fbpx

Escalade dans le Vercors : ouvertures aux aiguilles de Bénevise

Escalade moderne aux aiguilles de Bénevise ©Thibault Cattelain

Bénevise et ses aiguilles, un lieu extraordinaire au sud du Vercors, néanmoins peu fréquenté : la grande falaise d’Archiane et ses célèbres grandes voies sont à un jet de pierre et la grande agglomération grenobloise n’est pas si proche. C’est un tort, car aux aiguilles de Bénevise quelques voies classiques valent le détour, et mine de rien, il reste des possibilités d’ouvertures. La preuve avec Thibault Cattelain, qui cet automne a ouvert deux itinéraires grande classe ! Récit.

Que faire lorsque nos envies de montagne ne sont pas en adéquation avec le cycle des saisons, lui-même perturbé par le dérèglement climatique ambiant ? Que faire à l’automne lorsque l’on rêve d’aventures tout en refusant de prendre l’avion ?

En octobre, lorsqu’il se met à faire froid spontanément, que l’envie de lézarder sur des parois rocheuses est bien plus forte que celle de sortir les skis du placard, le grimpeur grenoblois lambda dirige forcément son regard vers le Sud. Pardi ! Mais le Sud est encore une notion bien floue et philosophique. Pour ma part, je décide de passer un week-end dans le Diois, autour des Sucettes de Borne, des Aiguilles de Bénevise et du Cirque d’Archiane…

Non seulement je suis servi en doses de soleil, de couleurs criantes et de sève d’érable (non ça ne se fume pas !), mais je découvre également, en fréquentant quelques jours les fameuses aiguilles, de gigantesques secteurs rocheux au potentiel purement démentiel !

Les aiguilles de Bénevise à l’automne ! Au fond, la grande falaise d’Archiane se ferait presque oublier… ©Thibault Cattelain

Reste à s’y coller un jour, et on verra bien sur le terrain si on croise des vieux pitons oubliés ou des sangles écorchées.

Ce week-end-là, nous grimpons deux des piliers des aiguilles par des voies existantes : l’Impromptu et le Dièdre. Comme à chaque fois dans le Diois, on s’émerveille du caractère sauvage des itinéraires. Et à plusieurs reprises en assurant ma binôme, mon regard se perd dans un pilier voisin, une ligne de fuite par-ci, une fissure par-là…

Bref, je prends le temps de regarder différents topos (Merci Sylvain pour le Coupé !), de chercher sur le web, de demander aux copains. Conclusion évidente : les lignes que j’ai repérées semblent bel et bien vierges. Reste à s’y coller un jour, et on verra bien sur le terrain si on croise des vieux pitons oubliés ou des sangles écorchées.

Immersion

Une semaine à peine s’écoule avant que je ne remplisse à nouveau la voiture d’une grande quantité de pattes et de quincaillerie, avec pour objectif principal d’aller me fondre dans les entrailles spirituelles des aiguilles. Introspection. Exploration. Création. Un truc en « tion » à base de calcaire local et d’une approche douce et lente de l’aventure. C’est exactement ce que je recherche. On y va à l’ancienne et pour y rester jusqu’à ce que la soif soit épanchée.

Je partage la première journée avec Antonin, un ami d’ouverture que je tiens des Equipes Espoir FFCAM de l’Isère. Nous nous attaquons à la fameuse fissure qui nargue le Dièdre historique (et fort peu commode) du secteur. On s’équipe de friends, de pitons, de la drisse de hissage… : pas de triche, on est là pour de l’exploration par le bas !

Anto engloutit la fameuse fissure, en faisant quelques pauses dans les passages retords, et atteint rapidement la fameuse niche orangée que l’on imagine depuis le sol. Il me crie :

« Thibault, on n’est pas les premiers ! Il y a des vieux pitons rouillés dans la niche ! ».
– Excellent !

Après l’exploration et l’équipement de la voie nouvelle… le parcours en libre ! Nathan Lioret sort de la fameuse niche au vieux relais… ©Thibault Cattelain

il y a une ligne à équiper, future directissime de la face, dans un calcaire sculpté somptueux

Il est fort peu probable que les anciens aient parcouru notre première longueur, car sacrément technique au regard des systèmes de rampes que l’on imagine sur notre droite. Je le rejoins, et on analyse les vieux topos. Il semblerait que l’on ait emprunté une L1 directe, qui vient couper dans la niche une voie de 1974 nommée Le Pilier de l’Oseille. Au vu des chevilles maisons rouillées et de l’état des sangles de l’époque, il n’y a certainement pas eu beaucoup de répétitions !

Bien que l’on se doute qu’en tirant sur la gauche, vers la cheminée évidente, on empruntera la fameuse voie historique qui louvoie dans la face (en V+ à protéger, NDLR), on n’hésite pas une seule seconde. À moitié par curiosité, et à moitié par absence d’autres possibilités : les autres parties de la face – les fameuses « difficultés » – semblent trop compactes pour le trad à vue.

Une fois en haut du pilier, on redescend en rappel dans l’axe, et on capte l’évidence : il y a une ligne à équiper, future directissime de la face, dans un calcaire sculpté somptueux, et à l’ambiance extraordinaire ! Conclusion ? On laisse tout en place, comme en pleine guerre. Cordes fixées, mousquetons vissés, coinceurs mécaniques à volonté. Je suis seul à partir de ce soir et mon premier objectif pour demain est de revenir mettre des goujons dans les 3 longueurs de cette ligne moderne.

