Écrins : Sous l’oeil d’Adèle, ouverture en face nord de la pointe Louise

Ouverture à la pointe Louise ©Kilian Moni

La pointe Louise fait partie de la longue crête issue de la Roche Faurio, grand sommet des Écrins. Son large versant nord n’est principalement parcouru que via le col de la Roche Faurio, classique de haut vol à skis. Le 18 mai, le trio composé de Laëtitia Chomette, Pierre Girot et Kilian Moni, membres du nouveau Groupe Excellence Alpinisme National (GEAN) de la FFCAM, a ouvert une belle ligne de goulottes et de placages éphémères, Sous l’oeil d’Adèle

Sous l’oeil d’Adèle ? « C’est bien sûr un clin d’oeil au refuge Adèle Planchard, situé pile en face du versant nord du chaînon Roche Faurio-Pointe Louise » explique Kilian Moni. Un refuge que fréquente régulièrement Laëtitia Chomette, son compagnon étant le gardien du refuge Adèle Planchard, étape-clé des tours de la Meije et de la Grande Ruine à skis. La ligne lui a tapé dans l’oeil mais les conditions sont difficiles à évaluer. Du blanc, c’est mieux, mais est-ce de la fameuse neige quick, cette neige en polystyrène dans laquelle les piolets se plantent et tiennent avec facilité, ou du sucre, qui se casse et s’effondre dès que l’on met du poids dessus ? « Il fallait aller voir » résume Kilian Moni, qui nous raconte leur première entre deux journées d’entraînement avec le GEAN dans le Vercors, à Presles plus précisément. On vous en dira plus bientôt ce sujet !

Le bastion du bas attaqué bien avant l’aube. ©Coll. Moni

Les placages raides du bas. 

Tous les trois en étant membres, la nouvelle promotion du GEAN est en tous cas ce qui a rassemblé les énergies pour ce projet d’ouverture, source d’incertitude, a fortiori quand on parle d’escalade mixte et d’Oisans, massif réputé capricieux pour la formation des goulottes. « Laëtitia nous a montré des photos prises avec les jumelles depuis le refuge Adèle Planchard » raconte Kilian Moni : « le haut ne semblait pas évident ».

L’itinéraire se décompose en trois sections : un bastion raide au départ doté d’un beau placage en glace, rare. Une section médiane plus facile en neige. Et l’inconnu pour le tiers supérieur de la voie, qui se déroule à droite du seul itinéraire un tant soit peu parcouru sur ce versant : la goulotte Louise Fine, oeuvre de Seb Constant et compagnie. Une ligne réputée sauvage et esthétique, répétée de temps à autre. À l’extrême droite, la face nord de la roche d’Alvau a vu une ouverture, oeuvre de la cordée  Martin de Truchis et Baptiste Obino (C’Alvau l’coup, ED+) en début d’hiver. Plus près de la roche Faurio, se trouve un étroit goulet qui disparaît, la brèche de Tombe Murée, dont le nom a probablement contribué à l’impopularité.

À moins que son approche par le glacier très crevassé du même nom n’attire pas les prétendants. C’est pourquoi le trio, après un bivouac sous le col de Roche Faurio, a choisi d’accéder par les pentes sous Louise Fine avant de traverser à droite pour rejoindre le départ de l’itinéraire envisagé. Un lever vers deux heures du matin en cette saison fort avancée, un départ à trois heures de la tente : feu !

Pierre Girot au relais. ©Coll. Moni

De la bonne glace !

une première longueur bien engagée

L’approche rapidement avalée, c’est Laëtitia qui se confronte avec l’une des longueurs délicates du bas : de la glace raide mêlée de neige, « une première longueur bien engagée » dixit Kilian Moni, « avec une base de glace, et pas mal de neige à la consistance moyenne, un peu précaire ». Une longueur qui rappelle celle qui barre l’entrée de la goulotte de la Raie des fesses au glacier Noir. « Tu mets une broche assez courte puis pendant dix mètres plus grand-chose...»

Ce premier tiers est avalé avant que le soleil ne se lève vraiment. La section suivante est plus tranquille, avec plusieurs options d’itinéraires qui font hésiter les trois amis. Finalement – il faut bien faire un choix, ou un saut dans l’inconnu, ils remontent cette fine goulotte – à droite de Louise Fine justement – qui aboutit à une brèche marquée sur l’arête.

« Un beau placage de glace de cinquante centimètres de large par endroit, parfois peu de glace, du caillou et du beau mixte… On n’a pas pu mettre beaucoup de protections de manière générale » raconte Kilian. Qui souligne que Pierre Girot, Laëtitia et lui ont parfois mis autant de temps à construire un relais solide qu’à grimper. Mais l’ambiance, elle, est incomparable. Diablement rapide, la cordée sort sur l’arête à midi. Il ne reste plus qu’à descendre, et les habitués des Écrins savent que là, souvent, réside la difficulté.

Le bastion du bas attaqué bien avant l’aube. ©Coll. Moni

Les placages raides du bas. 

Le bastion du bas attaqué bien avant l’aube. ©Coll. Moni

Quand la cordée se penche versant glacier Blanc, la descente paraît évidente : une centaine de mètres les séparent du glacier, deux rappels et c’est plié. Mais quelques instants plus tard, la descente se complique. « J’ai fait tombé un bloc qui a coupé la corde : on s’est retrouvé avec un des deux brins de trente mètres » raconte Kilian. L’avantage, c’est que la cordée ne manque pas de quoi faire des anneaux de becquet… Mais demeure prudente.

La situation a rappelé de mauvais souvenirs à Kilian Moni, qui a vu sa compagne basculer dans le vide après qu’un relais de rappel se soit arraché avec le bloc qui le tenait, il y a trois ans. Un événément qui s’est soldé miraculeusement par des contusions seulement. « Je n’étais pas serein sur la qualité du caillou, mais on a pris notre temps pour faire quatre relais et atteindre la fin des difficultés. » Il ne reste plus à la cordée qu’à revenir par le couloir nord du col de Roche Faurio, et à rentrer à la maison, gros sac sur le dos. Sous l’oeil d’Adèle.