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Pyongyang 1071 : marathon en Corée du nord

Quand un marathonien bisontin, polariste à l’humour noirâtre, file pour courir à Pyongyang, on craint le cocktail vinaigre (de riz) : Le Carré vs Zatopek, au pays des Kim ! Jacky Schwartzmann en est pourtant revenu, et livre Pyongyang 1071. 1071, comme son dossard. Récit halluciné et Running Journal tordant : ciselé comme un mollet. Non, vous n’aviez jamais lu de récit de course.

Pyongyang 1071. Jacky Schwartzmann, Coll. Guérin, Paulsen, octobre 2019.

Oubliez New York 1997, 2001 L’Odyssée. L’Ulysse moderne a 46 ans, est français et marathonien. C’est l’histoire d’une soirée créole qui tourne mal pour l’auteur. Divinement bien pour le lecteur. Ou quand un hypercitadin titillé au punch, décide de partir en « Truman Show, façon 1984 » – pour 42 kilomètres. Dossard : n°1071. Destination : Corée du Nord et Marathon d’avril. Jacky Schwartzmann vient d’en faire son Grand Projet, bien plus humaniste que loufoque. Son but ? aller voir, l’obsession première des grands voyageurs. Mais quand l’humour se shake à la lucidité, c’est une plume éclairante qui nait, et transforme l’incongru en beauté pure. Du style, du style et encore du style ; attention soyez prévenus : livre d’utilité publique et qui se dévore. Vous en redemanderez, et garni au Bibimbap. Au quoi ?

J’ai toujours aimé partir en vacances
dans des dictatures.

Car aussi puissante qu’effrayante de tragicomique, la galaxie Nord-Coréenne réussit un exploit depuis 2014. Attirer plus de 1000 occidentaux pour son International Marathon. Défi sportif pour l’auteur de romans noirs ? « Un détail » physique car l’objectif est ailleurs. « Ça ne branche personne d’aller se balader dans un Truman show version 1984 ? Ils sont où les Tintin, là ? On peut entrer en Corée du Nord, ce mammouth figé dans le permafrost, et personne n’est tenté ? » Et Schwartzmann y fonce, les rencontres et sparring partners, il verra plus tard – et il y en aura. Direction Pyongyang au printemps, et parcours de santé surréaliste dans un pays surréaliste. A chaque occasion son défilé, et le Marathon de Pyongyang n’y déroge pas : vive l’anniversaire du Dieu Vivant (Kim Il-Sung) et de fiston (Kim Jong-Il), les obélisques et les arcs qui feraient pleurer Dioclétien.

A l’os ! Dévots de la phrase de 5 mots, de la brève travaillée, de l’aphorisme ciselé, réjouissez-vous. Pyongyang 1071 est une Épiphanie. Du déchet ? Vide sidéral. Vous voici embarqués dans un marathon, non. Quatre marathons, soit un ultra. 1) Le flash du projet fou (choisir une course). 2) Le parcours vers l’accomplissement (l’entrainement). 3) L’épreuve du grand jour (la course). 4) L’épuisement final et la révélation d’ultimes vérités (l’extase post ultra). Mais comment un auteur de polar, scénariste et adepte d’humour noir, passe-t-il au récit de voyage ?

Jacky Schwartzmann : Je n’avais aucune référence, c’est clair ! ou plutôt, si, mais écrasantes : du genre Nicolas Bouvier. Imaginez donc le diamètre, le métal, et la hauteur de la barre à franchir…que je n’ai évidemment pas visée. Plus près de nous, j’étais aussi amateur du travail de Richard Gaitet, Julien Blanc-Gras. Mais je ne referai sans doute jamais un récit de voyage. D’ailleurs, c’est davantage un journal intime de trois mois. L’une des aides pour y arriver, c’est tout simplement…la course à pied. Comme d’autres, j’écris en courant. C’est en trottant que je pose le problème ou le blocage, le nœud d’un scénario, etc. que je l’oublie, et que la solution se présente d’elle-même, en profitant de ce moment off.