Archaeognatha Surprisae…

Solitude tant recherchée et enfin retrouvée, me voilà seul suspendu dans l’immensité de la tour. J’équipe avec lenteur et la délicatesse de celui qui a légèrement peur. D’abord la deuxième longueur, car l’ambiance de la troisième me terrorise, et je me garde la première (beaucoup plus simple) pour compléter une prochaine journée. Cette deuxième longueur est le plat de résistance : on remonte la cavité orangée, au calcaire autant abrasif que déroutant, on passe le surplomb lorsque l’ocre se noie dans le gris et que les sculptures minérales apparaissent.

Une partition verticale succède alors au physique dévers, dans un océan grisâtre et féérique. À la moitié de la longueur, les fesses dans le vide, et relié par un unique alliage de métal à ma corde statique, je déloge un rocher qui menace, et tombe nez à nez avec trois insectes étranges et tenaces… Quelques crevettes grises, aux antennes souples, qui tiennent à la verticale sur le rocher, probablement surprises de croiser un être aussi gros sorti de nulle part. Une photographie vite faite, et je les laisse tranquille pour terminer mon labeur.

 

Les insectes qui donnent leur nom à celui de la voie ©Thibault Cattelain

Je remonte le conduit à la manière de Baloo qui se frotterait le dos contre un bananier

Archaeognatha Surprisae, 3 nouvelles longueurs modernes aux relais (neufs) communs à la voie historique du Pilier de l’Oseille ©Thibault Cattelain

Les trois jours suivants, avec concentration et passion, je m’essaie à une expérience originale. J’avais repéré une cheminée dès le premier jour, sur un pilier central du secteur. Évident tout autant que central, d’ailleurs. Malgré cela, il a fallu attendre 2015 pour que cet esthétique pilier soit escaladé : merci Antoine et Mickael d’avoir osé inventer le Subterfuge ! Il restait donc la cheminée.

L’idée qu’une cheminée aussi visible et continue demeure au XXIéme siècle invaincue, véritable résistante de l’âge d’or de l’escalade, me laisse un peu pataud, je l’avoue. Je me lance à l’eau. Dans un style d’ouverture plutôt … dépassé, dirons-nous avec gentillesse.

Je m’auto-assure, le dos contre une des deux parois, les pieds sur l’autre en face, remontant le conduit à la manière de Baloo qui se frotterait le dos contre un bananier. Je grimpe avec le perforateur, le marteau, la clé, les goujons, et je tâche de réfléchir comme un grimpeur léger, futé, dont l’assureur est au pied du rocher.

Un peu plus de 60 mètres plus tard, presque toqué mais encore capable de désynchroniser mon dos et mes pieds, la cheminée s’évase, et me voilà perché au sommet des deux piliers qui se tiennent la main. (Merci à Morgan pour le petit coup de pouce sur la 3éme longueur).

La cheminée école vue de l’extérieur ©Thibault Cattelain

Et de l’intérieur ©Thibault Cattelain

toutes les longueurs semblent se valoir en difficulté

L’aventure était psychologiquement passionnante. Et au-delà de ça, je suis fier de l’itinéraire que j’ai ouvert, à la limite de la perfection dans l’homogénéité, à l’équipement rassurant. Une véritable voie école pour la grande voie et/ou l’escalade en cheminée.

Mais avant de rédiger le topo, il me faut un nom de voie… Soucieux d’éviter à une cheminée d’ampleur digne des premiers alpinistes de l’époque un jeu de mot suspect, voire déplacé, j’ai une pensée pour un ami danseur, qui parlerait volontiers d’escalade … libérée ? C’est exactement ça. Un génie ! Je l’appellerai La Cheminée Libérée

Quelques jours plus tard, alors que la maison est recouverte de neige et que l’on doute d’avoir encore un créneau grimpe, je suis rejoint par Antonin et Nathan, qui se font un plaisir de m’aider à terminer et à grimper la directissime du pilier de l’Oseille. On parle à travers les murs d’une escalade vraiment belle, esthétique, et surtout homogène ! Du 6c au 7a, diverses dans le style et la continuité, toutes les longueurs semblent se valoir en difficulté. Parfait, défi réussi !

Dernière longueur d’Archaeognatha Surprisae, 7a ©Thibault Cattelain

Archaeognatha Surprisae, Antonin Segel au départ de L2 dans la niche, 6c/+ ©Thibault Cattelain

Les topos ne vont pas s’écrire tous seuls

Après cette moisson aux aiguilles, la fin de l’automne approche, ainsi qu’une légère saturation d’introspection. Je rentre me préparer à l’hiver. De toute façon, les topos ne vont pas s’écrire tous seuls … ! 

L’année prochaine, soit je change de secteur, soit je m’attaque à une aiguille vierge avec le tamponnoir ! Il y a encore bien de quoi faire à côté de la maison, sans cramer un réservoir d’avion par la même occasion !

Les voies

Archaeognatha Surprisae, 3 longueurs, 90 m, 7a max, 6c+ obligatoire. Topo ici.

La Cheminée libérée, 65 m, 3 longueurs, 5b+ max et obligatoire. Topo .