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Himalayiste, guide et secouriste : François Cazzanelli, la polyvalence au plus haut niveau

Athlètes La Sportiva 2/3

François Cazzanelli, athlète La Sportiva. ©J.Chavy

Guide et secouriste à Cervinia, François Cazzanelli est avant tout un alpiniste hyper polyvalent, capable de grimper l’Ama Dablam en une poignée d’heures, ou du huitième degré en face sud du mont Blanc. En 2022 il s’est illustré une nouvelle fois en Himalaya avec une ascension du Nanga Parbat en 20 heures sans oxygène. Une croix de plus pour celui qui n’imagine les 8000 qu’à la journée, et dont le sourire n’empêche pas le franc-parler. Interview réalisée lors du meeting La Sportiva dans les Hautes-Alpes.

Comment a-t-on un jour envie d’aller vite sur des sommets à 8000 mètres d’altitude ?

François Cazzanelli : J’ai commencé à faire des expéditions sur les 8000 quand j’étais très jeune, parce que mon mentor était Marco Camandona, qui a gravi 12 des 14 8000 sans oxygène. J’ai donc commencé l’Himalaya avec lui. Lors de la première expé, j’étais sur un 7000 et on a ouvert une nouvelle voie dans l’ouest de la chaîne himalayenne. Mais je n’avais pas eu un bon feeling, mon corps n’avait pas bien ressenti cette expé.

Ensuite je suis allé au Kangchenjunga, j’avais 24 ans et vraiment aucune expérience. C’était la catastrophe. J’ai atteint 7800 mètres, mais en rentrant je ne voulais plus entendre parler des 8000 ! La même année, je suis allé en Patagonie et j’ai grimpé le Cerro Torre. C’était plus technique et ça m’allait mieux.

En 2018, j’ai gravi l’Everest avec un client, avec oxygène. J’ai pris de l’oxygène à partir de 8300 mètres. Six jours après, j’ai gravi le Lhotse sans O2. C’est là que j’ai réalisé qu’il était possible pour moi de faire un 8000 rapidement. Je suis allé en Alaska pour grimper en one push la voie Cassin. En 2019, j’ai gravi le Manaslu rapidement, et pour moi ça a vraiment été une révélation. 

Mon ressenti avec l’altitude a complètement changé au fil des années. J’ai mûri par rapport aux gros efforts. Pour moi, grimper vite est naturel.

Mon ressenti avec l’altitude a complètement changé au fil des années. J’ai mûri par rapport aux gros efforts, mon corps a vraiment changé à partir de 25 ou 26 ans, c’est à ce moment-là que j’ai aussi appris ma façon de faire, mon système d’acclimatation, … Pour moi, grimper vite est naturel. Je déteste dormir dans les tentes, rester dans les camps et avoir des gros sacs. J’aime grimper vite, je l’ai beaucoup fait dans le massif du Mont-Blanc, sur le Cervin, dans les Alpes, donc c’était très naturel pour moi de transposer cela en Himalaya.

Parle-nous de l’Ama Dablam ?

Je l’ai gravi en 5 heures et 32 minutes, du camp de base au sommet (presque 7000 mètres). Je n’étais pas gêné par toutes les personnes qui le grimpent parce que je suis parti tranquillement quand elles étaient déjà en train de redescendre. Je ne connaissais pas cette montagne, donc le challenge était de la grimper à vue. J’arrivais d’une autre expédition – dans laquelle j’ai grimpé le Tengkempoche. C’était le challenge de l’expédition mais j’avais encore une semaine et j’étais curieux de voir et faire l’Ama Dablam.

Et le Nanga Parbat ? 

Je l’avais en tête parce que je suis parti avec un gros projet l’été dernier : grimper à ma manière – donc vite – le Nanga Parbat, le Borad Peak et le K2. Pour moi, mon temps sur le Nanga est bon, mais pas le meilleur qu’on puisse faire. J’ai fait un bon temps mais j’ai dû faire des choix pour ma sécurité, le Nanga étant un sommet technique, avec des gros risques de chutes de pierres par endroit. On ne peut pas passer à n’importe quelle heure et il faut respecter ça. Je me suis donc adapté et ça m’a conditionné sur le timing. J’étais quand même vraiment content, c’était la montagne parfaite pour cet été. 

L’Ama Dablam à la demi-journée pour François Cazzanelli. ©Jocelyn Chavy

François Cazzanelli, en dry à Aiguilles, Queyras. ©Jocelyn Chavy

Que penses-tu des sommets à 8000 mètres d’altitude ?

