Au nord de l’Inde, on y va pour manger du curry et surtout de la poudreuse, en quantité insolente ! En mai dernier, l’équipe de Curry powder, lauréate des Bourses Expés, est allée chausser les skis près des Tharang, trois sommets qui avoisinent les 6000 m d’altitude. « Les meilleurs sont ceux qui s’amusent le plus » disait Jeff Lowe à propos des grimpeurs. Ce ne serait pas étonnant que la fine équipe des Curry powder frise l’excellence …
Aéroport de Delhi, 15 Mai 2019 – 1h30 du matin. L’équipe est au complet, dehors la moiteur de l’atmosphère polluée nous envahit. Nous arrivons dans notre hôtel et nous plongeons dans nos lits bercés par la clim’ glaciale. Le lendemain départ pour 17h00 de bus afin rejoindre la petite ville de Manali. Pour le moment, le col du Rothang (3950 mètres) qui nous ouvre les portes des montagnes, n’est pas encore ouvert. Selon les dires, il reste encore sept kilomètres de route à déneiger. On envisage toutes les solutions pour franchir ce col, seul passage possible pour rejoindre le point de départ de notre expédition. Prem, notre contact local, nous conseille d’attendre… Est-ce qu’il faut commencer à réfléchir à changer notre destination ? Au lendemain, Prem m’appelle pour me dire que nous partons aujourd’hui à 14h00, yes !
Une histoire de karma
La quantité de neige augmente au fur et à mesure de notre montée, les murs taillés de part et d’autre de la route se font de plus en plus étroits. Au passage du col, il arrive que les rétroviseurs de notre 4×4 touchent simultanément les murailles qui nous entourent. Il y a par endroits plus de 10 mètres de neige, incroyable ! Nous apprendrons par la suite que la route a été à nouveau fermée peu de temps après notre passage pendant 10 jours. Le karma joue en notre faveur.
Le lendemain nous arrivons vers midi au village d’Urgos, aux portes de la vallée du Miyar. Nous ressentons déjà les premiers effets de l’altitude. Nous allons visiter le village voisin où la fête annuelle se tient. Accompagnés par les flûtes et les percussions, les hommes de tous âges se défient aux tirs à l’arc. Les alcools locaux accompagnent forcément ce type de cérémonie. Il y a le choix entre l’alcool blanc de riz ou à la « local beer », un savant mélange entre le cidre et la kombucha dont le seul but est de vous monter à la tête. Nous sommes accueillis chaleureusement et nos verres sont pleins à ras-bord.
Au matin, les sacs sont prêts, après sept jours de voyage, nous voilà enfin en action ! Ça fait du bien de se dégourdir les jambes et de découvrir au fur et à mesure les paysages incroyables qui nous entourent. Après cette journée de marche, nous installons le camp de base à 3800 mètres. Petite première journée de ski, nous descendons dans le fond de la vallée et nous profitons de nos premiers virages sur les neiges indiennes. Dans l’après-midi, nous répartissons les différents vivres, les sacs sont remplis et forcément plus lourds que ce qu’on pensait !
Les marmules, mi-hommes mi-mules
La laborieuse phase de « mule » est lancée, nous comprenons un peu mieux ce que les animaux ont endurés pendant une journée à transporter notre matériel deux jours auparavant. Nous partons le 23 Mai à 6h00 pour trouver l’emplacement de notre camp 1 à 4300 mètres d’altitude. Sous les conseils avisés de Régis, les pas se veulent les plus lents possibles afin de ne pas trop forcer, car même si l’altitude n’est pas extrême il faut savoir s’économiser pour pouvoir tenir dans la durée.
