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Glace ou rocher à La Grave : faut-il choisir ?

"Princesse poufiasse" : voie double en Oisans

Rocher, cascade de glace : une seule ligne ©Thibault Cattelain

Avez-vous déjà escaladé le lit d’une cascade de glace lorsque cette dernière a disparu sous la chaleur printanière ? C’est l’expérience tentée à La Grave, en mars dernier, par Thibault Cattelain. Après avoir gravi en janvier une ligne de glace très rarement parcourue, il découvre au même endroit, deux mois plus tard, une escalade rocheuse de caractère. Tellement qu’il rééquipe la ligne pour qu’elle puisse être gravie l’hiver en glace, et l’été en grimpe trad. Utile ? C’est un jeu, du partage, des moments de plaisirs en Oisans. Récit et topos !

Nous sommes en janvier 2022. La saison de la cascade de glace bat son plein, avec son lot d’inversements de températures tendancieux. Au cours d’une de mes descentes dans la vallée de Malaval (La Grave), je m’aperçois qu’une ligne de glace non répertoriée s’est formée dans le versant sud de la vallée, pile en face de la cascade Érection

Curiosité maximale : je me renseigne.

La ligne : un premier ressaut (au centre), une vire, et la partie haute dans l’axe, ici formée ©Thibault Cattelain

La ligne n’a gelé que très peu de fois

Benjamin Ribeyre me dit avoir escaladé cette cascade il y a une dizaine d’années. Il ne pense pas avoir été le premier, mais comme moi, il ne sait pas qui a pu l’être dans le passé, ni quand. François Damilano semble ne pas savoir non plus. C’est peu dire, parmi tous les glaciéristes français, ils sont de ceux qui connaissent le mieux cette vallée de Malaval et son histoire glacée. Une chose est sûre : la ligne n’a gelé que très peu de fois.

Elle est là, aujourd’hui, formée. Alors que les cascades voisines des Étoffes, des Moulins, de Caturgeas, pourtant bien plus classiques, ne semblent pas être fréquentées. J’ai la chance d’être disponible, il faut essayer.

Une cascade plutôt technique 

Le départ est prévu avant l’aurore, le perforateur en fond de sac, la drisse de hissage accrochée à l’arrière du baudrier. Je ne sous-estime pas le temps que peut nous demander cette escalade.

Le premier contrefort est long et difficile à négocier, car les 20 premiers mètres ne sont pas vraiment en condition. J’évolue sur des œufs, à moitié les mains sur un rocher recouvert de neige inconsistante, à moitié les piolets dans des placages de glace verticaux très fins. Bref, le jour se lève, on est plus que réveillés, on a rejoint de la belle glace et on sort rapidement du contrefort pour remonter la vire médiane menant au pied de la partie principale.

En échangeant des regards avec Tim, qui ne semble pas à l’aise, je note assez rapidement qu’il me faudra tout faire en tête. Ce n’est pas grave, je me sens psychologiquement en forme. On continue !

goulotte magnifique et placages délicats

L3, ou L2 de la partie haute ©Coll. T. Cattelain

Attaque de la partie haute. On devine le départ de L3 plus haut ©Coll. T. Cattelain

Une longueur encore un peu creuse nous amène dans une cavité mi-rocher mi-glace, dans laquelle on fait relais. C’est le début d’une goulotte magnifique en glace, puis d’une succession de petites longueurs raides entrecoupées de placages délicats à protéger. On tente de hisser le perforateur, ce dernier s’échappe et dégringole. Le soleil nous rattrape. Tim ne se sent pas de continuer. Un peu frustré, certes, je respecte son choix. On redescend.

Deux jours plus tard, la cascade est toujours là et j’ai sous la main deux seconds de cordée prêts à s’engager dans l’aventure avec moi. Entre la première et la deuxième journée, aucun doute, l’engagement dans les longueurs n’a pas diminué d’un iota. En l’état, lorsque l’on quitte les parties raides de glace, il faut accepter d’avoir de l’air sous les pieds, dans des placages de neige ou de glace un peu douteux, sans véritables protections. Sections faciles, certes, mais psychologiques.

un nom et des cotations

J’ai découvert ce jour-là ce qu’est la consommation de la montagne, instagramable de surcroît, en baladant dans une belle et unique aventure des gens fondamentalement aussi mauvais que mes placages. Pour qui le nombre de like a plus d’importance que le respect et l’humain (NDLR : La vie d’une cordée n’est pas toujours un long fleuve tranquille. C’est ce que rappelle Thibault, sans accusation nominative, dans ce passage que nous avons jugé intéressant de garder).

