Pensez à l’Écosse, et vous avez l’image du Loch Ness en kilt, pas loin du cottage secret de 007. Vous avez aussi un pays bien arrosé et froid, couvert de montagnes. Pas très hautes (1343 m pour le Ben Nevis), mais un véritable paradis pour l’alpinisme hivernal. Un Eden de l’escalade mixte qui obéit à des règles peu banales quand on vient des Alpes : rocher givré, neige collée ou sans cohésion. Les alpinistes de l’Équipe nationale d’alpinisme féminine (ENAF) s’y sont mesurées, voici le récit de l’une d’elles, Marie Zeller.
L‘Écosse, contrairement à ce que l’on pourrait penser vu de nos Alpes, est essentiellement composée de montagnes. Plus de la moitié de la superficie de l’Écosse est occupée par les Highlands, qui comprend les plus hauts sommets de l’île avec le Ben Nevis, 1343m, point culminant de la Grande-Bretagne. Dans l’ensemble, vous pouvez vous attendre à un temps froid et vivifiant, mais le gel, la pluie, le vent, et la neige font également partie des possibilités. Certains prétendent d’ailleurs qu’il n’y a que deux saisons : celle du parapluie et celle de l’imperméable. Les Highlands à l’ouest constituent l’endroit le plus humide du Royaume-Uni, avec des précipitations annuelles supérieures à 3000 mm.
Et nous, c’est où qu’on va ? Highlands de l’ouest, objectif Ben Nevis. Parce que le froid humide agrémenté de vent et de neige, loin de faire peur, donne bizarrement envie aux filles de l’Équipe nationale d’alpinisme féminine (ENAF). Pourtant, on dirait qu’une acclimatation va être nécessaire… mais peut-être pas pour le mal des montagnes. Au Royaume-Uni, on conduit déjà du mauvais côté (attention à l’ironie !). De même, en Écosse, les règles de l’alpinisme changent par rapport à nos habitudes alpines. Même pas peur, on fonce ! Boussoles et parapluies manquent de nous mettre dans le rouge des cauchemardesques 23 kg en soute, mais après une série de déballages – remballages de sacs et quelques échanges de crabes, pioches ou autres excentricités, on embarque tant bien que mal.
Verrous de lame pour Elsa Salmon dans « The message ». Coire an t-sneachda, Cairngorms. ©ENAF-FFME
Tower Ridge, Ben Nevis. ©ENAF-FFME
A l’approche de Buachaille Etive Mor. ©ENAF-FFME
Jour 0 : les formalités
À la douane, grosse déception. Pas le moindre petit tampon post-Brexit dans nos passeports d’outre-Manche. Heureusement, le premier fish and chips du séjour tombe à point nommé pour nous réconforter. Tout le monde valide cette première acclimatation culinaire sans encombre ; on repart sur une bonne lancée.
Jour 1 : prendre la température.
Aujourd’hui la météo ne s’annonce pas fameuse (ça, on pouvait s’y attendre). A cela s’ajoute un fort risque d’avalanche, ce qui vient réduire considérablement les options envisageables pour cette première journée. Ici, les accès et les retours ne sont jamais simples et courts, et encore moins si on venait (par malheur !) à manquer de visibilité un jour. Ce sera donc l’occasion parfaite pour un repérage au Buachaille, dans le secteur de Glencoe, histoire de prendre un peu la température.
Résultat des courses : pas d’onglée à déclarer mais une équipe de 8 serpillères détrempées, dont certaines jusqu’à leur plus petite couche de sous-vêtements ! Une première journée sans avoir sorti les piolets donc, mais qui nous aura donné un aperçu du pilier convoité, et surtout du potentiel de ce ciel écossais, au cas où nous l’aurions sous-estimé… Au moins, maintenant, on sait !
Découvrir. S’adapter. Apprendre. On est aussi là pour ça.
Létitia Chomette, Buachaille Etive Mor. ©ENAF-FFME
Jour 2 – Jour 3 – Jour 4 : dégainez les câblés !
Après une telle acclimatation, les troupes sont plus que prêtes à attaquer. Armées de nos sacs étanches, gore-tex en double exemplaire, quadruples paires de gants, ainsi que de nos amis câblés et coinceurs parfois plus excentriques que mécaniques, nous découvrons les joies du mixte façon scottish. À tour de rôle on se relaie pour tracer, gratter, balayer la neige, à la recherche d’un bout de glace ou de fissure pour protéger. On apprend la patience et on savoure les paysages entre deux caprices météo.
Hormis le vent, tout est plus lent ici. Les approches, ce n’est pas l’Aiguille du Midi, et le ratio marche / grimpe, appliqué aux conditions du moment, n’est pas toujours des plus rentables. Mais ça tombe bien, on est aussi là pour ça ! Découvrir. S’adapter. Apprendre. Si on avait voulu faire dans la simplicité, on serait restées à la maison à guetter le créneau de beau pour aller répéter les dernières courses fraichement postées sur les réseaux sociaux. Ici, sans nos repères, on tâtonne entre les différents sites météorologiques et on épluche cartes et topos à grand renfort de traducteur et de convertisseur d’unités de mesure. À notre agréable surprise, le ciel ne sera jamais aussi ingrat que lors de notre premier jour d’acclimatation et on constatera que chaque averse précède et suit une éclaircie. Comme le dit le dicton, « en Écosse, si tu n’aimes pas le temps qu’il fait, attends 5 minutes ».
