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« La montagne doit rester un espace de liberté face à la tentation du tout sécuritaire »

Le maire de Chamonix, Eric Fournier, ainsi que d’autres représentants d’instances représentatives du milieu de la montagne signent une tribune dans laquelle ils défendent la montagne comme un espace de liberté, où les secours doivent demeurer gratuits.

Difficile de ne pas y voir une réponse cinglante aux récentes déclarations de l’autre maire du massif, Jean-Marc Peillex. Dernièrement, l’édile de Saint-Gervais proposait une caution de 15 000€ pour frais de secours et de funérailles des prétendants au sommet du mont Blanc. Infondée juridiquement, cette proposition contribuait un peu plus à l’idée de restreindre l’accès à la montagne.

Dans cette tribune, les valeurs fondamentales de la montagne et de l’alpinisme sont justement rappelées par les signataires. La rédaction d’Alpine Mag y adhère pleinement. 

Les fortes chaleurs et la sécheresse qui sévissent cet été dans tout l’Hexagone impactent fortement la haute montagne. Avec des températures supérieures à zéro degré durant plusieurs semaines au-dessus de quatre mille mètres d’altitude, cet environnement subit plus encore que les autres les effets du réchauffement climatique.

Dans ce contexte, l’émotion légitime suscitée par de tragiques accidents inhérents à la pratique de la haute montagne a pu nourrir ces dernières semaines la tentation d’une réglementation plus coercitive de l’alpinisme, de l’instauration d’un « permis d’ascension », voire d’une « caution » pour bénéficier des secours en montagne.

Le mont Blanc. ©Jocelyn Chavy

En tant que professionnels de la montagne, élus, personnalités de l’alpinisme ou alpinistes amateurs, nous appelons collectivement à faire le choix de la responsabilité, de l’humilité et de la liberté. Ces valeurs sont le socle de l’inscription de l’alpinisme à l’Unesco au titre du patrimoine culturel immatériel de l’humanité, en 2019.

C’est dans cet esprit que Gérard Devouassoux, guide et premier adjoint au maire, fondait, à Chamonix, en 1972, l’Office de haute montagne (OHM) dont on fête les 50 ans, après une année noire qui avait fait quarante-cinq morts pour le seul massif du Mont-Blanc. « Il ne faut pas, disait-il, réprimer ni créer aucune espèce d’obligation. Au contraire, il faut renseigner pour prévenir, mettre les connaissances des professionnels au service des “sans guides”, donner des renseignements sur l’état ponctuel de la montagne, sur les difficultés de chaque course, sur l’évolution des conditions météorologiques. »

Cela ne signifie pas la fin de l’alpinisme estival

Depuis cinquante ans, autorités publiques, professionnels de la montagne, sauveteurs et scientifiques, clubs alpins et associations sportives travaillent conjointement à toujours mieux prévenir les accidents en informant, en conseillant, en orientant et en formant sans jamais tomber dans le piège réglementaire. Dans toutes les Alpes, certaines voies normales d’accès à de grands sommets emblématiques sont aujourd’hui fortement déconseillées. Cela ne signifie pas la fin de l’alpinisme estival. Face aux évolutions climatiques, les acteurs de la montagne continuent de s’adapter.

Les guides observent, évaluent, conseillent et renouvellent leur offre pour continuer de proposer d’inoubliables expériences de montagne. Les clubs alpins, les associations sportives et les alpinistes amateurs prennent la même voie de l’adaptation et de la responsabilisation.

De nombreuses belles courses rocheuses restent praticables, nécessitant parfois plus de technique et d’apprentissage, tout en étant accessibles. Faisons confiance à ceux dont le métier est d’évaluer les conditions chaque jour et de décider pour la cordée, pour guider sur des itinéraires où le risque n’est pas accru.

ne succombons pas à la surenchère communicationnelle

Sur la nécessité de s’adapter, ne succombons pas à la surenchère communicationnelle pour frapper les esprits et menacer le désir naturel d’explorer. La montagne doit rester un espace de liberté face à la tentation du tout sécuritaire. La pratique de l’alpinisme ne saurait être soumise à l’obtention d’un permis dans les Alpes françaises, berceau de cette discipline pluriséculaire qui a vu ses acteurs, amateurs et professionnels, façonner et transmettre un véritable patrimoine culturel, un art d’habiter fugacement une nature hostile, de s’y frayer un chemin le temps d’une conquête de l’inutile, en liberté et en responsabilité. Défendons le modèle du secours en France.

 

Défendons le modèle du secours en France

Depuis leur création il y a plus de soixante ans, le PGHM, les CRS Montagne (dont la circulaire de 1958 précise que cette assistance, désormais professionnalisée, est gratuite puisque prise en charge par l’Etat) secourent et sauvent des vies aux côtés de la Sécurité civile, sans discrimination ni hiérarchisation des responsabilités face à l’imprévisible.

C’est la noblesse de notre choix de société, de la redistribution sociale de ses richesses et du dévouement de chacun de ses corps que de permettre à tout un chacun de pouvoir bénéficier de secours en toutes circonstances, dans la vie courante ou les loisirs. Ni caution ni sanction ni autorisation, mais prévention, transmission et responsabilisation.

Une société sans risque n’aurait plus de raison de faire corps. Etre capable d’accepter le risque, de s’engager pour y faire face, de tendre à le diminuer sans jamais totalement le dompter, telle est la grandeur de la tâche de l’homme et de l’alpiniste.

Les signataires

Eric Fournier, maire de Chamonix-Mont-Blanc
Olivier Greber, président de la Compagnie des guides de Chamonix
Bénédicte Cazanave, présidente de la Fédération française des clubs alpins et de montagne (FFCAM)
Christian Trommsdorf, président du Groupe de haute montagne (GHM)
Julien Bailly, président de La Chamoniarde, société de prévention et de secours en montagne