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Sylvain Tesson et Notre-Dame de Paris

Je l’ai grimpée cent fois, j’adorais partir dans les étoiles

Nous regardions la beauté du monde sur grand écran au 23festival du film aventure et découverte de Val d’Isère, animé par Sylvain Tesson. C’est après l’un des entractes que l’on a vu revenir sur scène un Tesson assombri. Il venait d’apprendre que la cathédrale Notre-Dame de Paris était en feu et que sa flèche centrale, fine dentelle verticale qu’il avait escaladée des centaines de fois, venait de s’effondrer. En plus du symbole universel, nous avons demandé le point de vue singulier d’un écrivain qui connaissait les moindres recoins de cette montagne de pierre. Impressions recueillies lors d’une réflexion nocturne reliant, avec prudence, l’effondrement des sociétés à celui des montagnes chères aux alpinistes.

Àla vue des images de Notre-Dame en feu, j’ai trouvé que ça avait la beauté de l’horreur, une beauté monstrueuse. On aurait dit des gravures de Gustave Doré.
Maintenant, je suis effondré, sans mauvais jeu de mots. Pour plein de raisons, des bonnes et des mauvaises. La mauvaise c’est parce que je suis parisien et l’on émet souvent un rapport proportionnel entre l’intensité de sa désolation et la proximité que l’on entretient avec le lieu ou advient cette désolation. C’est une mauvaise raison car il serait de bon ton d’être universellement atteint par les grands évènements de désolation quels qu’ils soient. Mais il se trouve que quand on est voisins, c’est encore pire.

j’aimais cette cathédrale pour la littérature bien sûr, mais aussi pour l’escalade

Deuxièmement je trouve que l’on est dans des moments de grande instabilité politique, humaine, psychique aussi sans doute, si tant est qu’il y ait une psyché collective. Et il ne manquait plus que ça quoi… C’est à dire que quand tout s’écroule dans une société politique, il y a une chose qui reste debout : ce sont les symboles.  C’est pas rien un symbole, c’est l’incarnation d’une idée, l’incarnation d’une époque, l’incarnation d’un temps, l’incarnation d’un esprit. Et Notre-Dame, c’était tout ça, au-delà du religieux mais aussi dans le religieux. Il y a un moment où il faut arrêter de tourner autour du pot. Notre-Dame c’était une église, une grande église de la chrétienté ! Et voilà que le symbole s’effondre ! Et c’est pas rien ! Je pense que c’est pour ça d’ailleurs qu’il y a quelque chose qui ressemble à un tressaillement planétaire.

Je trouve que quand les symboles tombent, c’est terrible parce que… qu’est-ce qu’il nous reste quoi ? Quand les glaciers fondent, que les institutions s’écroulent, quand les langues s’uniformisent, si en plus les flèches et les tours s’effondrent, alors c’est terrible ! Oui, il y a une forme de deuil et le mot n’est pas trop fort parce qu’est que c’est un monument symbolique, c’est l’incarnation d’une idée dans la pierre.

Marcher, cigare au bec, pour réaliser l’effondrement. Sylvain Tesson à Val d’Isère, 15 avril 2019. ©Ulysse Lefebvre

Tu dis que c’est un peu mon Dru qui s’effondre mais j’avoue que j’ai un peu de scrupules à relier mon petit souvenir à cet événement catastrophique. Il est vrai que j’aimais cette cathédrale pour beaucoup de raisons, pour la littérature bien sûr, mais aussi pour l’escalade. Anécdotiquement parlant, j’ai grimpé cette flèche des centaines de fois. Je l’ai escaladée dans un respect absolu des structures ornementales du monument, le long de cette flèche datant de 1876 et qui avait été reconstruite par Viollet-le-Duc.
Je l’ai grimpée et j’ai tenu la croix sommitale dans mes bras des centaines de fois, j’adorais partir comme ça dans les étoiles…  Et voilà, tout ça c’est fini.
On peut faire une analogie avec la montagne et dire que le type qui a grimpé la directe américaine aux Drus a perdu sa voie, pareil pour la Lepiney au Trident du Tacul ou à la Meije qui se casse la gueule. Évidemment que l’alpiniste ajoute à son désespoir paysager, la mort de ses souvenirs, mais c’est moins grave hein. Un souvenir en cendres, c’est pas très grave. Et puis l’effondrement de la montagne, c’est différent tout de même. L’érosion c’est un destin, c’est celui de la géologie. C’est un vieillissement. Être triste de l’écroulement du socle granitique des Alpes, ce serait comme trouver qu’une ride sur une belle peau est insupportable. Une cathédrale qui brûle c’est différent tout de même. C’est une atteinte aux tentatives de l’homme de se dépasser lui-même.
Et c’est un changement dans le paysage qui va créer un déséquilibre, Paris aujourd’hui est déséquilibrée. »

Propos recueillis par Ulysse Lefebvre.