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La Bénévole : Martine Raymond

ILS FONT LE TRAIL #5

©Geoffrey Meuli

Avitailleur Omnipotent, Force Vive du Sourire, Aide Isotonique. Réceptacle de mauvais poil(s), Assujetti volontaire, Esclave enjoué. Magicien du gobelet, meilleur Tuc de France. C’est Maman d’intérim, qui y croit – quand moi j’y crois plus : Bénévole. Or, même les invisibles ont leurs figures : Martine Raymond en est une.  
Alors qu’est-ce qui la meut ? Quand le don de soi passe de pipeau à réalité, écoutons l’histoire de Martine, bénévole. Rien qu’un chapitre.

Être remarquée dans le monde des Discrets ? c’est dire si sa célébrité frappe, et la gêne tout autant. Dans béné-vole, coule un drôle de miel. Ce serait un bon. Un Juste, un pur – c’est le latin qui le dit. Et puis surtout, il rempile avec bonne volonté. Rien qu’à l’étymologie, on le canoniserait. Et justement, Dieu sait s’il s’en prend plein la poire – parfois. On se reprend vite et surtout « Merci les bénévoles » ! : la phrase Politically Correct du dimanche. Alors Martine, pourquoi tant d’efforts ? 
Aider un champion sale, retrouver les copains, l’after en salle des fêtes ? Sûr qu’elle a long à nous dire, quand tous vous ont confirmé : « rencontrez Miss Raymond ». D’élites à organisateurs, ils sont unanimes. 

Avec elle, ses 40 courses et 250 jours/an, on aborde la Ligue 1 du volontariat.

Tous nous l’ont dit, et sans se concerter. « Une bénévole ? Martine ». 40 évènements à votre actif, Madame la volontaire ? 

Martine Raymond : Pas facile d’être autant mise en avant. Comment je fais ? Gros effort, allez, on ne me verra pas rougir dans un texte. Tous ceux qui me citent aussi spontanément sont adorables. D’abord, chapeau pour leur mémoire ! Mais mettons de suite les choses au point : je, c’est nous. Et nous, c’est un collectif. En tant que bénévole, volontaire, etc, quelle que soit l’appellation, j’insiste et sans langue de bois. Ça me semble être la définition même de tout volontariat. Notre but, c’est de se mettre au service de, et notre plaisir est là – car on le vit ENSEMBLE et POUR. Pas un sacerdoce, juste une pratique comme il y en qui aiment le Scrabble, le trail, l’humanitaire.. Alors pour mes chiffres, 40 rdv ? Oui, j’en suis à peu près là, mais tu noteras mon âge certain : or à 66 ans, rien que les années en plus m’aident à avoir couvert plus que courses que d’autres !

On a donc pu te croiser un peu partout en France… 

MR Mon Auvergne de cœur, il est vrai que j’ai été voir un peu au-delà de ses clôtures, mais j’y garde un pied ferme. Mes déambulations bénévoles vont et viennent au gré des collines et rdv de France…UTMB, Marathon du Mont Blanc, Trails du Sancy, Améthyste, Royat Urban Trail, EcoTrail de Paris, Serre Che Trail, Grand Raid des Cathares, UTPMA, Roc de la Lune, le Vulcain, la Volvic VVX, Traversée de la Vallée Verte…Les France du Mont Dore, Mondiaux à Cham’…et puis des triathlons, marathons, on saupoudre de beaucoup de basket, de hand ou d’aviron. Sans oublier bien sûr, cette Transmassif. Ah, celle-là…Tu auras du mal à ne pas m’en faire causer. J’y suis encore, je crois bien.

J’ai toujours aimé la face cachée des grands rdv sportifs. curiosité de frustrée ? JE NE PENSE PAS. chasseuse d’autographes, très peu pour moi !

Quand et pourquoi débute ton engagement bénévole ? 

MR : J’ai toujours aimé la face cachée des grands événements sportifs : la logistique et l’organisation, la ruche de l’ombre et son résultat visible, oui. Il y a une magie dans cette tambouille infernale, dont on ne suppose qu’un millième et dont on ne voit que le rôdé, le souriant, l’actif…Et puis, il y avait ce handicap de naissance. Mon bras atrophié, et une limite imposée en tout. Du genre « tu feras moins que les autres, et tu feras ce que tu peux. Et c’est déjà bien. Et c’est comme ça. ». Définitivement, ça pousse à être un peu casse-cou. Par chance, mes parents m’ont toujours laissé faire, tester les limites, physiques notamment. Enfin, deux choses me guident dès l’enfance vers ces rdv sportifs où « ça bouge » : la passion du groupe (exprimés dans les sports co’, le travail d’équipe, le « faire ensemble ») ; et le besoin vital d’être dehors. Tout commence ainsi, et va s’enchainer logiquement…les valeurs du sport au centre. Transmassif, on disait ? (Rires)

Sports Co, et…Transmassif. L’histoire commence donc ainsi ? 