Osons le dire, il y a du Tesson dans ce réel qui dépasse tout, tant il est poétisé en punchlines. Et l’on a rarement lu un marathon raconté comme la fusillade de Heat – version marrade. Vous créez un genre et le lecteur y laisse sa VMA. Aussi tiède qu’une clim’ en panne et relevé qu’un Kimchi, on appelle ça du travail. Pourtant partir sur la planète des Kim, ça sonnerait plutôt prétexte. La foulée comme véhicule, le marathon comme porte d’entrée légale pour un accès à Pyongyang ?

Jacky Schwartzmann : Le marathon et le voyage à Pyongyang, ce sont deux projets totalement indissociables. L’un ne pouvait aller sans l’autre. J’aurais pu faire une telle course en France, même avec force détails croquants (imaginez, il y a matière, ne serait-ce que nos jolis patelins, nos gentilés, nos fromages et mentalités !) ? ça n’en aurait pas fait un livre. J’aurais pu le penser à New-York ? qui aurait été intéressé ? ou alors, j’en aurais fait une fiction, mais pas simple car mon truc reste le policier. J’étais tombé sur les très rares reportages sur la Corée du Nord : le coté kitch et loufoque m’avait vite interpelé. Bien avant de réaliser l’usine à cadavres que c’était, les milliers de disparitions annuelles, la farce tragique. Une dizaine d’années plus tard, l’idée m’est revenue…lors cette soirée créole.

Voir et vivre ça, pendant qu’il est encore temps 

Peuple, fertilité, travail. Marathon ? Loisir ? ©Coll. Schwartzmann

Marathonien-voyageur, confiné avant l’heure

Rien à faire : on reste sceptique sur votre réelle envie d’y courir, ou d’y voyager pour voir ! Mais vous levez finalement le doute ?

Jacky Schwartzmann : Je n’ai rien du grand voyageur ! le type qui enchaine les transports pour aller toucher du doigt un truc aussi loin que possible. Pas du tout mon truc. Mais une fois que Pyongyang et marathon se sont associés dans ma tête, c’était indéboulonnable. Et attention, le marathon reste fantastique. En outre, confinés par le virus, c’est maintenant que je réalise que c’est exactement la sensation que l’on a vécue ! Touristes confinés dans leur circuit. Interdiction totale de sortir des rails, sur place.

Coureur Schwartzmann : capable d’empathie à 12 km/h.

Quand la clairvoyance se mêle à l’humour, désolé au Petit Robert, mais on s’éloigne du mot cynisme. Ça s’appelle l’acuité, comme une trame de péripétie en péripétie – bouche bée toujours. Être touché, ému même, cela fut-il possible lors de cette exploration très terre-à-terre ?

Jacky Schwartzmann : Ça peut paraitre cucul et bien-pensant, c’est clair. Mais je n’ai que cette expression qui me vienne : on a mal au cœur pour eux, sans savoir pourquoi. Ils nous font venir, organisent le voyage bien sûr, mais sans nous accueillir. Ça, c’est impossible, interdit, ou inconcevable pour le régime. Je revois notre guide autrichienne, qui exprimait exactement cela dans son attitude. Je revois cette visite d’un centre de vacances pour enfants des hautes classes, flambant neuf…mais sans enfants. Je me suis imaginé la joie des mômes un mois après, ici pour leurs congés. Tout en ressentant une culpabilité d’intello bobo mal placé, comme si je naviguais en URSS en 1989. Des leurres, toujours, partout. Une empathie particulière ? je retiendrai les regards, ceux qu’on croise. Mélange touchant de malaise et de sympathie.

