Skieur-alpiniste, quarantenaire, Paul Bonhomme dit que ses réalisations actuelles ne sont que le résultat de ses vingt-cinq années d’expérience et d’entraînement. Ce qu’il raconte dans Raide vivant, un titre vindicatif pour une autobiographie, c’est le chemin qui l’a conduit jusqu’ici. Sincère, cash, son récit sensible est passionnant.
L’alpiniste n’aime guère se confier, il n’aime guère se raconter. Même si Chris Bonington a écrit la première de ses autobiographies à 32 ans, l’alpiniste de haut niveau craint de se (la) raconter, ce qui fait qu’on lit de lui sa biographie quand il est raide mort. Notons quelques biographies du vivant de (Damilano par Cédric Sapin-Defour, les frères Huber par François Carrel, Christophe Moulin par lui-même), mais sinon, disons que plus l’alpiniste est pointu, moins il s’autorise à parler : les faces nord rendent taiseux ceux qui s’y risquent. Pourquoi raconter ? Pour partager dirait-on. Je ne suis pas sûr que cela soit la raison. Entre un rendez-vous chez le dentiste, le micro ou le stylo, la plupart des alpinistes pointus préfèrent la roulette. Pas Paul Bonhomme.
Du Ponteil au Cho Oyu
Le skieur-alpiniste est d’abord un ultra montagnard : de ceux qui ont commencé, jeunes, par courir dans la montagne non pas pour faire des temps, mais parce que tout seul, ça va plus vite. Quand Paul part pour la face nord du Pic Sans Nom il n’oublie pas de laisser un mot à sa mère. Mais le reste du temps, il part de la maison familiale du Ponteil grimper comme on respire, sans réfléchir à ce besoin de s’accrocher par les doigts de la main à quelques prises, sans corde mais pas sans talent – en témoigne une ascension solitaire de la Directe Gamma en face sud des Écrins.
L’alpiniste n’est pas un père tranquille. Paul Bonhomme n’élude pas sa vie personnelle, égrène la joie d’un enfant voulu ou inattendu. L’imbroglio des sentiments quand la compagne s’en va, l’échec, la vie qui ressemble à une rimaye béante. Paul fume mais n’arrête pas sa quête de la montagne. Paul fume mais ne ralentit pas le rythme. Après les Écrins, le premier 8000 : le Cho Oyu, le jour de ses trente ans, en 2005. Sans oxygène, sans porteurs. « Une délivrance (…), oui, une naissance à un tout autre monde. ». Avec Nicolas Brun et Jeanno (qui fera la descente à skis). Alias Jean-Noël Urban. Tous les alpinistes qui prétendent ne pas avoir de modèles mentent. Moniteur de ski, Jeanno sera l’une des grandes sources d’inspiration de Paul. Un grand-frère d’altitude. Une boussole parmi les copains qui font la fête tous les soirs à Serre Che.
J’ai dû être vieux jeune, il y a déjà eu tellement de morts.
Dessein intime
Paul fume mais n’arrête pas la famille. Il en bâti une nouvelle, de nouveaux enfants. S’aperçoit qu’il est toujours aussi bon pour courir en montagne, mais encore mieux sur des skis. Avis à tous ceux qui perdent leur temps à définir le ski de pente raide, ou extrême : quand Paul fait une première à skis, il fait du solo – comme quand il grimpait de cette manière dans le glacier Noir. C’est sa façon d’être en montagne, quand celle-ci le permet. Alors le ski en solo, ce serait sans doute une bonne définition pour ceux qui skient des couloirs biscornus et pentes suspendues à 45, 50, 55 degrés, au milieux des rochers.
Guider le matin, s’entraîner l’après-midi, plier un couloir son jour de repos : une vie de skieur-alpiniste. Faire des expés à l’automne, accueillir un nouvel enfant à Noël. Paul écrit : « j’ai dû être vieux jeune, il y a déjà eu tellement de morts ». Jean-Noël Urban se tue en 2008, en tombant dans un gouffre sur le glacier du Gasherbrum I. Le skieur des hautes altitudes ne partira plus en expé avec Paul, le petit-frère de son pote Nicolas Bonhomme, emporté par une avalanche en 1998, au Gasherbrum VI, tout proche. Paul ne fera plus la fête avec Jeanno. Ils avaient pourtant mis au point une méthode d’entraînement bien à eux, à proposer à tous les mangeurs de graines : bosser tout l’hiver à fond en faisant la fête à fond, (tenter d’)arrêter l’alcool au printemps et partir au Tibet l’été à 8000 mètres.
La Verte, la vie continue
Paul continue son chemin sans Nico, sans Jeanno. Sans les copains népalais qui disparaissent en 2015. Paul n’arrête pas de fumer, cela ne l’empêche pas de tenter les quatre faces de l’Aiguille Verte à la journée en 2018, ou la face Est de la Dent Blanche. Paul écrit qu’il n’a plus peur : non pas de la montagne, où il sait faire demi-tour, mais de sa volonté, de son chemin vers celle-ci. La vie est trop courte pour avoir peur de faire ce qu’on aime vraiment. La réussite ? C’est d’essayer, déjà .
Parce qu’écrire sur ses montagnes intérieures (pour paraphraser Lionel Daudet), ce n’est pas vain. C’est dire aux autres par quoi il faut passer. Ou pas. C’est tenter de dire pourquoi on est raide dingue de montagne. C’est oublier ses « douleurs infinies ». Noircir quelques feuilles de papier pour se garder du vide, comme un astronaute se garde de celui-ci, intersidéral, grâce aux quelques millimètres de sa visière.
Écrire, se mettre à nu, c’est sans doute une condition nécessaire à l’alpiniste pointu pour ne pas oublier qu’il est un homme fait de viscères et de sentiments et pas cet héros qui tourne autour de sa GoPro.