Les locaux rencontrés dans la convivialité d’un relais partagé (et rarement équipé) sont toujours d’une joyeuse compagnie, et nous décrivent leur vision et leur pratique de la montagne. De jour en jour, les conditions nivologiques se tassent, et après avoir visité plusieurs secteurs des Cairngorms (au nord), et être retourné à l’assaut du pilier nord du Buachaille sous de meilleurs hospices qu’au premier jour, un créneau se dessine sur le Ben Nevis pour notre dernier jour de grimpe. Cela aurait été tout de même un peu triste de passer la semaine à quelques miles de la « montagne qui a la tête dans les nuages », sans aller la fouler de nos crampons et piolets.
Le Ben Nevis : une journée de celles qui nous flanquent au visage des sourirEs figés, envoûtéEs par cette obstination partagée de l’inutilité.
Jour 5 : Ben Nevis
Nous voilà donc parties en direction du Ben, deux équipes de quatre et deux itinéraires plutôt typés arêtes, les conditions de glace n’étant pas suffisantes pour se jeter dans la magnifique face Orion. Des conditions au décor Patagonien, pour ne pas dire Himalayen, avec ce rocher tout de givre vêtu et ces arêtes effilées de neige immaculée. Une journée riche en expériences et en émotions pour chacune d’entre nous. Une journée de celles qui nous flanquent au visage des sourires figés, envoûtées par cette obstination partagée de l’inutilité, et grisées par la blanche beauté de ces lieux inhospitaliers.
Une fois n’est pas coutume, Marie profite du soleil en face sud de Lucher’s crag, Cairngorms. ©ENAF-FFME
Mystique tower ridge, Ben Nevis. ©ENAF-FFME
Infos pratiques | Écosse
Par Jonathan Crison
Se rendre dans les HighLands : Vol Easy jet vers Edimbourg puis 3 heures de voiture jusqu’à Fort William. Vols Entre 150 et 200 euros. Ou en voiture en traversant l’Angleterre après un Ferry Calais-Douvre.
Camp de Base : la petite ville de Fort William, capitale de l’outdoor écossais, est idéalement placée pour rayonner vers les différents spots.Â
Les Spots
Pour un trip d’1 à 2 semaines, il y a largement de quoi s’occuper sur ces secteurs majeurs :
- Les Cairngorms : un massif plus à l’est avec des voies généralement courtes. Une belle entrée en matière et une bonne alternative aux options suivantes lorsque les conditions sont avalancheuses. 1h 30 de voiture depuis Fort WilliamÂ
-  Glen Coe : Une grosse concentration de voies avec différentes possibilités pour s’adapter aux conditions. 45 minutes de voiture de Fort WilliamÂ
- Creag Meagaidh offre moins de possibilités mais vaut le détour.Â
- Le Ben Nevis : Immanquable… Une ambiance incroyable. Ne pas sous-estimer les descentes, surtout par mauvais temps. 10 minutes de voiture depuis Fort William. Un refuge (CIC hut) idéalement placé au pied des voies peut vous accueillir, mais la réservation est indispensable.
Topos
« Scottish Winter Climbs » du Scottish Mountaineering club présente une bonne sélection et des informations précises sur les principaux voies et spots des Highlands.
« Chasing the ephemeral » de Simon Richardson, présente une sélection de 50 voies de mixte écossais, et surtout, comment « chasser » les bonnes conditions pour ces voies.
Cartes
Les cartes au 1 :25 000 ème se trouvent facilement dans les magasins de sports de Fort William. Pour une quinzaine de livres, le modèle étanche vous rendra bien service !
Points particuliers matosÂ
Certains équipements peu utilisés en France trouveront en Ecosse de belle occasions d’être sortis :
Lorsque les fissures sont gelées, les coinceurs mécaniques fonctionnent parfois mal. Les coinceurs dit « excentriques » très utilisés par nos voisins outre-manche offrent une alternative intéressante.Â
Les « ancres » à neiges permettent parfois de se protéger plus ou moins efficacement alors qu’il est difficile de trouver d’autres protection.Â
Les Pitons de type « bird beak » et autres ancres à rocher fonctionnent plutôt bien dans les fissures fines gelées.
Penser également au crochet à lunule… Parfois l’épaisseur de glace n’est pas suffisante pour une broche, mais on peut arriver à bricoler une lunule convenable.
Et pour les jours de vraiment trop mauvais temps ou de repos : pour changer des pubs, la distillerie de Fort William mérite une visite.
L’équipe ENAF de la FFME 2019-2021
Laetitia CHOMETTE, Amandine CUNY, Caroline MAILLET, Elsa SALMON, Létitia TOURT, Marie ZELLER. Encadrants Jonathan CRISON et Lise BILLON, guides de haute montagne.