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Grande voie : Cerces-moi fort, nouvelle voie à la Tour Termier

Sylvain Thiabaud dans la 7ème longueur de Cerces moi fort, 7b/c ©T. Cattelain

Le guide Sylvain Thiabaud et le réalisateur Thibault Cattelain sont comme en croisade : ouvrir de nouvelles voies d’escalade libre modernes et difficiles dans quelques-unes des plus belles parois calcaires des Alpes, et en faire un film. Seconde et dernière née du projet en cours : la voie Cerces-moi fort (8a max, 7a obl., 260 m) à la Tour Termier (3 070 m), dans les Cerces. Récit, et topo.

Pensiez-vous vraiment que personne n’oserait ouvrir de nouvelles voies dans les grandes faces calcaires des Alpes ? Lorsque l’on rencontre Sylvain Thiabaud, on comprend que l’impossible n’existe pas, et que seule la motivation dicte les règles du jeu.
Pour ma part, bien au-delà d’un projet sensationnel à base d’ouverture de grandes voies majeures à deux pas de la maison, j’ai rencontré un grimpeur extraordinaire et tissé une belle amitié.

C’est ainsi qu’ensemble, nous avons imaginé un documentaire retraçant ces ouvertures, présentant les coulisses et proposant des focus sur des parties sombres de l’histoire de l’escalade libre dans les Alpes. Tout un (beau) programme…

À l’approche de la Tour Termier. L’objectif ? Ouvrir au coeur de cette paroi une voie dure, moderne, esthétique. ©Thibault Cattelain

Ouvrir du bas, percer en grimpant

La Tour Termier, symbole des Cerces

Après de multiples péripéties aux Rochers du Midi en Isère et à la fin du printemps, on décide de ruser la canicule estivale, de mettre à profit notre énergie pour faire tomber la deuxième face inscrite sur la liste du projet. On s’attaque donc, fin juillet, à la très célèbre Tour Termier, dont le calcaire orangé et sculpté règne depuis de longues années sur le massif des Cerces.

Le programme est défini : on se réserve deux jours pour installer, Sylvain et moi, les cordes statiques qui me permettront de filmer, puis d’avancer le plus possible dans l’ouverture de la ligne. Ceci fait, l’éthique de notre projet est d’ouvrir du bas : le perçage et la pose des goujons se fait en grimpant. On se longe à des crochets gouttes d’eau et on joue du fifi lorsque cela est nécessaire : frissons garantis. Nous sommes optimistes et imaginons qu’une troisième journée permettra de terminer d’équiper le haut de la voie, de faire des images en parallèle. Il suffira juste de recruter un assureur au sang-froid…

La dernière étape consistera à revenir pour enchaîner la voie, pour la beauté du geste mais aussi celle des images. Tous les deux connaissons LE piège local : même en pleine canicule, à la Tour, on peut vite avoir très froid ! On accumule donc dans nos énormes sacs de hissage plus de vêtements que de mètres de cordes. L’aventure démarre, avec cette vue incontournable sur le massif des Écrins.

Sylvain à l’ouverture de L7 (7b/c annoncé) ©Thibault Cattelain

Équipement de la longueur clé, la 8ème (8a annoncé) ©T. Cattelain

Jour 1

L’amour de l’image pèse lourd. Le slogan apparait, dans la douleur et le sourire : « Rappelles-toi que c’est ta passion … ». On traine difficilement nos 100 kilos de matériel jusqu’au sommet de la face, on trouve le sommet de notre future voie, on jette les cordes dans le vide et on entreprend de descendre en repérant l’itinéraire. Bien qu’émerveillés devant la pureté du rocher, on est parfois sceptiques sur la faisabilité de certaines portions. Qu’importe ! Qui ne tente rien n’a rien, Sylvain est prêt à se battre dans des longueurs extrêmes s’il le faut.

Lorsque l’on passe le décroché qui fait la jonction entre la 7ème et la 8ème longueur, quelle que soit l’expérience, on ne peut pas retenir le haut-le-cœur… Plus de 100 mètres d’air sous les fesses, avec au moins une quinzaine de mètres de dévers jusqu’au pied de la face : le vide est saisissant. Le bout de la corde pend, ne touche pas le sol et ondule sous l’effet du thermique. Sylvain se balance en permanence d’avant en arrière pour recoller à la falaise. On ne sait même pas si on va réussir à atteindre le pied de la face. Au bout du compte il nous manquera une petite centaine de mètres de corde pour atteindre exactement le pied de notre voie. On se débrouille en désescaladant des gradins, au bord des premières longueurs. Tout est calé : il n’y a plus qu’à !

Ampleur et gaz en Tour Termier. Ici la grimpeuse Solène Amoros libère la longueur clé en 8a, suite à l’ouverture ©Thibault Cattelain

Une traversée délicate permet de rejoindre
la voie de Raphaël Borgis et Frédéric d’Allabert

Jour 2

Départ à 7h. On décide sans se concerter que l’on n’a pas fait le déplacement pour enfiler des perles : on doit aller le plus haut possible ! Je m’attèle aux premières longueurs, la grande envolée d’échauffement (L1) puis le début des hostilités (L4). Sylvain s’occupera des longueurs dures de la partie haute. Les longueurs 2 et 3 sont équipées sans même que l’on s’en rende compte.

Dès le début du dièdre fissuré de L4, en revanche, les choses sérieuses commencent. Il s’agit d’entrer dans l’énorme zone d’éboulement qui caractérise le centre de la Tour Termier, très déversante, et parcourue par une seule et unique voie, la bien-nommée L’incontinent ou La Fuite du Gaz (R. Borgis, F. d’Allabert, 1996).

