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Une chevauchée fantastique au mont Blanc pour une cordée d’exception

Enzo Oddo et Léo Billon au sommet du mont Blanc après 16h d'efforts

Cordée, définition.

« Possédant une adresse prodigieuse, une vitalité de bête fauve, un courage frisant l’inconscience, dans tous les terrains délicats ou instables, Lachenal était de loin le grimpeur le plus rapide et le plus brillant que j’aie jamais connu. Certains jours il était capable d’inspiration vraiment géniale, mais il peinait dans les passages athlétiques, et surtout son moral était instable. Impulsif et incroyablement optimiste, il manquait de patience, voire de persévérance et de réflexion, et le sens de l’itinéraire lui faisait gravement défaut. Moins doué que lui dans tous les domaines mais plus puissant et capable d’une résistance plus prolongée, plus opiniâtre et plus réfléchi, j’étais l’élément modérateur de notre équipe mais, me semble-t-il, je lui donnais la stabilité et la solidité indispensable à de grandes entreprises. »

Voici comment Lionel Terray décrit Louis Lachenal, avec qui il réalisa les plus grandes entreprises justement.

Une cordée est une alliance de deux talents, un mariage singulier pour le meilleur et pour le pire, réussir ou se casser la gueule. Quand ça ne marche pas, l’un marche sur la corde, l’autre couine que ça va trop vite. Quand ça marche, c’est 1+1 = 3, un ensemble qui fait mieux, et plus vite, que tout ce que chacun aurait fait avec un autre partenaire : tels Lachenal avec Terray, Paragot avec Bérardini, ou, dans un autre registre, Kurtyka et Kukuczka.

Une cordée qui marche, c’est quand 1+1 = 3

L’alliance de la pure lumière du rocher Enzo Oddo avec le formidable Léo Billon fait des étincelles.  Mieux : elle laisse une traînée de poudre là où elle passe. En 2021, la cordée a fait parler d’elle en répétant l’une des plus fameuses voies de la Civetta à la journée. Le 10 juillet dernier, le même jour que Védrines pour son record à l’intégrale de Peuterey, la cordée magique a signé un enchaînement stratosphérique versant italien du mont Blanc, le versant de tous les superlatifs.

Cette trilogie du Frêney, plus connue sous le nom de Super Intégrale de Peuterey, consiste à gravir la face ouest de l’Aiguille Noire de Peuterey 3772 m (voie Ratti Vitali, TD+, 750 m), à en descendre en rappels pour rejoindre le pied de l’Aiguille Gugliermina, pour gravir la Boccalate-Gervasutti, TD+, 650 m, jusqu’à son sommet, 3893 m. Puis, par l’Aiguille Blanche de Peuterey, 4101 m, poursuivre par le Pilier Central du Frêney (TD+, 500m). Du val Veny au sommet du mont Blanc : 15h56. Vous avez bien lu.

La Super Intégrale de Peuterey en 15h56, parking – sommet.

Imaginée et réalisée en deux semaines, en plein hiver, par l’italien Renato Casarotto, la Super Intégrale de Peuterey voit passer de très forts alpinistes de temps à autre. L’idée farlelue de tout grimper à la journée vient de Seb Ratel et du regretté Max Bonniot, qui l’ont tentée en 2016, raconte Léo Billon dans la vidéo du GMHM. Billon, qui a magistralement grimpé avec Védrines les Jorasses à la journée (face nord, Gousseault-Desmaison), mais qui n’aime guère le solo, a sans doute trouvé en Oddo le surdoué de l’escalade (premier 9a+ à 15 ans) un compagnon idéal. Alors oui, cela fait moins de bruit médiatique que le solo. Mais c’est exceptionnel, et dans ce style, seuls les américains au Yosemite font aussi bien.

Comme l’explique Léo, à la place des vingt longueurs de la Ratti, lui et Enzo en ont fait …deux, grimpant à corde tendue. Un style Yosemite qui couple l’excellence technique avec zéro droit à l’erreur… et un temps record de 1h40 pour cette face ouest de la Noire ! Rappels (22) expédiés en une heure et demie…

La voie de Gervasutti à la Gugliermina les a étonnés par son escalade engagée et ses longueurs « beaucoup plus soutenues », dit Léo. Midi vingt au sommet de la Gugliermina, 14h à la Blanche, 15h au pied du Frêney : il ne restait plus que le pilier central du Frêney pour occuper l’après-midi… Ce fut « folklorique », pieds trempés et cascades d’eau.

Le résultat ? Un enchaînement fabuleux de trois courses, en moins de temps qu’il n’en faut à une excellente cordée pour une seule. Trois courses majeures qui suffiraient à remplir une vie d’alpiniste, ou disons, un (très) bel été : la vie est ainsi faite que certains virtuoses jouent à la perfection la partition que certains passeront toute leur vie à travailler. Pour cela sans doute il faut applaudir la cordée Billon-Oddo, qui signe cette fantastique chevauchée.