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Z’ont qu’à faire payer leur secours à tous ces Monchus ! 

Dimanche matin, à la table de cuisine du chalet de Mamie. Le café fume dans les tasses jaunies. L’édition dominicale du journal local traine sur la table de cuisine. Avec la toile cirée à carreaux rouges et le café dans sa boite en plastique jaune, je pourrais faire une photo Instagram version années ’50. Mais le débat est ailleurs. Le coucou tyrolien siffle 11h et me ramène en 2024. 

Les nouvelles du jour dans ce petit coin des Préalpes tournent autour de la neige qui manque, des grosses stations qui font quand même le plein de réservations et des nombreux secours héliportés réalisés le plus souvent par Dragon 74, comme tous les week-ends depuis que l’hiver très doux a transformé la montagne en patinoire. 

Dragon 38, hélicoptère de la sécurité civile en Isère, ici en opération dans Belledonne (janvier 2024). ©UL

Et il y en a pour tous les goûts : un fémur fracturé sur une piste de ski, un traileur perdu en pleine nuit, deux raquettistes « dans l’incapacité de continuer à progresser », un skieur de rando qui se fait les ligaments croisés ou encore des piétons qui glissent sur une plaque de verglas et se traumatisent le crâne. C’en est trop, n’en jetez plus ! À ma lecture de cet inventaire à la Prévert, Mamie émet un grand slurp en sirotant son kawa du bout des lèvres et me lance avec dédain : « Z’ont qu’à les faire payer tous ces Monchus ! ». 

Z’ont-qu’à-les-faire-payer-tous-ces-monchus. La phrase claque dans mes oreilles comme le coup de fouet d’une sèche rengaine. Le point Godwin des discussions sur le secours en montagne nous rattrape. Comprenez : ledit secours en montagne devrait être payant pour punir tous ces inconscients (et donc forcément Monchus, c’est à dire pas du coin, à dominante parisio-lyonnaise). Bein oui : ils s’amusent et ils se cassent la figure alors ils n’ont qu’à assumer leur imprudence crasse et gratuite. 

le secours en montagne est gratuit
seulement hors des domaines skiables

Alors je reprends prudemment quelques fondamentaux pour Mamie : le secours en montagne est gratuit seulement hors des domaines skiables, ce qui exclue déjà une partie des personnes incriminées par Mamie, à savoir celles et ceux qui vont devoir payer leur secours en station (eux ou leur assurance). Puis prudemment je lui rappelle que quand son fiston a planté la Golf GTi dans le torrent, les pompiers ne l’ont pas laissé en brasse coulée parce qu’il roulait trop vite. Ils l’ont même sorti de là malgré son abus de Génépi et le camion-grue à mobiliser pour sortir la Golf de son estuaire. C’est dire les bienfaits de la protection publique et gratuite. 

Ce rapprochement entre le loisir de descendre des montagnes et celui de rouler vite sur les routes ne plait pas beaucoup à Mamie. Une autre gorgée de café et elle contre-attaque : « C’est pas n’importe qui qui peut se payer des skis ou tout ton attirail d’alpiniste. Alors que les routes, c’est pour tout le monde. » Je dois dire que Mamie marque un point.

Alors c’est là que je lui sors le principe de solidarité. En rappelant que les gens en bonne santé payent aussi des mutuelles pour payer les soins des plus malchanceux… Moue de Mamie. Tant pis j’engage : je lui rappelle que c’est un peu comme les retraites payées par les jeunes et que notre pays peut se targuer d’avoir un système social envié par beaucoup.

la position
finalement très française
de Mamie

Las de compter les points, je me souviens des termes châtiés d’une étude (1) résumant la position finalement très française de Mamie. Elle était rédigée par Benjamin Ferras, haut-fonctionnaire ministériel et enseignant à Science Po Paris. Il résumait : « Les Français sont considérés comme plus méfiants ou atteints de défiance. Cette « spécificité française » serait un mélange paradoxal (…) de volonté d’intervention publique, d’individualisme, de méfiance entre les individus et de rejet de la politique ou des politiques . » Monsieur le Français est râleur mais exigeant.

Et Mamie de conclure à son tour : « De toutes façons, tu sais même pas si t’en auras une de retraite avec tous ces politiciens qui changent tout, tout le temps ». Tacle par derrière et but de Mémé dans les arrêts de jeu.  

 

(1) Benjamin Ferras, Financement de la protection sociale et confiance : quelles perspectives suite à la crise de la Covid-19, revue Regards n°57