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Relais, vaché !

Relais ! ©Ulysse Lefebvre

Il y a le relais des routiers, comme une étape, une pause où se restaurer et se reposer, « faire le plein » avant de poursuivre son voyage sur une route à deux, trois ou quatre voies souvent longues. Il y a le relais 4x100m, qui met en scène quatre coureurs et un témoin, devant des milliers d’autres – témoins – spectateurs d’une épreuve olympique reine qui fait s’élever les voix et grimper l’ambiance très haut dans les stades lorsque les sprinteurs déboulent à la corde. A peu près à mi-chemin entre le relais routier et le relais olympique, il y a le relais du grimpeur, au bout de la longueur de corde ou pas loin. On s’y arrête donc, on s’y vache, on y assure, on y grelotte, on y contemple, on s’y retrouve, on s’y requinque, on s’y relaye, on s’y sépare de nouveau le temps d’une longueur. Il se dit aussi que certains vieux routiers du rocher y boivent des canons…

Le relais c’est à la fois la fin d’une longueur et le début de la suivante. Comme une allégorie des choses de la vie. On y parvient tantôt rassuré car la longueur était bien assez longue, tantôt frustré car c’est déjà la fin d’une belle longueur.
Si le routier fait le plein de diesel à son relais, voici l’ordinaire du grimpeur lorsqu’il arrive au sien :
Le premier de cordée : Relais, vaché !
Le second : Libre !
…quelques instants plus tard : Bout de corde !
…enfin, toujours le second : Départ !

Le grimpeur construit son relais
comme London construisait son feu dans le grand nord,
avec concentration et efficacité

La configuration des lieux et les éléments, le vent notamment, se chargeront de relayer ou non ces quelques bribes d’ordinaire propres à la cordée. Bien souvent il faut se contenter d’interpréter les mouvements des brins de corde ; pas de son, pas d’image. Le grimpeur a construit son relais comme London construisait son feu dans le grand nord, avec concentration et efficacité. Quelles que soient la méthode et la situation, on ne badine pas avec la construction d’un relais, car c’est la vie de la cordée qui peut en dépendre. Si dans les longueurs le grimpeur affectionne plus que tout le beau rocher, lorsqu’il s’agit du relais, il aime avant tout que ce soit « béton ». Mais le premier de cordée qui construit son relais n’a souvent pour seul témoin que le caillou, qui reste de marbre. Le relais comme l’escalade en général, c’est un peu l’éloge de la responsabilité. Une triangulation entre soit même, l’environnement et autrui.

Les brins de cordes sont avalés progressivement par le premier dans l’assureur et c’est alors qu’apparaît de l’horizon vertical le second, qui termine la longueur et découvre à son tour la configuration du lieu. Si la cotation des longueurs est annoncée au moyen de chiffres et de lettres ; la qualité des relais quant à elle, est souvent laissée à l’appréciation des grimpeurs. L’équipement, la sécurité, le confort, la place, la vue, l’exposition aux éléments, sont autant de critères. Ne pas oublier que certaines cordées engagées dans de grands projets, sont contraintes d’y passer des heures, des jours, voire des nuits. Oui certains s’y attachent plus que d’autres. Relais, quand tu nous tiens…

on fait le point de ce qui est fait et de ce qui reste à faire,
topo à l’appui,
sans pour autant tomber dans des longueurs

Au relais, on fait le point de ce qui est fait et de ce qui reste à faire, topo à l’appui, sans pour autant tomber dans des longueurs. On y boit, le plus souvent de l’eau, on s’y alimente, le plus souvent de peu. On s’y déchausse et ça c’est le pied. Certains sont contraints de s’y soulager, merci pour les suivants. D’autres y donnent de la voix pour oublier la voie, trop dure ou trop longue, quand ce n’est pas les deux à la fois. On s’y engueule aussi, le plus souvent en couple. Alors parfois on s’en échappe par le bas, pour finir de s’expliquer… au pied du mur. Enfin si tant est que la cordée soit réversible, on s’y relaye fort logiquement. Point de témoin à transmettre. On y troque tout au plus quelques sangles et un peu de quincaillerie. L’un dégaine les paires, l’autre l’assureur, c’est le contrat. Encouragements et remerciements (pour les plus polis), et puis c’est reparti. Le premier jauge les mouvements de la longueur qui débute, tantôt enjoué et motivé, tantôt dubitatif et fatigué, parfois effrayé. Le second regarde le premier s’élancer dans la longueur, tantôt envieux, tantôt rassuré d’être second. « Les premiers seront les derniers ». Celui qui a dit cela n’a jamais grimpé en second.

Le relais c’est un éphémère, un point de passage auquel on s’attache. Toujours au sens propre, parfois au sens figuré. Pour le quitter ensuite, car il faut suivre sa voie.

Le relais, c’est le temps suspendu…