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PIZALP #3 : une traversée des Alpes suspendue

Le soleil se lève sur les flans du GrossGlockner. ©Pizalp

Sur des projets comme ça, on s’attend forcément à braver certains aléas, qu’on arrive plus ou moins à anticiper. Mais il faut avouer qu’un tel événement, on était loin de le prévoir. C’est le moment d’une grande pause, en laissant le projet en plan. La traversée des Alpes par les Piz (les sommets dans la langue des Grisons) doit s’arrêter. Brusque retour à la réalité, alors que les derniers virages sont à peine bouclés.

L’histoire se déroulait un peu trop bien. Le fil se déroulait à la mesure de nos pas, tranquilles, posés, en s’adaptant aux intervenants externes, avec surtout cette météo capricieuse et ce vent omniprésent qui, en plus de l’inconfort sur le moment, comblait les pentes d’accumulations locales. On arrive aux plans B, C, Z et parfois même à la carte repos pour poursuivre notre avancée en garantissant la sécurité dans ce milieu incroyable mais où la prise de risques peut être fatale. 

 

Le meilleur Kaiserschmarn du voyage ! ©Pizalp

Heiligenblut, ville aujourd’hui en confinement total. Courage ! ©Pizalp

 

 

Routine de raid

Presque tous les jours, c’est comme naturel, on chausse les skis et on avance. On évolue dans cet environnement blanc, on déroule du paysage, on passe quelques cols, on change de vallée, on se pose le temps d’un sommet et on continue. C’est assez répétitif mais pourtant, on y a toujours goût, on est heureux d’être là haut. On est des morts de faim de ski ! Et c’est génial de pouvoir partager tous ces moments avec ceux qui nous rejoignent au fur et à mesure de l’avancée : que ce soit autour d’une dégustation de Kaisershmarrn (« crêpe de l’Empereur »), à se suivre dans la grosse poudreuse, à galérer à enlever les peaux en plein vent, on a vraiment l’impression de vivre quelque chose d’unique et fort, à seulement quelques bornes de chez nous. 

Heureux de sortir corde, crampons et piolets ! © Pizalp

Nouvelles du continent

Tiens, un appel d’Italie. C’est Carla qui nous appelle. Carla, c’est elle qui gère notre logement préféré dans les Dolomites, on y arrive dans 2 semaines. Elle doit fermer l’hôtel, tous les restaurants alentours ferment également, et la station aussi. Oui, c’est là que ce coronavirus prend pour nous ce désagréable goût de réalité. L’Italie prend des mesures fortes pour le contrer. Ici en Autriche, c’est plutôt calme, on se sent protégés par cet environnement montagnard,  isolés. On accuse le coup de la nouvelle, on n’ira donc pas dans les Dolomites pour les 3 semaines prévues. On tente de rediriger nos plans sur des parties de l’Autriche qui ont attisé notre curiosité.

Rien n’empêche de repartir sur ce raid de 5 jours autour du Grossvenediger, lié par son nom à Venise et à cette Italie frappée par le virus. Camille et Mathieu nous accompagnent dans ce pays glaciaire, où le réseau se fait rare. Encore une belle déconnexion montagnarde pour profiter de cet univers splendide. On s’offre quelques passages en mixte pour varier les plaisirs. 

Féfé à l’œuvre, oui on quadrille le secteur ! © Pizalp

Allez, Prost ! ©Pizalp

Derniers plaisirs volés

Guet-appens à la Kurzinger Hütte où le nouveau gardien et son équipe n’y vont pas de main morte sur le remplissage des verres de Schnapps, et dégotent même du champagne à la cave. Même si on ne comprend rien à leur dialecte local, ce genre de moment reste gravé, tout comme la flasque qu’ils nous offrent à notre départ pour trinquer à leur santé à chaque sommet suivant de Pizalp ! Ce raid se termine, on retrouve le réseau et on se prend tous une claque de fin du monde en retrouvant les nouvelles de ce virus. L’impact est planétaire, l’Italie est meurtrie, l’Europe prend des mesures au niveau des frontières, l’Autriche commence à être touchée. On apprend que la ville d’Heiligenblut que nous avons traversé quelques jours plus tôt est complètement fermée, plus le droit d’entrer ni de sortir. 

On ne sait pas trop comment réagir : On part s’isoler quinze jours dans une cabane d’hiver ? On rentre chez nous ? Mais quel chez nous ? Notre maison est louée, et on ne va pas risquer de contaminer nos parents. Ce n’est pas si facile de lâcher ce projet auquel on croit dur comme fer. On s’est arrachés pendant des mois à le préparer ! Mais ces justifications ne tiennent pas face à l’ampleur du phénomène, il n’y a pas encore de mesures de confinement mais on les sent venir… On peut tenir 2 semaines mais on ne tiendra pas un mois. On commence à se sentir incongrus et moins bienvenus aussi au milieu de ce décor autrichien. On se sent comme un risque pour les gens que l’on rencontre car même sans symptômes, on a traversé cette ville à risque, on a croisé du monde dans les refuges… Bref, on prend cette décision qui nous déchire le cœur mais qu’on sait responsable : on rentre en France, et on trouvera bien une solution pour se confiner.

Plan B, C, …, Z… © Pizalp

Le voyage nous laisse le temps de reconnecter à cette rude réalité et après 5 bus, 3 trains, 2 passages de frontières, 4h à « dormir » devant la gare, nous arrivons en France. Perturbant de passer en bus à quelques centaines de mètres des Tre Cime di Lavareddo, qui étaient la suite de notre itinéraire prévu. À dix heures du soir, on a traversé la frontière Autriche/Suisse de nuit, à pieds, car tous les transports en commun étaient stoppés. On s’est sentis tels des migrants passant en douce : après passeur d’émotions, passeur de frontières… 

Fatigués et le cœur lourd, mais heureux de ce choix. Pas de « futurite » pour l’instant, on verra bien au moment voulu si on repart ou non. On reste au chaud et on essaie de garder la forme pour pouvoir être d’attaque !