Mule un jour, mule toujours ! Nous voilà repartis pour rejoindre le camp à 4800 m, nous ferons deux allers-retours aujourd’hui afin de monter toutes les charges. La descente avec le sac vide est un vrai bonheur, la pente est idéale pour se faire plaisir en grands virages dans ce vallon ouvert. Nous sommes surplombés par la langue glacière qui s’écoule depuis les sommets des Tharang. Après ce plaisir éphémère s’ensuit la montée sous une chaleur de plus en plus intense. J’essaie de faire abstraction de cela et me calque sur le rythme d’Étienne, la locomotive de l’équipe. Je tiens bon, nous arrivons les premiers en haut mais je me suis bien mis dans le rouge…
Quatrième jour de mule, David descend se reposer au camp de base, il a passé sa nuit à faire de l’apnée du sommeil, sans dormir. Nous partons avec le reste de l’équipe pour nous approcher du but : le plateau glaciaire des Tharang situé entre 5300 et 5500 mètres d’altitude. Premiers visuels directs avec les Tharang I et II, magnifiques, l’excitation est à son comble ! Peu de temps après, je décide de ne pas poursuivre, je ressens une fatigue profonde. Elle s’ajoute au poids du sac, à l’altitude et la chaleur de cette fin de matinée. Tristan se joint à moi et nous observons disparaître rapidement Régis et Étienne, tels deux mules au sommet de leur art : ils ont récupéré nos charges et malgré cela ils semblent accélérer jusqu’à un rythme de croisière d’une rapidité incroyable. La légende raconte même que l’on aperçoit des étincelles sous leurs skis, tellement leur vitesse est élevée lorsqu’ils montent…
Étienne, qui a toujours de l’énergie en stock, commence à lisser la corniche qui mène entre les deux tentes. Je devine immédiatement son idée : le backflip à 5400 m !
Poudreuse avec yackuzzi
Retour au camp 2 à 4800 mètres. Je pense à David qui profite du yackuzzi à cette heure-ci. Nous le rejoindrons demain après-midi. Le yackuzzi est un mix propre à la localité : il suffit de profiter des remous massant du torrent glacé et de la proximité des yacks qui viennent à notre rencontre, curieux de nous voir sur leur territoire.
Dimanche 26, départ pour le Tharang Fang à 5490 m, une arête surmontée d’une dent sommitale granitique d’une vingtaine de mètres. Nous partons légers pour la première fois depuis le début du trip, quel bonheur ! Au sommet, Régis nous fait une belle démonstration de singeries en crampons sur le rocher. Nous restons là sur l’arête à observer le funambule qui nous rejoint suivi de Tristan. Notre premier sommet Indien à skis, la joie est intense ! Nous apercevons les tentes du camp de base presque 2000 mètres plus bas. Une descente d’anthologie nous attend, avec Étienne qui enchaîne la première belle pente et un couloir situé plus bas en face ouest. Même si ce n’est pas une poudreuse de rêve, cette descente est d’une saveur toute particulière. A 11h00, nous faisons fumer l’eau du yackuzzi avec nos pieds fatigués.
Suspendu à l’aiguille sommitale. ©Curry powder
Dré dans l’pentu ! ©Curry powder
Tharang en vue !
Mardi 28 Mai, camp de base, 6h00 du matin : les cinq mules sont prêtes, comme à leurs habitudes encore plus chargées que la fois précédente… Je ne connais pas le poids de nos sacs, je sais juste que le mien pèse trop lourd. Nous partons directement pour le camp 2 à 4800m. Cette fois-ci la montée me parait interminable. Les deux cent derniers mètres sont un vrai calvaire, j’ai envie de m’arrêter à chaque pas, je pense à Régis, Tristan et Étienne déjà arrivés. Je me retourne vers le bas et regarde David, je me dis qu’il y a pire situation que la mienne.
Mercredi 29, nous sommes enfin tous réunis au camp 3, le plus haut, à 5370 m. On est maintenant au cœur de l’élément, au pied des trois Tharang qui nous dominent. A midi, c’est l’heure la plus chaude, le soleil est à l’aplomb et même les faces nord ne sont plus à l’ombre. Il n’y a pas un brin d’air, l’atmosphère est étouffante. S’ensuit l’arrivée des nuages qui peut donner lieu à de petites averses de neige accompagnées de bourrasques de vent. En fin de journée, les nuages se déchirent et offrent un coucher de soleil incroyable. Dès que le dernier rayon est passé, le froid s’installe, nous plongeons alors dans nos doudounes et l’intérieur des tentes se couvre de givre. Nous passons ensemble le repas du soir dans la tente-restaurant où les réchauds font chauffer l’eau issue de la neige fondue. Nous nous enfonçons ensuite dans nos énormes duvets, il fait entre -10°C et -15°C.
Nous commençons par le Tharang III à 5880 m, le plus accessible. Lors de l’ascension, on entend le « whoum » caractéristique d’une rupture de couche fragile à proximité de notre itinéraire, significatif d’un risque de départ d’avalanche. Nous sommes en alerte et décidons d’éviter une pente importante en remontant le long d’une arête, à l’abri. Nous nous arrêtons 20 mètres sous le sommet, la dernière arête d’une centaine de mètres de long est agrémentée d’une immense corniche. Nous ne voulons pas nous risquer à évoluer sur cette zone potentiellement instable qui nous projetterai 500 mètres plus bas… La vue est évidemment indescriptible, des sommets enneigés à perte de vue. Nous descendons du Tharang III en profitant de chaque virage.
