Créer un film, c’est s’abandonner à une histoire qui nous dépasse et retranscrire une certaine forme de beauté. Avec Painting the Mountains (à voir ici), Pierre Cadot plonge dans l’univers du ski de pente raide sous l’angle de l’art et de la passion. Un projet intense, tissé d’incertitudes et d’instants de grâce, où filmer des moments de vie puis en faire un film est un travail de longue haleine. Il nous raconte.
Tous les 2 ou 3 ans, on sort un film long. Un vrai film, pas une vidéo pour les réseaux sociaux. Un film, qu’on emmène dans les salles de cinéma. Un film dont on est fier. Et ce n’est pas rien. Ces films, ceux où l’on y jette notre cœur pendant de longs mois, ils deviennent une part de nous- mêmes. On y pense en permanence. Ou ce sont les films qui comportent une part de nous. En tout cas, ils deviennent personnels.
Mais à chaque fois j’oublie le travail que c’est. Le nombre d’heures à se creuser l’esprit, les phases de doutes où les nuits sont agitées, contrastant avec les moments où le film prend forme et l’excitation grandit. À ce stade, même si le sommeil reste vague, nous nous levons motivés. On oublie les kilomètres parcourus à pied, chargés comme des mulets, traînant nos caméras, matériel de bivouac et skis. On oublie ces instants où l’histoire échappe à notre contrôle, où rien ne se passe comme prévu. Ces moments à courir derrière ce fil qui nous a échappé, s’époumonant à retrouver l’histoire. Alors qu’en fait elle viendra à nous.
Car souvent, celle-ci se trouve dans la matière : dans les heures de rushs. Dans ce qui n’est pas prévu. Et une fois au banc de montage, il faut s’ouvrir à ce qu’on n’a pas senti sur le terrain : « Qu’est-ce qu’on a capté avec nos caméras que l’on n’a pas conscientisé ? » C’est la démarche que j’apprends avec Hugo Clouzeau, le monteur. On travaille ensemble, mais je crois qu’il m’apprend plus que ce que je lui demande !
C’est ça le cinéma, c’est quand on fait confiance au réel, à la vraie vie, à ce qui ne ment pas. Souvent on se ment, on s’invente des histoires. Mais les rushs décident ce qu’on a réellement capté ou non. Et il faut faire avec. Mais là-dedans, dans les heures de vie amassées sur la timeline, il y a une histoire.
on commence à voir les images qui s’assemblent
l’histoire qui prend du sens
Faire confiance et écouter Hugo qui amène son point de vue, qui pointe du doigt des éléments, me montrant par la même mes incohérences. Le laisser proposer, remettre en question, fouiller et trouver, passer des heures à chacun perdre, et gagner quelques batailles de l’esprit dans un débat jamais stérile. C’est la phase que je préfère.
En fait, son regard distancié sur l’aventure vécue m’aide à prendre de la distance avec des idées préconçues. On commence à voir les images qui s’assemblent. L’histoire qui prend du sens. Le rythme qui se dessine. C’est « la couleur du film » qui commence à se faire sentir. Quand la couleur est bonne, c’est l’excitation. On sait qu’on tient quelque chose. On a plus qu’à s’y accrocher. On l’a retrouvé ce fil.
À ce moment-là on croit que ça va bientôt se terminer. Qu’on tient le bon bout ! On arrive presque à une version n°1, mais on rebrasse la timeline, une fois, deux fois. On change l’ordre, on voit des problèmes, on interverti, on retourne, on se trompe… et éventuellement, au bout d’un moment, on valide. Puis on re-retourne, pour revenir à la phase initiale parce que, finalement, on n’avait pas si mal réfléchi la première fois. J’adore ça. Le sens du détail. La quête pour l’histoire. Merci Hugo.
Ce film, Painting the mountains, parle de la pratique du ski de pente raide sous le prisme de l’artiste. Tous les personnages présents dans le film sont là où ils doivent et veulent être. Ils sont filmés en train de faire ce dont ils sont passionnés. Ce pour quoi ils vivent. C’est ce qui fait d’eux « des artistes » à mes yeux.