Je trouve que c’est le bazar maintenant, à cause du monde. Je ne suis pas contre ce monde, parce que c’est la même chose pour nous dans les Alpes. Et les gens ont le droit de venir faire la même montagne s’ils en ont l’envie, et les peuples qui vivent dans les montagnes les plus hautes de la terre ont donc le droit de vivre du tourisme, comme nous l’avons fait nous. 

Ce qui me fache, c’est qu’on n’arrive plus à donner une réelle distinction entre l’alpinisme et le tourisme d’altitude. Les gens qui font le sommet avec ox, les 8000 commerciaux, … Ce n’est plus de la montagne, c’est du tourisme.

Au niveau des médias grand public, peu importe ce qui est réalisé, s’il a une belle photo, on annonce qu’il est arrivé au sommet, avec oxygène et sherpa pour le porter la plupart du temps. Mais ce n’est pas de l’alpinisme, c’est du tourisme ! Faudrait-il mettre en avant chaque personne qui fait le mont Blanc avec un guide ?

On n’arrive plus à donner une réelle distinction
entre l’alpinisme et le tourisme d’altitude

Lors de votre expé au Pakistan, vous vous êtes adaptés et vous avez pu pratiquer l’alpinisme comme vous le souhaitiez ? 

Au Nanga Parbat, le jour du sommet, il n’y avait pas grand monde sur la montagne. Elle n’était pas équipée du tout sur la partie haute, il y avait des cordes fixes jusqu’à 6200 m. seulement. J’ai trouvé ça extraordinaire. C’était une montagne vierge, sans personne. J’avais l’idée de faire l’ascension en vitesse et ça a marché. C’est mon plus beau souvenir de cet été.

Le Broad Peak était presque parfait aussi. Mais j’ai dû renoncer parce qu’un homme est tombé et est mort devant moi. Je suis parti du camp de base du K2, je suis redescendu au camp de base du Broad Peak et j’ai commencé à grimper. Je suis parti avec l’alpiniste français Benjamin Védrines. Il a d’ailleurs fait une performance extraordinaire, c’est une machine. On a deux styles différents : lui avait tout étudié, déposé du matériel, etc. Moi je voulais monter à vue, avec juste mon matériel dans mon sac à dos. Quand on est partis sur le Broad Peak, j’ai vu Benjamin partir à bloc et je me suis dit « Mince, on est de retour à la Pierra Menta ! » Il est parti à son rythme, moi j’ai grimpé au mien. J’étais bien, j’étais au rocky Peak à 8035 mètres, soit 12 mètes plus bas que le vrai sommet, après 12 heures d’effort.

François Cazzanelli à Aiguilles, Queyras, janvier 2023. ©Jocelyn Chavy

Mais il y a eu cet accident…

Oui, nous étions sur une arête, lui en face de moi, il descendait. J’étais le dernier à monter, j’étais parti tard. Je l’ai laissé passé en premier en désescalade. Il a fait un mouvement, son sac a touché le rocher et ça l’a fait tomber. J’ai tout de suite compris qu’il était mort, il y avait une face de 1000 mètres en dessous. J’ai vécu des situations compliquées, j’ai vu des gens tomber dans les Alpes, mais là, à 8000, c’est quelque chose qui m’a vraiment bloqué.

J’ai commencé à le chercher, j’ai pris mon piolet et je suis descendu 100 mètres dans la face. Mais ensuite je me suis dit « Eh Franz, qu’est-ce que tu fais, tu veux mourir ? » Donc je suis remonté sur l’arête et j’ai attendu. J’ai instinctivement regardé ma montre : une heure s’était écoulée. J’étais resté une heure à le chercher. À la radio les copains du camp de base m’ont dit de redescendre, ce que j’ai fait. Je suis guide de montagne, secouriste, et l’unique solution envisageable à mes yeux à ce moment-là c’était de chercher ce qu’il lui était arrivé… et de redescendre.

Il a fait un mouvement, son sac a touché le rocher
et ça l’a poussé en avant.
J’ai tout de suite compris qu’il était mort.

Comment définis-tu cette fine limite entre ce qu’il faut faire et ne pas faire en montagne ? Continuer ou rentrer, renoncer ? Est-ce l’expérience en haute montagne ?