MR Il y a le tennis, le basket. La découverte de l’athlétisme, le dur de la piste et son univers passionnant en 2008. On se rapproche de la foulée, tu noteras…Et puis, oui, un Raid Transmassif. Et là, le choc. Piqure profonde. Un certain Erwan Rioual, que je croise par hasard en stoppant ma voiture, en voyant passer des raideurs un beau jour. On cause, il voit visiblement que je suis partante, du moins sacrément-potentiellement intéressée pour donner un coup de main. Participer, aider, soutenir, je m’en fous ! En être, quoi. C’était dingue. De la méditerranée au Puy de Dôme, le plus ancien et long raid d’orientation français. Spectatrice, je montais au Puy de Dôme mais très vite je regardais les gens courir de partout, l’orga qui speedait…Etc. Banco pour moi, j’intègre l’équipe bénévole ! et un beau jour : plus de budget. J’entends parler des Trails du Sancy depuis un moment, j’y vais…et l’histoire continue depuis.

Ironman et câlin, évidence.© Coll. Martine Raymond

Que se passe-t-il alors : serait-ce une façon de vivre à travers les coureurs, ou de transcender le handicap ? 

MR Question franche, tu as raison. Réponse immédiate ? j’ai failli crever à la naissance, alors ça motive à tout vivre intensément ! Pas bébé mort-né, mais inconsciente. Je pense qu’un certain feu intérieur me vient de là. Je ne viens pas pour assouvir un manque de people, ou de flonflons de podiums, crois-moi. Comment décrire ma motivation, qui est celle d’une grande majorité de volontaires ? C’est sûr qu’avec l’aspect haut niveau, un trail désormais médiatisé, des Kilian que l’on voit défiler du JT jusqu’aux papiers glacés, etc, il y a toujours une curiosité à les côtoyer – même de loin. Mais je me pense venir pour donner, rencontrer, et apprendre. Je repars nourrie, cultivée, et murie d’un cran supplémentaire. En prime, ce sont des amitiés, et des leçons à la pelle. Enfin, il se passe toujours quelque chose qui te fera dire «bon, le genre humain n’est pas (totalement) pourri. » Mon but après 100 courses, restera de faire les choses avec sérieux et discrétion. Le sourire des coureurs, c’est le plus beau cadeau. A nous de les mettre dans les meilleures conditions. Simple, sur le papier, non ? Le trail me semble répondre à cette humilité. Encore en 2020…

parmi nous, je n’ai jamais vu des fans déguisés ou des dépressifs qui s’ignorent

Penses-tu que des bénévoles sont très impliqués, pour dépasser une solitude, un ennui, etc ? 

MR Je le répète, ça me gêne de parler au nom du groupe – et tous les caractères sont dans la nature, même dans notre monde « angélique » (vraiment ?) du bénévolat ! Mais parmi nous, je n’ai jamais vu des fans déguisés ou des dépressifs qui s’ignorent. De toute façon, on met nos soucis intimes au placard dès que l’on enfile notre maillot de staff. Ça va de soi, et c’est tant mieux, non ? Je ne pense pas qu’on vient pour voir les étoiles, ou dire ‘’j’en étais ». « J’ai fait tel évènement ». Certains s’investissent-ils d’autant plus que leur existence est (trop) calme voire vide ? Peut-être, et alors, je pourrais les comprendre. Mais parmi mes rencontres et sur ces 40 courses, toutes et tous restent des passionnés sincères, par loisir. Je ne saurai pas ce qui se passe lorsqu’ils rentrent chez eux, ou ôtent leur masque de volontaire ? On a tous nos vies et nos rôles à différents moments…

Est-ce une drogue dure, ce volontariat ?

MR : Que non, Je réussis très bien les breaks ! J’assouvis une passion et je reçois des cadeaux. Je ne pense pas être une illuminée.  J’enchaine des rencontres, des lieux, des leçons et des doses de bonnes ondes. Petits ou grands évènements, chaque rdv a son lot de positif et de surprise. Je ne me souviens pas avoir terminé une date en me disant « là vraiment, c’était nul et c’est la dernière fois ». Je me focalise sans effort sur le but de partager, garder toujours en tête de s’amuser, donner tout ce que l’on peut aux coureurs en étant ouvert à recevoir. Là, il y a peut-être une réponse à ta question précédente : on peut être hyper-investi, mais en gardant une capacité à recevoir, nous, bénévoles. A mon avis, c’est d’ailleurs une clef pour vivre à 200% l’évènement…et être encore meilleur.

j’ai failli crever à la naissance, alors ça motive à tout vivre intensément !

Quels seraient tes évènements les plus « forts » en sensations ?

MR : Choisir, c’est éliminer…donc pas facile de faire une short list. Quelle que soit la date et son ampleur, on donne tout, et avec la même intensité simple. Ça me semble être la base, et partagée par tous les bénévoles que je connais. Après, mon cœur bat peut-être un peu plus fort par vécu ensemble…pour un Marathon du Mont Blanc, et un Trail du Sancy. Alain Bustin, le Club des Sports de Chamonix, ça reste une grande histoire d’affection. Le Sancy, je leur dois tout, j’y ai tant appris. Mais au-delà des dates, ce sont les rencontres que l’on retient de tout ça : et ça en fait un paquet de fortes…

Dossard et accueil, là où tout commence. © Coll. Martine Raymond

Athlètes, staff, anonymes ?