Pourtant, les médias nous servent surtout de l’effroi lorsqu’ils évoquent la Corée des Kim. Ce Disneyland de l’autocratie XXL, a au moins le mérite de faire rigoler – jaune – les JT de 20H. Entre une farce diplomatique avec Trump, et une valse-hésitation nucléaire pour de la fausse, on oscille entre l’incrédule et le figé ; trouillomètre à zéro toujours. Le voyageur le ressent-il sur place ?

Jacky Schwartzmann : Tu débarques à l’aéroport, et tu es infantilisé au bout d’une heure. Voilà. C’est bien simple, tu ne décideras plus de rien durant tout le voyage, comme dans la peau de gamins de 10 ans. Mais il faut aussi noter qu’il y a Pyongyang, et le reste : dans la capitale, personne dans les rues, l’urbanisation est neuve, droite, solide. C’est cadré à l’extrême. Hors de la ville ? On bascule 100 ans en arrière. Et puis, tous les Coréens n’ont pas le droit de pénétrer dans Pyongyang, on exclue largement le moindre indésirable, ou qui pourrait faire tache, miséreux.
Quant au niveau de militarisation, c’est délicat….Quel est-il ? Tout est flouté là encore. J’ai vu des militaires, pas mal, oui : ils réalisaient des travaux ! pas de gardes-chiourmes. En revanche, un pouilleux serait peut-être un surveillant en civil. Tout se confond, on nage dans l’opaque. On est en prison dans l’hôtel, point. La seule chose vraiment extraordinaire, c’est le marathon : reconnaissons que cette course, l’évènement, tout, c’est formidable. Certes, on a un peu l’effet oxygénation brutale après notre enfermement, mais l’animation et l’ambiance sont bluffantes. Sinon…oui, on a bien rigolé avec les guides. Mais quant à lever un bout du voile… 

La coupe de cheveux du dernier rejeton des Kim s’est mise à pousser à l’intérieur de mon crâne.

Les 42 bornes bouclées, et un vécu gros comme ça à condenser en prose, l’auteur rentre à la maison. En bilan, une question nous brûle les lèvres : celle du résultat philosophico-capillaire, que l’auteur humorise dès le départ. Alors Monsieur Schwartzmann, après ce voyage, coupe Playmobil ou oreilles dégagées ?

 Jacky Schwartzmann : J’avais bien veillé à ne pas du tout me documenter avant d’y partir. A faire mon blaireau volontaire, un vrai éléphant dans un magasin de porcelaine. Au final, je n’ai pas pu rapporter une quelconque sympathie dans mes contacts, car…nous n’avons eu aucun contact avec l’extérieur. Juste effleuré, deviné un sourire derrière une vitre. Tu peux refaire dix fois ce voyage, tu ne pourras rien découvrir d’autre. Trop opaque…

Et cette conclusion évidente : fuyez les soirées créoles. 

A part du mauvais rhum et un zouk à lumbago, Jacky Schwartzmann n’avait donc pas tant à craindre de cette soirée inaugurale. De la page 1à 185, Pyongyang 1071 est une mine de perles. Avec sa verve philosophico-pragmatique, l’auteur est dedans dès le premier mot, le premier soir, et il n’y aura qu’un point de fuite ; y être. Gageons que vous filerez vers la bibliographie de l’auteur, même si son nom patronyme est dur à taper. Journalistes en panne d’inspir, ou à l’expir lexical bloqué, lisez l’ouvrage. Quant à la meilleure définition de la tourista ? elle se trouve bien page 185.

Du même auteur, à découvrir : Mauvais Coûts, Prix de la Page 111 (La Fosse aux Ours, 2016). Demain c’est loin (Seuil, coll. « Cadre Noir »), Pension complète (Seuil, 2018). Le Coffre, avec Lucian-Dragos Bogdan (La Fosse aux ours, août 2019).

 » Tu débarques à l’aéroport, et tu es infantilisé au bout d’une heure. Voilà. « 

Portrait de l’Auteur en Vainqueur © Coll. Schwartzmann