Je ne veux pas uniquement
faire un film de ski,
mais montrer la beauté
dans la démarche
de quelques amis qui m’inspirent
J’ai souvent imaginé pour définition d’un artiste (sans en être jamais certain, mais ça me parle) que c’est celui qui crée parce que c’est plus fort que lui. C’est celui qui ne peut et ne sait pas faire autrement. Qu’importe ce qu’il crée. C’est la démarche et le style de vie qui définiraient l’artiste, et non pas son produit fini, et le fait qu’il plaise ou non.
Ce film (même si c’est une marque – Picture – qui le finance) est un de ces projets que j’aborde avec un regard intéressé 100 % sur l’humain, sur capter la vie et créer quelque chose de beau. Je ne veux pas uniquement faire un film de ski, mais montrer la beauté dans la démarche de quelques amis qui m’inspirent.
On me donne un cadre. Dans ce cadre, je mets ma sensibilité. En entier. Le film et son titre en français « peindre les montagnes » a d’autant plus de sens qu’il est une œuvre collective, venu d’un alignement de planètes et de la captation d’une vraie tranche de vie. Ce n’est pas une histoire inventée de toute pièce pour plaire à des marques dans un pitch vendeur.
Du skieur à l’étalonneur, il y a de l’art partout
C’est ce qui s’est passé. Il y a d’un côté les skieurs, avec leurs visions, leur engagement, leur confiance, ils créent quelque chose de beau et abstrait. Quelque chose qui n’a de sens que pour eux. Il y a de l’autre Mathew le photographe et journaliste qui désire rendre à ce qui lui apporte tant : El Chalten. Son besoin d’éthique, et de ne pas être un conquistador moderne, apporte un thème inattendu dans un film de ski. Apporte un niveau de compréhension sensible.
Ces deux entités qui se sont rencontrées, qui se sont entrechoquées ont créé un film qu’on a retranscrit. Tout est assez entremêlé finalement. Les frontières entre les pratiques sont poreuses, et ont créé ce tableau. Le film est peut-être un témoin qui tente de définir cela.
La pratique du ski de pente raide reste quelque part incompréhensible pour moi. Mais l’envie de montrer que seule la beauté est importante est bien là. La démarche, la passion, l’envie. Au final, on ne définit pas cette pratique dans le film, on la regarde, on la subit, mais je ne suis pas sûr qu’on la comprenne. Au fond pour moi, qu’importe de comprendre, de réponde à la question que tout le monde se pose « pourquoi ils font ça ? », c’est la démarche qui importe.
Dans cette œuvre fruit d’une grande équipe, il y a ceux de l’ombre, les mains derrière les manettes du drone et derrière la caméra, les mains derrière le banc de montage, derrière les instruments de la musique originale. Tout le monde met sa patte, tout le monde apporte sa pierre à l’édifice et y met de sa passion. Du skieur à l’étalonneur, il y a de l’art partout. J’ose croire qu’être réalisateur c’est coordonner tout ce monde. Savoir lâcher prise, et simplement rediriger quand la couleur s’égare.
Alors même si ça nous prend toujours quelques années
pour nous en remettre et recommencer,
je crois bien que je le ferai encore
Ces projets au long court prennent forment au moment de les présenter. Une fois en salle de cinéma, avec un public, peut-être sa mère, ses amis, sa copine qui regardent notre travail. Ça aide de pouvoir leur témoigner ce soutien si important lors de ces longs mois où l’on est plus aussi ouvert, voire agréable. Espérerez que le film leur plaise et leur permettre de comprendre à quoi était dédiée leur patience.
Maintenant ça y est, tous ces efforts sont enfin arrivés à une fin. Ils font place au bonheur de présenter le film dans les festivals, d’en discuter avec le public, de le partager avec l’équipe et éventuellement d’être applaudi. Alors même si ça nous prend toujours quelques années pour nous en remettre et recommencer, je crois bien que je le ferai encore, pour trouver le goût de la prochaine couleur… et le montrer à ma mère.