La journée du vendredi 29 est consacrée à la récupération du matériel restant au camp 2 et au repos. Étienne et Régis partent en reconnaissance et traversent le glacier pour atteindre le pied du Tharang II. À leur retour, ils nous font part de leurs doutes concernant la stabilité du manteau neigeux de la face nord. Nous ne savons pas s’il sera possible de gravir le Tharang II. Étienne, qui a encore et toujours de l’énergie en stock, commence à lisser la corniche qui mène entre les deux tentes. Je devine immédiatement son idée : construire un saut. Je le regarde faire de loin, il fait un premier saut d’essai, le vol paraît correct. Après quelques essais supplémentaires il envoie un back flip et atterrit parfaitement. Bien joué ! Ni une, ni deux, je saute en vitesse dans mes chaussures de ski. Je suis surexcité à l’idée de m’envoler la tête en bas à 5400 mètres d’altitude. Peu de temps après je profite de ce vol, il restera gravé à vie dans ma mémoire.
Lézard sous la dent
Le lendemain nous décidons de nous attaquer à la Dent du Lézard à 5900 mètres. Ce promontoire granitique marque l’extrémité de l’antécime nord-ouest du Tharang I qui culmine à 6066 mètres. L’ambiance est encore une fois majestueuse, nous faisons directement face au Tharang II et ses 6011 m. L’ascension est lente mais j’y prend beaucoup de plaisir. Je suis le chanceux premier de la bande à m’élancer dans le couloir. Même si la neige est dure, l’accroche est bonne et mes skis travaillent bien. Trois minutes plus tard, je suis en bas et je ventile tout ce que je peux afin de récupérer de cette descente en altitude. C’est au tour des autres, chacun à son rythme, c’est beau ! On finit par skier tous ensemble une magnifique crête qui nous amène jusqu’au campement.
Le Dimanche 2 Juin, nous séparons l’équipe en deux : Régis et Étienne vont explorer derrière le col entre les Tharang I et II, y trouvent un couloir débouchant directement sur le sommet du Tharang II. La montée y sera sûre si l’on part tôt le matin. Pendant ce temps-là on en profite avec David et Tristan pour aller skier sur des faces que l’on a repéré les jours précédents.
Lundi 3 Juin, départ dans la nuit à 4h00 du matin, il fait -10°C et le temps est clair, les conditions sont idéales. Nous empruntons les marches taillées la veille par Régis et Étienne pour atteindre le col des Tharang à 5700 m, avant de descendre en face sud et de rejoindre le pied du couloir sud-est débouchant au sommet du Tharang II. Après tous ces jours passés en altitude nous sentons la fatigue accumulée, en particulier Tristan qui peine à suivre notre rythme pourtant déjà lent. On le soutient au maximum pendant que Régis s’occupe de la sécu. Il installe un relais à 30 mètres de la corniche sommitale afin de nous assurer mutuellement en cas de chute, aussi pour prévenir l’instabilité du manteau neigeux en face nord. On finit pas à pas et nous voilà réunit sur l’arête sommitale, j’ai du mal à réaliser ce que l’on vient d’accomplir. Nous profitons ensemble de ce moment unique. La descente dans le couloir est un vrai régal sur une neige un peu ramollie par le soleil. Arrivés au camp 3, nous sommes épuisés, je m’allonge directement dans la tente sans bouger pendant un bon moment. Le soir l’orage gronde autour de nous, un éclair tombe à moins de 300 mètres, pas très rassurant !
L’heureuse équipe au complet. ©Curry powder
Mardi 4 Juin, nous descendons au camp de base en récupérant la totalité du matériel des camps 2 et 3. Nous nous entraidons pour charger sur notre dos des sacs de plus de 30 kilos. Le poids fini d’entamer la fatigue de mes jambes en activité depuis maintenant 15 jours ! À 11h30 nous mettons le pieds dans le yackuzzi, au camp de base, quel bonheur ! Nous tenons à remercier très chaleureusement le soutien important des Bourses Expé, ses partenaires ainsi que nos partenaires respectifs.