L’expérience est le plus fondamental. Il faut également écouter son instinct, je trouve que c’est ce qui trompe le moins. Et rester lucide ! Je me souviens avoir grimpé en vitesse avec Kilian Jornet vers chez moi dans le Val d’Aoste et à la fin il m’a dit « aujourd’hui on a fait toutes ces grandes arêtes désencordés, mais on était tout le temps lucides, on n’a jamais dépassé de limite.” C’est ça le vrai challenge des gens qui grimpent en vitesse : ne jamais pousser trop pour dépasser ses limites où tu perds la lucidité. C’est la même chose dans les Alpes et l’Himalaya.

Tu es bon partout, touche à tout. A l’heure actuelle, tes challenges les plus importants se font plutôt en très haute montagne?

Pas nécessairement, je trouve qu’un projet doit m’inspirer, première chose. Que ce soit en rocher, mixte, vitesse, enchainement, il doit m’inspirer.  Je suis ma fantaisie, à mes yeux un alpiniste doit garder la fantaisie, la créativité, l’imagination. Faire quelque chose qui n’a pas encore été imaginé par les autres, j’aime bien ça ! Et ouvrir de nouvelles voies.

Tu as fait l’Ama Dablam en solo parce que personne n’a pu venir ou parce que tu préfères être seul ?

En réalité, je n’aime pas spécialement le solo. Sur l’Ama Dablam, c’était un solo sans en être un : j’ai croisé des personnes tout le long de la montée. Sur le Nanga, j’ai passé beaucoup de temps seul. Ça avait été difficile de trouver la motivation de partir, et mes copains étaient partis deux jours avant. Le pire pour moi, c’est de partir en solo dans la nuit noire. Mentalement, c’est dur. 

Je fais tous mes projets de vitesse avec un copain. Avec Andreas Steindl (de Zermatt), on a déjà enchaîné les quatre arêtes du Cervin, l’arête Signal sur le mont Rose etc. J’aime être en montagne et rencontrer des gens, varier les copains de cordées etc. Chez moi, on a créé un groupe fort avec une jeune équipe de motivés. C’est bien parce qu’on a toujours quelqu’un pour partager des projets en montagne. C’est une des choses qui rend l’alpinisme unique.

François Cazzanelli, à vue dans les dry de Aiguilles. ©Jocelyn Chavy

Tu as plusieurs activités : professeur, guide, secouriste, alpiniste. Mentalement, faire des activités à engagements variés permet aussi d’avoir un équilibre personnel nécessaire ?

Je pense que j’ai besoin d’aller en montagne, de rester en montagne et de grimper. Mais quand j’ai fini un nouveau projet personnel, j’ai envie de retrouver mes clients et de sociabiliser, d’avoir des journées avec les élèves guides qui me stimulent. J’aime aussi beaucoup le secours en montagne. En Italie c’est différent qu’en France : on fait 2 ou 3 journées par mois dans la Vallée d’Aoste, payé à la journée. Et chez moi, pour être secouriste, il faut être guide. Tu as un probatoire, une année d’école et un examen final.

Je fais du secourisme pour redonner quelque chose
à la communauté dEs alpinistes.

Tu as toujours voulu faire secouriste ? 

Je pense que je fais du secourisme parce que j’espère que si jamais j’ai besoin de secours une fois dans ma vie, il y aura quelqu’un de motivé et de préparé comme j’espère l’être moi. C’est un peu redonner quelque chose à la communauté des alpinistes. Je trouve aussi que pour un guide, ça offre plus de professionnalisme, de rigueur.

Et puis, ce que j’ai aimé en commencant, c’est que l’on n’est pas focalisé totalement sur la montagne. En vallée d’Aoste, on fait un peu tous les services, parce que la région manque de structures médicales. Parfois on va recupérer des personnes âgées, des cyclistes, des grimpeurs. Il y a un côté social que j’aime énormément, en plus du travail en équipe. Et puis je laisse un peu la montagne comme je la connais tous les jours, c’est un autre métier. Je dois me concentrer !

Quels sont tes futurs projets ? L’Himalaya, le Pakistan ? Pour des 8000 ou pour grimper ?

Oui, au Pakistan pour grimper ! Mais je ne dis jamais mes projets avant de les réaliser ! L’Everest est sûrement la montagne qui me fait le plus rêver et j’aimerais y retourner parce que j’y étais avec oxygène et avec des idées différentes. Une autre montagne qui m’a toujours fait rêver est l’Annapurna, la face sud. J’aimerais bien l’essayer un jour ou l’autre.