MR : Un peu de tous ceux-là, et là c’est encore plus difficile de retenir quelques noms ! Si vraiment je devais garder des personnages en tête…certains me viennent immédiatement. Il y a Jean Mi (NDLR : Faure-Vincent). Je revois encore comment on s’est connus, un homme en or. Et une rare disponibilité, alors qu’il côtoie le plus haut niveau depuis plus de 20 ans, et qu’il aurait pu devenir moins accessible comme d’autres. Il y a Alain Bustin, toujours, grand poète et responsable (entre autres) de la course Kids UTMB, attaché à Chamonix, au Club des Sports. Il y a Lucie (Jasmin), ce contrôle antidopage lors d’un Marathon du Mont Blanc glacial. On attend ensemble, elle grelotte, je lui pose ma veste sur les genoux…un sourire, un merci, et une rencontre qui dure encore. Et puis un jour, une certaine Emelie Forsberg te croise par hasard à la dédicace de son livre, et te reconnait. Elle te regarde bien dans les yeux, te sourit et te dit « Merci pour tout ce que vous faites pour le trail » avec émotion. Gloups, là tu as la larme qui pointe et tu es comblée. Énorme…

Le challenge n’est pas d’être petit chef, mais d’être bon sur ta mission.

La mission de bénévole est souvent multiple. Quelles responsabilités as-tu occupées, et n’as-tu jamais pensé à en demander davantage ?

MR : Être partie d’une équipe, c’est le but. Sois bon sur ton rôle et donne-toi. Ensuite, si l’occasion se présente, de transmettre ton expérience à tes équipiers – s’ils le demandent et l’acceptent ! ça se fait sans mots le plus souvent, naturellement, simple histoire de partage et de collectif. Pour ma part, j’ai un peu touché à tout : accueil des coureurs/dossard, groupe antidopage, peu de ravitos car moins efficace avec mon handicap, signaleuse, chrono, débalisage, accueil et formation des bénévoles, etc. J’avoue que la remise des dossards et l’accueil des coureurs me plaisent particulièrement : c’est le 1er contact, les inscrits ont fait de la route, sont parfois perdus ou inquiets. Là, tu peux les rassurer, leur donner le meilleur et faire qu’ils se sentent bien. J’aime ce poste car je m’y exprime. Et énormément s’y joue, dans l’expérience et le souvenir que retiendra le coureur. 

Bonheur, bénévole ? Discrétion d’abord. © Coll. Martine Raymond

Comment vis-tu cette année blanche pour raisons sanitaires, et qu’est-ce ça va changer ou impacter selon toi ?

MR : Je suis d’abord très peinée pour quantités de petites courses. Ils y mettent tout leur cœur, en plus de leur temps ou leur budget. Je ne suis pas économiste du sport, mais j’ai peur qu’en plus d’un vrai traumatisme, les évènements mineurs ne s’en relèvent pas. Repartir, se relever à tous points de vue, tu sais c’est un vrai défi. Personnellement, je m’en remettrai bien sûr, je ne suis rien dans tout cela. Évidemment que je suis déçue, beaucoup de retrouvailles ne se feront pas…mais ça me permettra de souffler ?! Deux tiers des bénévoles que je connais sont des retraités, dont c’est le loisir principal : le vide est grand, oui, avec ces annulations. Alors focalisons-nous sur nos proches, notre quotidien immédiat ; je suis sûre qu’il y a beaucoup à faire, pour aider ou pas.

Quelle que soit la date et son ampleur, on donne tout, et avec la même intensité.

Bénévole, un poste privilégié d’observation de l’être humain ? 

MR : Oui, mais d’observateur humble-actif. Et qui en plus, reçoit autant voire davantage qu’il ne donne. C’est une leçon d’ouverture d’esprit, d’attention à l’autre alors que l’on est si souvent focus sur nous-mêmes. La diversité nous tend les bras, mais il est facile de ne pas la voir, ou de l’ignorer. Nos nombrils doivent sans doute être trop gros…Et puis n’oublions pas une chose : nous sommes les témoins du dépassement. Ces coureurs qui se dépassent, certains qui arrivent détruits ou en pleurs, usés ou à plat alors que leur course n’est parfois pas terminée. Tu aimerais les serrer un instant dans tes bras, les rassurer, leur dire bravo, ou que ce qu’ils dont déjà fait est grand. Mais tu respectes la limite, en tachant d’être encore plus au top de ton rôle. Or, là, bonjour l’apprentissage.

T’es-tu fixée une date de « retraite » ? Qu’est-ce qui pourrait te faire ralentir ? 

MR : Tant que je prendrai du plaisir, et que je pourrai satisfaire un organisateur en tenant mon poste, je continue ! La santé jouera : un jour mon énergie physique sera moindre, or l’efficacité est primordiale sur ces missions. Pour le moment, je profite de la vie, cette chance incroyable qui m’a été donnée. Vivre ! pas gagné au départ, alors je m’y emploie avec boulimie.