Sylvain dans le beau dièdre fissure de L4 (6b/c) ©Thibault Cattelain

Une longueur commune à la voie Borgis/D’Allabert, son 7b+ central

Le caillou est plus ou moins interactif. L’escalade est déroulante, l’ambiance très déroutante. Quelques mètres de traversée ascendante en très mauvais rocher m’amènent au cœur des festivités. Je fais relais. Sylvain, frigorifié, se réchauffe en grimpant ma longueur, et c’est ensuite à son tour de jouer.

La cinquième longueur est une traversée délicate, toujours ascendante vers la gauche, qui permet de rejoindre la voie de Borgis et d’Allabert. Sylvain, extrêmement concentré, nous fait une magnifique démonstration de force mentale et d’ambidextrie en plantant l’ensemble de ses goujons uniquement avec la main gauche. On vous l’assure, lorsque vous serez pendu sur un crochet très douteux, dans un 6c très teigneux au-dessus d’un vide très hargneux, vous aussi vous deviendrez ambidextre !

Mission accomplie : nous avons rejoint L’Incontinent, dont on compte utiliser le 7b+ central comme longueur commune.

Dans le 7b+ de la voie Borgis/d’Allabert, longueur commune (L6) ©Thibault Cattelain

Aucun de nous ne veut un passage
en A0 obligatoire dans la voie

Jour 3

Routiniers, diront certains. Stupides diront d’autres. Nous, on se rappelle juste que c’est notre passion. On a recruté un copain. C’est Sylvain le chef de la journée et on compte sur lui pour aller toper le sommet de cette nouvelle grande voie de haut-vol. Tant bien que mal, on remonte les cordes statiques jusqu’au sommet du 7b+ de L’Incontinent, et on s’attaque à la suite.

Sylvain explose la L7, dont les difficultés (7b+/7c) sont concentrées sur quelques mètres et marquent la fin de l’aspirant dévers. On a quitté définitivement la zone d’éboulement et on a rejoint un caillou extraordinaire. Viens ensuite le crux de la voie…

Dès le début de cette 8ème longueur, on est spectateurs d’une performance impressionnante. Sylvain ne parle plus. Il est concentré. Il avance doucement, en grimpant sérieusement au-dessus des points. Il sort un deuxième crochet pour réaliser des triangulations de gouttes d’eau avant de s’y longer. Je commence à connaître l’animal et là, ça grimpe vraiment dans le dur !

L’ascension de cette longueur prends beaucoup de temps. On peut « tricher » pour mettre les points (utiliser les méthodes d’artif), certes, mais par contre on est obligé de trouver une ligne de prises. Que la 8ème longueur soit très dure n’est pas un problème, mais aucun de nous deux ne veut d’un passage en A0 obligatoire dans la voie. Après un temps certain, notre artiste grimpeur atteint le sommet de la longueur. On échange des regards. On rit un coup. On sait pertinemment que l’on a passé le crux, et que cette avant-dernière longueur a des chances d’être évaluée dans le 8ème degré.

Sylvain lors d’une tentative de libération de la 8ème longueur en 8a ©Thibault Cattelain

Avec son frère Vincent, lors de la tentative d’enchainement ©T. Cattelain

L’enchainement

Quelques jours plus tard, on est de nouveau 3 à quitter le parking du col du Galibier. Cette fois-ci, Sylvain a proposé à son frère Vincent de partager ce moment unique avec lui : la première tentative d’enchainement. Un beau moment de complicité et d’aventure, qui me rappelle à quel point le partage est mille fois plus important que la performance. Le bonheur de vivre une aventure à plusieurs. Le plaisir de rire au relais, de se réconforter. La joie de se prendre dans les bras et de se taper les paumes au sommet de la montagne.

Que l’on soit frères, amis, compagnons de cordée … qu’importe la performance, profitons. Avec quelques beaux combats, les deux frères enchainent l’ensemble de la voie à l’exception de la fameuse 8ème longueur. Sylvain a toute les méthodes, il propose quelque chose comme 8a, mais il faudra revenir pour libérer.

Romain Noulette et Solène Amoros à R6 ©Thibault Cattelain

Romain Noulette, L7, 7b/c  ©T. Cattelain

Solène Amoros à l’oeuvre dans la longueur en 8a ©Thibault Cattelain

Le 1er enchaînement de la voie
par Solène Amoros et Romain Noulette

Notre histoire de l’été 2022 à la Tour Termier se solde par une belle démonstration d’intelligence. Sylvain propose à deux jeunes étoiles de l’escalade de tenter la première ascension en libre de la voie, pour avoir leurs retours sur l’itinéraire et me permettre de « rentabiliser » mes cordes statiques, de faire de belles images dans la longueur clé sous le sommet.

Ce sont Romain Noulette et Solène Amoros qui se chargent de la chose. Ils enchainent tous les deux cette 8ème longueur clé après un essai de calage, et cochent ainsi avec de grands sourires le premier enchainement officiel de Cerces-moi fort : 8a max, 260 m. Merci et bravo à tous les deux, ainsi qu’à Sylvain qui a montré qu’il n’était pas qu’un très fort grimpeur/ouvreur, mais aussi un être humain génial.

Comme d’habitude, on ne s’est que trop peu reposé… On a repris depuis nos énormes sacs de hissage, on sue pour terminer un nouveau projet, et on continue de se dire en souffrant : « Rappelles-toi que c’est ta passion… »

Le topo par Sylvain Thiabaud et Thibault Cattelain ©Thibault Cattelain