J’aimerais faire des projets que je n’ai encore jamais faits de ma vie. Par exemple grimper des big wall dans le grand nord, au Groenland. J’aimerais aussi faire le K6 au Pakistan. Mais il y a plein d’autres sommets aussi ! Le Nuptse, la face sud du Shishapangma, retourner au Chamlang, …

Qu’est-ce qui t’inspire dans le milieu de la montagne ?

Un des alpinistes qui m’a vraiment inspiré est Erhard Loretan. Il était très rapide et, comme moi, guide. Ses voies sont mythiques et ont marqué l’histoire de l’alpinisme en Himalaya. Ueli Steck nous a également tous inspirés d’une certaine manière. Ou encore Steve House au Nanga Parbat.

Citer Bonatti, Messner etc, c’est trop simple (rires) ! J’ai trouvé beaucoup d’inspiration dans les personnes proches de nous, Christophe Profit par exemple, que je connais. Je le trouve incroyable. Et Simon Anthamatten ! Et des personnes qui ont trouvé leur voie, leur vie en montagne comme Gian Carlo Grassi qui a découvert l’escalade sur glace. 

François Cazzanelli, avec les LaSportiva G-Tech aux pieds. ©Modica Visuals

Comment te vois-tu dans 30 ans ?

J’espère toujours être actif, garder ma vie et ma passion pour l’alpinisme. Je pense que je verrai les choses différement, mais j’espère aussi continuer à donner des cours. Devenir coordinateur de stages guides dans la vallée d’Aoste, pour passer l’expérience que j’ai accumulée aux jeunes.

Né à Aoste j’ai passé ma vie à Cervinia, donc c’est naturel d’aller skier. J’ai commencé avec le ski alpin, puis je suis passé au ski alpinisme. J’ai fait des années de compétition, 5 ans dans l’équipe d’Italie, j’ai gagné des médailles aux championnats du monde, des étapes de coupe du monde… Ça m’a permis d’avoir de l’endurance. Ensuite, j’ai compris que je préférais grimper !

L’année dernière, pour me préparer à l’expédition, j’ai fait des compétitions à pied, des Verticales races, etc. J’ai bien aimé parce que ça m’a donné de la motivation pour aller courir, et c’est moins exigeant que le ski : je prends les baskets et j’y vais. Mais le ski alpinisme reste une passion, quelque chose que je ressens. Mon rôle dans le ski alpinisme a d’ailleurs un peu changé : avant j’étais un athlète, maintenant je suis rentré dans l’organisation du trophée Mezzalama, la grande course du mont Rose. Je suis content parce que je trouve que c’est une évolution naturelle et que je donne au ski alpinisme qui m’a beaucoup donné.

Il faut du respect entre la montagne,
le guide qui t’emmène, et toi-même !

Quel est le conseil le plus utile que tu donnes à tes clients en tant que guide ?

Qu’il faut aller en montagne pour s’amuser. Ce n’est pas le médecin qui nous prescrit d’aller en montagne, et c’est très important ça. Il faut rentrer à la maison avec des beaux souvenirs.

Évidemment, quand on s’engage, il faut se préparer. Je dis tout le temps aux gens que j’arrive préparé physiquement et techniquement. Pour que les gens puissent profiter de la montagne, il faut l’être. Les gens doivent arriver préparés pour avoir la plus belle montagne possible, et de la manière la plus honnête possible. Il faut du respect envers la montagne, le guide qui t’emmène, et toi-même !

La nouvelle La Sportiva G-Summit.

La chaussure de François Cazzanelli :

la G-Summit de La Sportiva

« Pour moi c’est une chaussure qui change les règles du jeu : c’est plus léger, c’est précis, tu as facilement la possibilité d’avoir une version plus thermique plus précise, en 30 secondes, en changeant le chausson intérieur pour un chausson plus épais. Quand tu mets le « liner » fin, tu ajoutes une semelle pour ajuster le volume et le tour est joué !  » explique François Cazanelli, qui passe de la G-Tech à la G-Summit quand il grimpe en altitude.

La G-Summit est légère et très précise. « On a vraiment l’impression de grimper avec les chaussures qu’on avait il y a des années dans les Alpes. Au Pakistan, j’ai utilisé cette chaussure, et l’un ou l’autre des chausssons intérieurs. J’utilisais les deux en fait. Par exemple c’est pratique pour le bivouac, tu peux mettre le liner plus grand dans ton sac en plus. Tu es plus confort. Le liner est très léger ; je n’hésite pas à emporter le deuxième.« 

La G-Summit est la déclinaison thermique de la nouvelle G-Tech de La Sportiva.