Aujourd’hui, bien loin de la poufiassitude des réseaux, reine de nos ébats verticaux qui a donné son nom à la voie, je suis simplement heureux et fier d’avoir reparcouru cette cascade en installant des relais et des rappels, dans l’espoir qu’elle puisse être grimpée à nouveau dans les hivers à venir. Croisons les doigts !

Je n’ai aucune prétention d’avoir « ouvert » une cascade de glace, loin de là (cette dernière ayant déjà été escaladé dans le passé). Je lui ai donné un nom et des cotations, car elle fait partie de ma vie de glaciériste et de mes expériences, mais rien n’est figé et imposé. Je respecterai toujours le travail des ouvreurs, ainsi que l’histoire, quoi qu’il arrive et quelles que soient les époques. Si des lecteurs.rices ont des informations sur cette ligne – ou si vous avez la chance de la grimper à nouveau un jour – n’hésitez pas à me contacter. Je ne serai pas le seul à être ravi d’en apprendre davantage !

 

Retour fin mars, c’est l’été. Ici au départ de la voie ©Coll. T. Cattelain

Dans L5, ou L4 de la partie haute ©Coll. T. Cattelain

L’été

On en revient donc à la question de départ. Un brin philosophique, mais relativement pertinente. En cherchant un projet, d’intérêt un tant soit peu général, et en constatant que la ligne de glace en question a laissé place à une paroi sèche plutôt attirante, je me suis demandé s’il était possible d’ouvrir une grande voie rocheuse en terrain d’aventure à la place de cette dernière. C’est ainsi que pendant ce mois de mars particulièrement estival, je me lance seul – et plein d’espoir – dans une grande face imposante de l’Oisans, pour une ouverture par le bas. Mon objectif est de suivre le tracé exact de la cascade de glace.

J’achemine au pied du contrefort une grande quantité de matériel (cordes statiques, cordes de grimpe, friends et cablés en pagaille, pitons…). Pour me simplifier un peu plus la tâche, j’ai décidé de ne pas avoir recours au perforateur. J’utiliserai donc uniquement des protections amovibles, et si jamais je me retrouve à buter sur une section improtégeable, je m’autoriserai l’usage du tamponnoir.

Je retrouve à chaque relais les goujons
qui ont servi pour l’ascension de la cascade

Je quitte le sol avec un baudrier aussi lourd qu’un char d’assaut.

N’étant pas suicidaire, et sachant pertinemment que les longueurs s’annoncent raides, je m’auto-assure en permanence. La corde d’escalade est fixée au relais du dessous, je grimpe en posant les protections et en suivant l’itinéraire de la cascade, et lorsque j’arrive au relais suivant, je fixe ma corde. Je redescends la libérer du relais précédent pour la récupérer et continuer ensuite l’ascension. Puis je remonte en hissant une autre corde, statique cette fois-ci, qui me permettra de revenir jusqu’à mon dernier point d’avancement le lendemain.

J’évolue relativement vite, car le rocher est finalement plutôt bon, l’escalade facile et agréable. Tout se protège bien, et je retrouve à chaque relais les goujons qui ont servi pour l’ascension de la cascade en janvier. C’est une belle aventure rocheuse, qui a le mérite de donner naissance à une ligne homogène, et de m’offrir une thérapie gratuite de concentration et de recentrage. Il me faut trois jours pour atteindre le sommet de la face.

5c obligatoire, 6a/b max

Conclusion ? Avec la version rocheuse, on doit être à peu près sûr de pouvoir grimper à nouveau cette fameuse ligne… Alors si vous aimez les voies Cambon, l’escalade trad et que vous rêvez de grimper du caillou plutôt sain au milieu d’un cairn gigantesque, vous ne serez pas déçus !

Le niveau est accessible et homogène, dans le 5c obligatoire pour une difficulté max évaluée à 6a/b. Faites-vous plaisir mais tout de même attention, il s’agit de terrain d’aventure en Oisans…

 

Quelques images en vidéo et TOPOS détaillés ci-dessous

 

 

Topo version hiver ©Thibault Cattelain

Topo version été ©Thibault Cattelain