérieusement.

 

JG : à lire ton parcours de trailer, et l’évolution personnelle que tu en retires, on se dit que l’on pourrait tous être toi. Tu gardes cette cette incrédulité face à tes courses, d’où tu es parti. (NDLR : tabac + parisien + sédentaire). Quel est ton sentiment sur ton chemin, et en quoi l’exprimes tu dans Trail ?

JPLF : c’est vrai que le trail m’a transformé, ou plutôt, il m’a permis de me découvrir sous un nouveau jour, complètement insoupçonné, ce qui continue à m’émerveiller. Je prends toujours autant de plaisir à débloquer à plein tube avec d’autres “malades” de mon espèce sur des sentiers perchés à 2500 mètres par des nuits sans lune ou sous des trombes d’eau, comme à essayer de convaincre que tout le monde peut s’y mettre et qu’il y a beaucoup de choses à en tirer, pas seulement sur le plan sportif. Après 15 ans de pratique intense, je continue à grimper les étages de la tour du XIIIe – c’est là que je fais du D+ – avec des images de montagne plein la tête et une motivation de cadet.

 

JG : la vie d’auteur semble être compatible avec celle de trailer. On s’est laissés dire que tu serais de nouveau sur l’UTMB 19 ?

JPLF : pas d’UTMB cette année, mais une TDS. C’est déjà un bien gros morceau pour ma petite forme du moment, mais je suis sûr que je vais m’amuser et je ne voudrais pour rien au monde rater cette grande fête du trail qui compte toujours autant pour moi. C’est l’UTMB qui m’a donné envie de m’y mettre et, quoi qu’on pense de son gigantisme, ça reste le plus bel événement de la saison.  Pas tous les jours qu’on peut côtoyer des passionnés du monde entier.

JG : rdv le 30 août, Édition Guérin, Chamonix, nous dit-on. Que s’y passera-t-il ?

JPLF : on vous prépare un copieux « ravito littéraire » …