
C’est officiel, la station de l’Alpe du Grand Serre ouvrira bel et bien le 21 décembre pour une nouvelle saison d’hiver et d’été 2025 ! C’est une délivrance pour tous les amoureux de l’Alpe du Grand Serre, les habitants et professionnels de notre village et de la vallée de la Roizonne. C’est aussi une lueur d’espoir pour celles et ceux qui essaient de construire une montagne résiliente et vivante face au changement climatique.
Ce sursis d’un an accordé par les élus de la Communauté de Communes de la Matheysine a été rendu possible grâce à une mobilisation inédite et la solidarité des citoyens, des acteurs économiques du territoire et des grands acteurs nationaux de la montagne. Cela montre que l’avenir de nos stations de moyenne montagne est un sujet de préoccupation majeure, avec de forts enjeux sociaux, économiques et environnementaux.

Pour les membres de notre association La Morte Vivante, c’est un soulagement car nous évitons une casse sociale et la mort de notre village et de la vallée de la Roizonne. L’activité économique générée par la station est tel, que sa fermeture aurait signifié la fermeture de l’ensemble de nos commerces, restaurants et bars, le départ des socio-professionnels, des artisans et de leurs familles, la fermeture des colonies de vacances et l’effondrement de nos agriculteurs et éleveurs, presque tous pluri-actifs ou tirant des revenus de l’attractivité touristique du territoire.
Cela signifiait aussi que notre parc immobilier, tourné autour du ski, se serait retrouvé en friche, les studios devenant invendables et inlouables… Ainsi, même pour le développement d’une économie résidentielle, tournée autour des télétravailleurs et des retraités, la fermeture aurait été terrible, remettant en question à terme la présence d’une école et d’une crèche, et privant le territoire de ses services.
Si le tableau est si noir, c’est aussi dû au fait que l’Alpe du Grand Serre est la seule station de la Matheysine et le seul point d’attractivité touristique en hiver. Historiquement c’est donc la station qui fut un outil au service de la diversification des activités agricoles et touristiques. Tragique retournement.
ce sursis d’un an est un soulagement mais aussi un énorme coup de fouet
C’est donc un soulagement mais aussi un énorme coup de fouet. La rapidité du réchauffement climatique nous met au pied du mur, et la décision d’ouvrir une seule année supplémentaire nous oblige à trouver des solutions à très court terme. Nous faisons donc face à un double impératif, nous transformer en profondeur et nous transformer en urgence. A ces impératifs nous rajoutons l’enjeu que la transition soit inclusive en étant juste socialement, car nous avons besoin d’embarquer les acteurs locaux pour réussir ce défi. J’aime beaucoup l’adage qui dit « Sans lutte des classes, l’écologie est du jardinage. »
A la Morte Vivante nous avons pleinement conscience que notre station de ski doit devenir une station de montagne. La diversification de nos activités doit s’intensifier, et nous ne parlons même plus de 4 saisons, puisque nous pouvons faire du VTT ou de l’escalade en plein mois de janvier, tout comme faire du ski de rando fin novembre ou en avril. Notre capacité à être en montagne doit pouvoir s’adapter quotidiennement aux conditions offertes par la nature. Si nous devons apprendre à nous passer à terme du ski, il nous paraît néanmoins essentiel de conserver une attractivité et une vie à l’année sur notre territoire et donc une station.

À condition de se transformer, nos stations peuvent devenir des refuges bioclimatiques et jouer un rôle essentiel dans le monde de demain
À nos yeux, nos stations de moyenne montagne font bel et bien partie de la solution pour notre résilience collective face au changement climatique. À condition de se transformer, nos stations peuvent devenir des refuges bioclimatiques et jouer un rôle essentiel dans le monde de demain. En tant qu’îlots de fraicheur lors des étés caniculaires ; en tant que porte ouverte sur des espaces sauvages pour des populations qui ont besoin de reconnecter avec la nature ; en tant que destination récréative de proximité et accessible dans un monde où les déplacements seront contraints ; en tant qu’espaces agricoles de proximité quand notre autonomie alimentaire sera sous tension.
Pour remplir cette mission d’intérêt général, nos territoires doivent donc rester vivants pour pouvoir être accueillants. Cela nécessite un grand plan national pour la moyenne montagne, afin d’éviter sa désertification en cas de fermetures non anticipées des stations de montagne.
Cela nécessite aussi d’inventer localement de nouvelles manières de travailler et de vivre sur nos territoires, car nous devrons faire avec moins de ressources et de richesses. Avec moins de richesses car rien ne remplacera le ski, qui a généré une rente extra-ordinaire ; avec moins de ressources car nous sommes dans un monde fini et que notre développement doit obligatoirement tenir compte des limites planétaires.
il y a toujours une voie à dessiner vers le sommet. Cela nécessitera un esprit de cordée infaillible, et beaucoup d’humilité
Il va donc falloir retrouver le sens du collectif et de l’entraide, apprendre à coopérer, mutualiser et s’associer entre citoyens, acteurs économiques et pouvoirs publics. Il faudra apprendre à être résilient à l’échelle de notre vallée et de notre territoire, avec une économie génératrice de bien-être social et capable d’assurer notre subsistance, pour que l’on puisse jouer notre rôle de refuge climatique.
À titre personnel je garde espoir pour deux raisons. Si nous n’avons pas encore de modèle de transition dans le milieu de la montagne, nous pouvons regarder du côté de l’économie sociale et solidaire qui nous offre de nombreux outils concrets pour construire ces modèles collectifs et robustes et répondre aux besoins des populations. Et étant imprégné de l’éthique du style alpin après mon passage aux Piolets d’Or, je suis persuadé qu’il y a toujours une voie à dessiner vers le sommet. Cela nécessitera un esprit de cordée infaillible, beaucoup d’explorations, des renoncements salutaires, de l’ingéniosité et beaucoup d’humilité mais aucun sommet n’est impossible. L’important sera le chemin partagé et que chaque pas nous amène vers un monde vivable.